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Extrait de : Émile Zola, Germinal (1885) - Ire partie, chap. V

Publié le 07/09/2006

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Cependant, les manoeuvres continuaient dans le puits, le marteau des signaux avait tapé quatre coups, on descendait le cheval ; et c'était toujours une émotion, car il arrivait parfais que la bête, saisie d'une telle épouvante, débarquait morte. En haut, lié dans un filet, il se débattait éperdument; puis, dès qu'il sentait le sol manquer sous lui, il restait compte pétrifié, il disparaissait, sans un frémissement de la peau, l'oeil agrandi et fixe. Celui-ci étant trop gros pour passer entre les guides, on avait dû, en l'accrochant au-dessous de la cage, lui rabattre et lui attacher la tète sur le flanc. La descente dura prés de trois minutes, on ralentissait la machine par précaution. Aussi, en bas, l'émotion grandissait-elle. Quoi donc? Est-ce qu’on allait le laisser en route, pendu dans le noir? Enfin, il parut, avec son immobilité de pierre, son oeil fixe, dilaté de terreur. C'était un cheval bai, de trois ans à peine, nommé Trompette.  –Attention! criait le père Mouque, chargé de le recevoir. Amenez-le, ne le détachez pas encore.  Bientôt, Trompette fut couché sur les dalles de fonte, comme une masse. Il ne bougeait toujours pas, il semblait dans le cauchemar de ce trou obscur, infini, de cette salle profonde, retentissante de vacarme. On commençait à le délier, lorsque Bataille, dételé depuis un instant, s'approcha, allongea le cou pour flairer ce compagnon, qui tombait ainsi de la terre. Les ouvriers élargirent le cercle en plaisantant. Eh bien! quelle bonne odeur lui trouvait-il? Mais Bataille s'animait, sourd aux moqueries. Il lui trouvait sans doute la bonne odeur du grand air, l'odeur oubliée du soleil dans les herbes. Et il éclata tout à coup d'un hennissement sonore, d'une musique d'allégresse, où il semblait y avoir l'attendrissement d'un sanglot. C'était la bienvenue, la joie de ces choses anciennes dont une bouffée lui arrivait, la mélancolie de ce prisonnier de plus qui ne remonterait que mort.

Les indices textuels caractérisant la peur abondent dans le texte. Deux noms, « épouvante « (l. 4) et « terreur « (l. 13) en marquent bien l'intensité. On peut noter que les ouvriers qui regardent descendre le cheval éprouvent eux aussi une « émotion « (l. 3 et 11), une tension voisine de la peur. La descente dans le puits déclenche d'abord la panique de ces animaux, affolés par les « manoeuvres « dont ils font l'objet (« il « désigne indifféremment le cheval qu'on descend, dont Trompette n'est que le représentant actuel) : «En haut, lié dans un filet, il se débattait éperdument « (l. 4-5).

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« discours indirect libre, ce qui leur permet de libérer leur émotion sous forme de « moqueries ».

La fin du textemarque un changement de tonalité, puisqu'on passe de l'ironie légère des ouvriers à une évocation à la foispathétique et tragique de la jeunesse et du paradis perdus de Bataille (l.

24 à 29).

Il y a bien entendu dans un telspectacle une représentation du destin des mineurs.

Ceux-ci éprouvent de la sympathie, voire de la compassionpour le nouvel arrivant, qui lui aussi va sacrifier sa vie dans le « cauchemar de ce trou obscur, infini » (l.

18-19).C'est une solidarité de la misère qui s'exprime confusément, mais fortement, et s'ils s'amusent de voir la joie deBataille, ce n'est pas sans ressentir quelque pincement au coeur en songeant peut-être à leur propre destin.

Lecomportement des deux chevaux constitue un miroir de leur vie au fond du puits de la mine. 2.

L'ensemble de la scène est vu en focalisation zéro, par un narrateur omniscient qui voit et sait tout.

La descentedu cheval crée une émotion, mais la précision « il arrivait parfois » (l.

3) indique que d'autres événements semblablesont déjà eu lieu et qu'ils obéissent à une sorte de rituel de la part des mineurs.

Cette information permet de donnerune dimension symbolique à un moment anecdotique, puisqu'il s'inscrit dans un cadre habituel.

De plus, les actionssont effectuées par une série de « on » qui renvoient à la masse anonyme des différents exécutants (« ondescendait le cheval », 1.

2 ; « on avait dû », 1.

8 ; « on ralentissait », 1.

10), lesquels désignent à leur tour ceuxdu haut par « on » (l.

11).

Le discours indirect libre est la meilleure façon de souligner cette indistinction deslocuteurs et des comportements.

La confusion des voix traduit aussi une incapacité à exprimer leur saisissement àl'arrivée de Trompette, puis leur bouleversement devant la joie émue du vieux Bataille.

Les spectateurs, par pudeurou par gêne, refusent de s'avouer que les deux chevaux miment leur destin de mineurs.

Pourtant, c'est bien àtravers leurs yeux que nous suivons la scène, mais ce regard n'est pas clairement connecté à un discours ni à unepensée.

C'est quelqu'un d'autre qui se trouve à la fois en haut (l.

1 à 11) et en bas (l.

11 à 30) : le narrateuromniscient est partout, comprend tout, et même devine tout, jusqu'aux pensées qu'il prête au vieux Bataille (l.

24 à29).

En effet, la personnification de Bataille trahit la présence du narrateur, dans la mesure où il va jusqu'à donnerau vieux cheval la prescience du futur : «la mélancolie de ce prisonnier de plus qui ne remonterait que mort»,l'expression (et surtout le futur dans le passé de la forme verbale) reliant ici les mineurs et les chevaux dans unemême nécessité, dont l'issue ne peut être que tragique (voir aussi l'emploi de la négation restrictive «ne...

que »).Enfermés dans un même destin, tous sont aveuglés : leur ciel est la terre, comme l'illustre magnifiquement lamétaphore de la ligne 22 : «qui tombait ainsi de la terre ».

Toutes ces interventions, certes discrètes maisefficaces, et le caractère poétique de la fin du texte invitent le lecteur à comprendre qu'au-delà d'un épisode queses spectateurs eux-mêmes ne parviennent pas à déchiffrer, il convient d'en percevoir toute la portée, la scènefonctionnant Gomme une représentation allégorique de l'enfermement de la mine, mais invitant en même temps lelecteur à une prise de conscience des drames qui s'y déroulent avec une banalité effrayante, et qui annoncentpeut-être d'autres bouleversements, en attendant « la germination de la terre » .. »

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