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Faut-il trouver dans le langage l'origine de toute réflexion intelligente

Publié le 20/03/2004

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langage
Le nom crée l'objet; seul il l'atteint par-delà l'inconsistance des apparences. Mais il crée aussi bien l'existence personnelle. Aux objets dans le monde, correspondent des états d'esprit, dont la seule désignation apporte la résolution des ambiguïtés internes. Se dire : « Je suis malade », ou « je suis amoureux », « je suis timide » ou « je suis avare », c'est trouver le mot de l'énigme, donner un mot à l'énigme des incertitudes personnelles et, par là, déjà dépasser l'incertitude. L'opération du langage nous crée, par-delà le présent, une nature persistante, apte à expliquer le passé, à engager l'avenir » (Ibid., p. 33.) A plus forte raison ne pouvons-nous distinguer les parties d'un tout complexe ou les éléments d'un ensemble qu'en recourant à des mots ou à des signes : à droite, à gauche; les rouges, les bleus. La nécessité du langage s'avère encore plus, indispensable si nous voulons déterminer la nature d'un objet ou la cause d'un fait. On n'explique, en effet, qu'en ramenant la donnée nouvelle à une donnée connue.
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« II.

— MAIS NON ORIGINE.

DE TOUTE RÉFLEXION Après avoir fait si large la part de la parole dans l'activité réfléchie de l'homme, nous pouvons, sans crainte d'avoirfermé les yeux devant les faits qui avaient suggéré sa théorie à CONDILLAC, répondre par un « non » catégorique àla question que nous nous étions posée.

Non seulement il ne faut pas, mais encore on ne peut pas trouver dans lelangage l'origine de la réflexion intelligente. a) D'abord le langage n'est pas, dans l'humanité, l'origine du pouvoir de réfléchir; c'est, au contraire, le pouvoir deréfléchir qui conditionne la formation et l'acquisition du langage.Si l'homme s'est créé un langage, c'est qu'il est naturellement capable de réflexion.

Son esprit n'enregistre paspassivement les impressions faites par les choses : réfléchissant sur les données de sa conscience et de ses sens, ilperçoit des rapports; il remarque en particulier le rapport qui existe entre certains signes naturels et les étatsintérieurs que ces signes manifestent ou les actions qu'ils miment.

De là, l'idée de les produire dans le but de faireconnaître aux autres ce qu'ils signifient : dès lors, de spontané le signe devient intentionnel, et la création d'unlangage est amorcée.

C'est faute de ce pouvoir naturel de réflexion que l'animal est incapable, non seulement decréer, mais encore d'apprendre et d'utiliser une véritable langue.

Le comportement d'un jeune chien ou d'un jeunesinge ne diffère pas de celui du petit enfant : à leurs mouvements, à leur mimique ou à leurs cris on comprend cequ'ils éprouvent ou ce qu'il désirent.

Mais ces signes naturels, l'animal n'arrivera jamais à les détacher des étatsqu'ils expriment pour les produire dans le but essentiel d'exprimer ce qu'ils signifient.

C'est donc en pure perte qu'onessaierait de lui apprendre une langue; s'il s'en servait, ce ne serait jamais qu'à la manière d'une machine, parassociations irréfléchies : on ne voit pas que la connaissance de quelques mots du vocabulaire de l'homme donne auperroquet la moindre supériorité intellectuelle sur ses congénères. b) Chez l'enfant, l'antériorité de la réflexion par rapport au langage n'est pas seulement conclue, mais observée.

Ils'étonne, est intrigué, réfléchit, bien avant de prononcer son premier mot.Sans doute, sa réflexion n'ira pas bien loin tant qu'il ne participera pas, grâce à la connaissance de sa languematernelle, à la pensée de son milieu éducateur.

Mais l'acquisition de cette langue est elle-même conditionnée parune longue attention réfléchie : cette attention peut s'observer chez le petit enfant qui essaie de comprendre ou dese faire comprendre, mais elle éclate dans des cas privilégiés pour le psychologue comme celui de malheureuxsourds-muets-aveugles qui découvrent, à un âge où ils devraient parler couramment, ce que c'est qu'un signe.

Qu'ilnous suffise d'évoquer le souvenir d'Helen KELLER.

réfléchissant avec effort sur les signes "w - a - t - e - r" queMiss SULLIVAN lui traçait dans une main, tandis que l'autre recevait le jet d'eau fraîche du robinet.

C'est bien laréflexion qui est à l'origine de l'acquisition du langage. c) Chez l'adulte, enfin, bien que l'habitude ait si étroitement fondu ensemble langage et pensée qu'il puisse paraîtrechimérique de tenter une dissociation, on peut, nous semble-t-il, découvrir une réflexion confuse précédant touteparole intelligente.Observons ce qui se passe quand nous écrivons.

Parfois, nous sommes inspirés, disons-nous : les mots viennentd'eux-mêmes, habillant une pensée qui semble cheminer parallèlement à eux.

Dans d'autres cas, nous devonstâtonner, multiplier les ratures, autant pour assurer la suite logique du développement que pour parvenir au termejuste.Sans doute, la parole intérieure paraît rigoureusement contemporaine de la pensée, qu'elle exprime lorsque nousinventons sans effort (...).

Biais, lorsque nous inventons avec effort, la plupart du temps la pensée nous apparaîtavant son expression. Dans la composition inspirée, la pensée et son expression semblent contemporaines, et l'on peut croire parfois,suivant le mot de JOUBERT, qu'« on ne sait ce que l'on voulait dire que quand on l'a écrit ».

Cependant, le motmême d'inspiration par lequel on exprime l'état dans lequel on se trouve indique bien l'influence d'une pensée dont lesmots qui l'expriment font prendre conscience, mais qui les précède et préside à leur choix; sans elle, la propriété destermes qui se présentent serait inexplicable.L'action de cette pensée encore confuse qui devance légèrement son expression est encore plus sensible dans lecas d'une composition laborieuse.

Lorsque nous revenons sur une phrase par laquelle nous avons voulu exprimer lerésultat de notre réflexion, que se passe-t-il ? Nous comparons la pensée qu'exprime la phrase avec celle que nousavions et qui reste présente à l'esprit, et constatant d'ordinaire qu'elles ne concordent pas, nous tâchons de nousrapprocher d'une concordance parfaite : ici encore nous trouvons une pensée antérieure à son expression.

Sansdoute, des idées nouvelles peuvent surgir de nos réflexions sur une expression maladroite; mais celle-ci n'est quel'occasion de nouveaux départs : ce n'est pas ce qu'elle dit qui nous éclaire; la lumière vient de la pensée, qui sansdoute prend conscience d'elle-même en s'exprimant, mais qui conditionne la découverte de l'expression juste.Comme dit DELACROIX p.

422), « nous apprenons notre pensée par notre parole », mais en l'apprenant nousconstatons qu'elle nous est venue juste pour se trouver les mots qui la formulent. CONCLUSION. — Pour faire la synthèse des deux parties de notre exposé, nous pourrions dire que langage et réflexion se conditionnent réciproquement : suivant une heureuse formule de DELACROIX, « la pensée fait le langageen se faisant par le langage » (p.

415).Mais si le conditionnement de leur progrès semble réciproque, il n'en est pas de leur origine première : la réflexionjouit d'une priorité sans laquelle la création d'une langue serait inexplicable et si, une fois créés, les mots sont deprécieux instruments de pensée « leur efficace leur vient précisément de ce qu'ils sont des moments de la pensée etl'analyse de la pensée elle-même » (DELACROIX, Les grandes formes, p.

143-144).Aussi notre dernier mot sera-t-il pour prendre le contre-pied de la théorie de CONDILLAC : loin que le langage soitl'origine de toute réflexion intelligente, c'est dans la réflexion qu'on trouve l'origine de tout langage intelligent.. »

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