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Faut-il reconnaître quelqu'un comme son maître ?

Publié le 28/03/2004

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  • Termes du sujet:

— Faut-il : est-il nécessaire, indispensable, essentiel ?  — reconnaître : verbe à connotation hégélienne, et ce d'autant plus que le terme «maître« fait son apparition dans l'intitulé un peu plus loin. Reconnaître, c'est, chez Hegel, poser une autre conscience comme sujet autonome et humain (comme «maître«). Cette reconnaissance est obtenue au terme d'une lutte à mort de pur prestige entre les consciences. Seule celle qui accepte de risquer sa vie peut être «reconnue« (dans sa supériorité).  — maître : le sujet autonome et humain reconnu (par «l'esclave«). On note que la dialectique «maître-esclave« s'introduit implicitement dans notre intitulé.  — quelqu'un : il s'agit du pronom indéfini : un être humain quelconque, une personne absolument indéterminée. Cette indétermination peut orienter la problématique.  

La question posée par le sujet est adressée à l'esclave ou au disciple : doit-il se donner un maître ? Cela est paradoxal, car en règle générale le maître est celui qui décide pour ceux qu'il domine. Nous devons comprendre qu'il n'y a, en vérité, de maître que par la reconnaissance d'autrui. C'est le premier paradoxe impliqué par le sujet. Il en appelle un second : comment un homme peut-il se reconnaître un maître? Peut-il nier sa liberté pour s'assujettir à un autre? Cela est incompréhensible dans le cadre de la relation maître-esclave. Il faut aller vers une autre relation : celle du maître au disciple. Le maître change alors de visage : de négatif, d'oppresseur, il devient positif, initiateur.

« [II.

La pensée se reconnaît-elle des maîtres ?] Il découle de ce qui précède que tout homme doit penser par lui-même.

Sans cela, en effet, la liberté ne seraitqu'apparente car je resterais soumis à ceux qui pensent à ma place.

La liberté de la volonté appelle comme soncomplément indispensable la liberté de la pensée.

Être libre dans sa pensée n'est pas seulement pouvoir penser ceque l'on veut, mais penser ce qui est vrai.

Nous devons donc montrer à présent que dans le domaine de la pensée, ilne saurait non plus y avoir de maître.

Pourtant c'est là aussi que le maître va changer de visage : d'oppresseur, ildeviendra libérateur avec l'apparition du rapport maître-disciple. [1.

La pensée ne se reconnaît pas de maître.] Si penser n'est pas un pouvoir qui se délègue, c'est que tout le monde est capable de juger de la vérité et que lavérité n'existe que dans l'épreuve intérieure qu'on en fait.

Cela ne signifie pas que tout ce que je pense est vrai,mais que moi seul peut prendre conscience de mes erreurs.

Cela ne signifie pas non plus que je ne m'instruis pasauprès d'autrui — à l'école, dans les discussions, dans les livres...

— mais apprendre, selon l'image platonicienne,n'est pas remplir une bouteille au robinet d'un tonneau ! Quand, par exemple, j'écoute un maître de mathématiquesfaire une démonstration, le comprendre n'est pas recevoir passivement ses paroles, mais c'est opérer pour soi lecheminement qu'il fait, en ressaisir la nécessité intérieure, la vérité.On peut certes appeler « maître » celui qui instruit beaucoup.

Mais ce que j'apprends du maître, en vérité, je nel'apprends que de moi.

Le maître n'est ici que l'occasion qui provoque le savoir ; il n'en est pas la cause.

C'estpourquoi la fidélité à un maître spirituel ne saurait être l'asservissement à la doctrine de ce maître, mais seulement lafidélité à la fidélité qu'avait le maître à l'égard de la vérité.

Socrate apparaît donc comme la figure par excellence dumaître.

En effet, Socrate est un maître, précisément parce qu'il n'enseigne pas.

Platon nous le présente dans leMénon sous les traits d'une sage-femme qui accouche les esprits à eux-mêmes ! Socrate est maître car il se faitserviteur : il ne cherche qu'à rendre chacun à sa propre pensée. [2.

Le maître nous guide.]Nous débouchons là sur un des paradoxes les plus profonds de la philosophie : voilà que le disciple en sait autantque le maître, et même plus puisqu'il juge de ses paroles.

Platon exprime ce paradoxe dans le mythe de laréminiscence.

Tout homme, malgré son ignorance, est déjà, en un sens, dans la vérité, sans quoi il ne pourraitjamais l'atteindre ni même la chercher.

C'est qu'il l'a apprise dans une vie antérieure.

Tout savoir est donc unressouvenir.

Cela n'est qu'un mythe bien sûr, mais il exprime que le rapport maître-disciple existe d'abord à l'intérieurde moi.

Si je ne dois me soumettre à aucun maître extérieur, c'est parce que j'apprends en moi la vérité.

Nouspouvons dire alors, de manière imagée, qu'il y a en nous un « maître intérieur» qui nous enseigne.Le maître extérieur, Socrate, n'est-il cependant que l'occasion qui conduit à ce maître intérieur? La nature de lavérité tend à le faire croire.

Toute vérité, par son universalité, se pose dans son indépendance à l'égard descirconstances et des personnes qui me la font apprendre.

Par l'enchaînement nécessaire qui l'unit aux vérités que jeconnais déjà, elle aurait pu n'être découverte que par moi.

Et cependant aurais-je pu me passer de l'étincelle quidéclenche le savoir? Certes, si nous devions réapprendre par nous-mêmes toutes les connaissances depuis le début— toutes les mathématiques, toute la philosophie, etc.

— mille vies humaines n'y suffiraient pas.

Mais la questionest autre : quand bien même on y mettrait le temps, serait-il possible d'apprendre par soi-même ce que l'on saitgrâce aux maîtres?Le maître n'est en vérité pas seulement l'occasion du savoir.

II est un guide qui nous précède.

Pensons à la manièredont certaines paroles de nos maîtres, d'abord entendues sans être comprises, ont ensuite cheminé en nous,jusqu'au jour où nous nous les sommes appropriées.

La réflexion eût-elle été seulement possible sans ce point demire qu'a constitué le souvenir de ces paroles? Certes, quand nous prêtons ainsi attention à celles des paroles denos maîtres que nous ne comprenons pas, il n'y a pas là un acte de foi : nous ne le croyons pas sur parole, nousfaisons seulement confiance à la fécondité de ses paroles parce que, en bien des occasions, nous en avons déjà faitl'expérience.

S'il n'y a pas de soumission au maître, il ne saurait pourtant y avoir de pensée sans lui et l'horizon qu'ilnous ouvre.

Toute pensée n'est-elle pas alors la méditation de ce que d'autres ont dit, l'interprétation d'un texteque d'autres ont écrit? [3.

Le maître nous libère.]Si le maître doit être ainsi notre guide, c'est qu'un lien nous retient dans l'ignorance.

Ce n'est pas accidentellementque nous sommes à la fois dans l'ignorance et le savoir.

Cette dualité est l'indice d'un asservissement intérieur.Platon a de nouveau recours au mythe pour l'exprimer.

Dans le mythe de la caverne, Platon nous parle d'une chaînequi retient les hommes.

C'est pour cela que nous sommes redevables à un maître qui est alors un libérateur.

S'il n'y apas d'ignorance innocente, si toute ignorance est préjugé et ignorance de soi, un maître est nécessaire.L'universalité de la vérité n'est reconnue que par la singularité de la rencontre.

Certes, le choc initial par lequel jesuis mis en route vers le savoir est rendu inutile sitôt l'éveil provoqué.

Tout le travail du maître est destiné à serendre inutile.

Mais il a été nécessaire, et il l'est à chaque fois qu'une impulsion nouvelle doit nous libérer d'unenouvelle zone d'ombre.. »

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