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3 février 1848. Jules Michelet, l'Étudiant

Publié le 25/04/2011

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michelet

« La science n'a pas, croyez-le bien, le monopole de la sagesse. Il y a la sagesse instinctive, la rectitude de l'instinct naturel, dont il faut aussi tenir compte, il y a l'inspiration populaire, il y a l'expérience pratique de ceux qui font et qui souffrent, qui portent le plus lourd poids de la vie. Consultez l'histoire. Elle vous montre des sociétés qui existent pendant des milliers d'années, où la spéculation est inconnue encore. — L'humanité eût péri cent fois, s'il eût fallu attendre que les théories fussent nées, pour créer l'ordre social qui assurait son salut. Religions, institutions, poésies, tout cela a fleuri spontanément du génie populaire. Puis quelques-uns ont écrit, rédigé, résumé, imposé de haut aux autres ce qui fut l'œuvre de tous. La matrice du genre humain, c'est la sagesse instinctive, celle des masses populaires. C'est elle qui commence tout, qui commence surtout sa rivale, la sagesse philosophique; elle la suit modestement, mais finalement encore, c'est elle qui contrôle tout. En elle est le droit du peuple. La nature que Rousseau atteste, est un mot trop vague, employé dans des sens trop différents pour en faire la base du droit. Lui-même, dans ses premiers discours, semble y voir l'excellence de l'état sauvage, la condamnation des sciences et des arts. Dans l'Émile il y voit l'instinct naturel, bon, mais qu'il faut diriger. Dans le Contrat social, il ne parle plus d'instinct, il semble ne plus connaître que la pensée réfléchie, organiser une cité de sages et de philosophes. Mais la sagesse réfléchie, philosophique, est celle du petit nombre; comment en tirer le droit du gouvernement de tous? Rousseau ne fonde point le droit du peuple; la Révolution non plus : elle ajoute peu à ses théories. Aussi, après eux, revient plus insolent que jamais le gouvernement des minorités. La question, laissée obscure, s'embrouille de plus en plus, avec les écoles bâtardes, éclectiques, de la Restauration. Les doctrinaires arrivent, lesquels, au nom de la philosophie qu'ils n'ont pas, nient l'aptitude des masses: « Arrière le peuple!« Un jour peut-être.

éclairé, formé par nous, il deviendra digne. Aujourd'hui gouvernons seuls. Nous seuls avons la sagesse. Pour le salut du peuple, le peuple ne doit pas se mêler de ses affaires. Voilà comment naïvement les sages de la Restauration ont restauré le droit des petites minorités, le droit que l'on suit encore. A ces vaines théories, trois voix à la fois répondent : La voix du présent, qui nous montre l'impuissance, la stérilité actuelle des classes cultivées qui croyaient pouvoir se passer du concours moral du peuple. La voix du passé; elle montre que le peuple des temps barbares et poétiques a pu, sans culture, dans la rectitude de son instinct naturel, se créer un ordre civil; la philosophie est née des milliers d'années après. Enfin la voix éternelle de l'âme humaine nous montre, dans l'individu, que rien de puissant, de fécond, ne se fait en lui que par le concours de deux forces, inspiration, réflexion. L'inspiration, ou l'instinct, va s'éclairant, se changeant en lumière réfléchie, et, devenue telle, elle revient se revivifier à sa source, l'inspiration. Tel est le roulement de l'âme humaine. Et tel doit être celui de la Cité; son idéal est une âme. Dans la Cité, les hommes instinctifs et inspirés doivent incessamment se transformer en hommes cultivés, et devenus tels, ayant gagné en lumière, revenir prendre la chaleur au sein des classes instinctives. La Cité n'est nullement une loi fixe et morte de bronze, c'est une initiation, — c'est l'éducation mutuelle de l'ignorant par le savant, et du savant par l'ignorant. Ce que vous appelez ignorance dans les masses, c'est l'instinct, la force instinctive, par moments l'inspiration, toujours la chaleur et la vie. Voilà ce que j'ai dit, trop faiblement, il est vrai, dans mon livre du Peuple, reprenant le fil où Rousseau l'avait laissé, et fondant le droit du peuple sur la sagesse instinctive. « 3 février 1848. Jules Michelet, l'Étudiant. Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées telles qu'elles sont présentées, soit une analyse qui regroupe les idées essentielles. Vous dégagerez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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