Devoir de Philosophie

Ne fait-on son devoir que par crainte du regard d'autrui ?

Publié le 04/02/2004

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Établissez dans quelle situation on peut être amené à tenir cette position et qualifiez-la philosophiquement si on l'étend à toute l'humanité. 5      Pourquoi dit-on « son » devoir, alors que, la plupart du temps, il s'impose à tout être humain et donc ne semble pas personnel ? 6      Analysez la notion de regard, et indiquez de quelle façon elle pèse sur la personne. 7      «Autrui» désigne tout homme autre que nous-même. Mais quels sont les êtres dont le regard nous importe le plus ? Et ceux dont il nous importe le moins ? 8      Obéir, est-ce forcément faire son devoir ? Montrez que le regard des autres peut conduire parfois à agir d'une façon tout à fait contraire au devoir. 9      Une obligation à laquelle on se plie par crainte du regard d'autrui est-elle véritablement un devoir, au sens philosophique strict ? Sinon, de quelle nature est cette limitation de la liberté ?

« [Introduction] Lorsqu'un devoir se présente à un sujet, ce dernier a toujours la possibilité de lui désobéir.

Mais la notion de « devoir » est vaste, qui peut désigner aussibien la tâche scolaire que doit faire un élève que l'obligation à respecter (par exemple le code de la route), ou encore, au niveau sans doute le plus élevé, ledevoir véritablement moral.

Il est donc vraisemblable que lui désobéir n'a pas toujours les mêmes conséquences, ou que lui obéir répond à des motifsdifférents.

Aussi peut-on se demander si l'on ne fait son devoir que par crainte du regard d'autrui, mais en devinant que ce regard n'a pas toujours la mêmesignification. [I.

Effets de la désobéissance] L'élève qui n'a pas fait son devoir peut être puni : l'absence de travail rendu justifie une sanction, quelle qu'elle soit.

C 'est que son devoir devait aboutir àune réalisation matérielle.

Ici, le cas est simple, puisque faire ou ne pas faire son devoir a des conséquences immédiatement visibles.

Il en va toutautrement lorsque le devoir désigne une conduite, civile ou morale, qui n'a pas nécessairement de telles conséquences.Tout citoyen veut bien admettre que voter est non seulement un droit, mais aussi un devoir.

Ne pas voter peut cependant se faire de manière discrète : onn'est pas obligé d'en prévenir ses voisins, et il y a peu de chance pour que ces derniers jouent les espions pour savoir ce qu'il en est.

Dans une tellesituation, le regard d'autrui n'intervient donc pas, et faire ou ne pas faire son devoir ne peut avoir de conséquences que dans l'intimité du sujet lui-même.

Ilest évidemment difficile de prétendre savoir, de manière générale, ce qui peut se passer en lui, dans sa pensée ou sa conscience ; tout au plus peut-onconsidérer que certains non-votants – même indépendamment des résultats – ne sont pas très fiers d'eux, tandis que d'autres se moquent souverainementde leur non-participation à la vie politique.

On peut aussi bien imaginer le cas d'un non-votant prétendant ensuite qu'il est allé voter : ce peut être pour desraisons diverses – pour qu'on ne puisse rien lui reprocher, pour faire semblant d'agir « comme tout le monde », pour avoir l'air de s'intéresser à une viepolitique à laquelle il est en fait indifférent, etc.

Il n'en reste pas moins qu'alors, il tient compte du «regard d'autrui », ou plus exactement de la possibilitéqu'a celui-ci de le juger, en lui reprochant précisément de ne pas avoir fait son devoir.Mais c'est lorsque la situation a une dimension authentiquement morale que ce jugement de l'autre paraît avoir le plus de poids.

Et cela semble logique : sil'on admet que la morale a pour but d'établir et de maintenir une harmonie dans une collectivité, c'est à cette dernière, symboliquement présente à traverschacun de ses membres, que le sujet doit rendre compte de ses actes.

La présence d'autrui est alors celle d'un juge potentiel, et elle peut inciter le sujet àagir comme il le doit pour échapper à un jugement négatif ou à une « mauvaise » réputation. [II.

Incapacité du regard d'autrui à juger de l'intention] On doit toutefois immédiatement noter qu'autrui ne « voit » que la matérialité de la conduite, et n'en peut percevoir l'intention.

Le non-votant pouvaittromper autrui en lui affirmant qu'il avait été voter (ou en ne lui disant pas le contraire), et dans le domaine de la stricte morale, la conduite ne révèle pas lesintentions auxquelles elle obéit.C'est pourquoi Kant prend soin de distinguer l'action qui n'est que « conforme au devoir » de celle qui est effectuée « par devoir ».

Pour illustrer cettedistinction, il donne l'exemple d'un commerçant qui rend honnêtement la monnaie à toute sa clientèle : il est impossible, puisqu'on ne considère que sonacte, de savoir s'il agit ainsi parce que, ayant l'air honnête, il est sûr de conserver ses clients (ce qui renvoie donc à un intérêt égoïste) – simple conformitéapparente au devoir –, ou si c'est parce qu'il est réellement honnête et agit alors «par devoir ».Dans le cas du « conformisme », faire son devoir semble bien avoir pour raison la crainte du jugement de l'autre : si je ne me conforme pas aux règles de lapolitesse, « on » va me prendre pour un malotru, et pour éviter une telle réputation, je suis en apparence poli (je fais donc semblant d'être poli).

Cela signifie,en termes kantiens, que je ne fais pas authentiquement mon devoir, puisque je n'en donne que l'apparence et que j'obéis en réalité à une intention qui n'arien de commun avec lui.

L'action « conforme au devoir » ne constitue cependant pas un scandale moral en elle-même.

Elle a non seulement tous lesaspects de la moralité, mais on peut de surcroît admettre que, d'un point de vue social, elle peut être suffisante, puisqu'elle aboutit quand même à ce que lesmembres de la communauté respectent (en apparence) les règles, et qu'ils continuent à vivre en harmonie.

A près tout, peu importe que les automobilistesne respectent le code de la route que par crainte du gendarme : ce qui compte, c'est que la circulation provoque en conséquence le moins possibled'accidents...

[III.

Devoir, raison et liberté] Le défaut de la crainte du gendarme, c'est qu'elle n'est pas constante : on peut supposer que, dès qu'il devine que les gendarmes ne sont pas là,l'automobiliste commence à accélérer ou à brûler les feux rouges.

Et il en va de même du regard d'autrui, quelle que soit la forme qu'on voudra lui donner : sison absence suffit pour qu'on ne fasse plus son devoir, c'est qu'on avait de ce dernier une conception insuffisante.Le devoir est ce qu'il faut faire ; sa forme, pour Kant, est impérative, et il se présente sans condition et pour toutes circonstances.

Dans cette optique, faire son devoir, c'est obéir à un ordre universalisable, c'est-à-dire à un ordre qui témoigne de l'existence d'une véritable loimorale.

La présence de cette dernière indique que la moralité est en relation avec la raison qui est présente en chaquehomme, et non avec un sentiment comme la crainte (que ce soit celle du regard d'autrui ou de l'enfer importe peu).

Si l'onintroduit des considérations sentimentales dans la vie morale, on risque en conséquence de limiter celle-ci auconformisme, ou même de lui donner une finalité égoïste : je suis moral pour être « bien vu » ou pour bénéficier de la vieéternelle dans sa version paradisiaque.

Cela peut être suffisant pour être en paix avec les autres, mais peut-être paspour être en paix avec soi-même.En effet, si la conduite n'avait pour but que de satisfaire autrui, le remords ne pourrait exister.

Le remords ne provient pasdes reproches adressés par autrui, il est constitué par la conscience intime d'avoir mal agi, même si les autres ne s'ensont pas aperçus.

Si c'est ainsi le sujet qui s'accuse, c'est que le regard bienveillant d'un autrui trompé par une conduiteconformiste ne suffit pas à le rassurer, et c'est donc que le devoir, ou sa négation, n'est pas accompli en priorité pourautrui, mais pour soi-même.Complémentairement, si le regard d'autrui était le seul mobile pour bien agir, on devrait constater que, dès qu'il s'efface,le sujet n'agit plus correctement.

Or, il va de soi que cela n'a rien d'automatique : l'existence morale n'est donc pasdéterminée par le regard d'autrui.

Le sujet décide librement de son obéissance, ou non, au devoir.

Et ce n'est en quelquesorte que son propre regard qu'il peut craindre.

C ela d'ailleurs ne lui interdit nullement de ne pas faire son devoir, maiss'il agit ainsi, c'est lui-même qui se condamne, avant même qu'intervienne autrui. [Conclusion] Admettre qu'on ne fait son devoir que par crainte du regard d'autrui, c'est avoir de la moralité une conception sans doutetrop faible - même si elle peut suffire à garantir une vie à peu près harmonieuse dans une communauté.

Faire son devoir(ou non) est sanctionné en priorité par le jugement du sujet, et non par un jugement extérieur.

Dans les cas positifs, le sujet prend conscience de sa propredignité.

Dans les cas contraires, s'il prend conscience de son absence de dignité, il semble difficile de comprendre comment il a pu choisir de désobéir à laloi morale.

Mais le choix implique l'intervention d'une liberté toujours entière, dans un cas comme dans l'autre, et il semble que la liberté puisse être, commela qualifiait Kant, « détraquée ».. »

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