Devoir de Philosophie

Le 6 février 1934 : deux témoignages

Publié le 03/02/2011

Extrait du document

« Le 6 février, dans la soirée, tandis que le plus effroyable tumulte régnait au Palais Bourbon, au dehors la manifestation grandiose des patriotes exaspérés dégénérait en une bataille de rues telle que Paris, depuis longtemps, n'en avait pas vu. Les ordres brutaux du président du Conseil et du ministre de l'Intérieur déchaînèrent la police, la garde mobile, sur les anciens combattants porteurs de leurs drapeaux et de leurs insignes, sur les Jeunesses Patriotes1 précédées des élus de la capitale. Des morts, des centaines de blessés jonchaient la place de la Concorde et les voies adjacentes. Du côté des Tuileries, on voyait paraître le drapeau rouge et les mines sinistres de ses sectateurs. Le ministère Daladier qui a ensanglanté Paris ne pouvait pas gouverner la France : elle ne lui pardonnerait pas d'avoir employé son armée à sauver les amis de Stavisky2.    M. Chautemps3 avait glissé dans la boue, M. Daladier tomba dans le sang. Le 7, Paris apprit avec satisfaction la démission du cabinet. «    R. Pinon, « Chronique de la quinzaine « dans Revue des Deux Mondes, 15 février 1934.    1 Ligue créée en 1924    2 Homme d'affaires qui monta diverses opérations frauduleuses; l'escroquerie des bons du Crédit municipal de Bayonne devint l'objet d'un scandale public au début de 1934.    3 Personnalité du parti radical, président du Conseil démissionnaire le 27 janvier 1934.    « Le coup de force fasciste a échoué. Les bandes fascistes... ont attaqué avec une sauvagerie inouïe le service d'ordre à coup de rasoirs, de matraques et de revolvers. La police et la garde mobile ont tiré sur leurs agresseurs. Il y a vingt-neuf morts dont plusieurs gardes mobiles.    La réaction a voulu avoir sa journée. Elle l'a eue... C'était un complot tramé contre le régime républicain... La classe ouvrière est divisée. Elle était hier encore divisée. Le sera-t-elle encore aujourd'hui; demain? «    Le Populaire (socialiste), 7 février 1934    1° Ces deux textes permettent-ils de reconstituer l'enchaînement des événements conduisant au 6 février 1934? 2° Quelles interprétations donnent-ils de ces événements? 3° Quelles conséquences possibles laissent-ils entrevoir pour la vie politique française à court et à moyen terme?     

« 3 Daladier.

Lebrun, président-de la République, fait appel à Daladier (l'homme fort du parti radical) comme présidentdu Conseil.

Daladier retire immédiatement à Jean Chiappe (favorable aux ligues) la Préfecture de police de Paris.C'est ce qui déclenche la journée du 6 février.

L'extrême droite espère obtenir par l'intimidation le retour de Chiappeet le retrait de Daladier qui, le 6 février, présente son gouvernement devant la Chambre des députés.

Certainsligueurs espèrent aussi peut-être installer la dictature ou tout du moins un gouvernement « musclé », après avoirpris d'assaut le Palais Bourbon. Le 6 février : l'interprétation et la réalité 1 Le point de vue des ligues (1er texte) Une « manifestation grandiose » de « patriotes exaspérés » « d'anciens combattants » et « d'élus de la capitale »se déroule pacifiquement place de la Concorde. Sur l'ordre de Daladier, la police donne le signal du combat de rue et la manifestation « dégénère ». Les communistes assistent en spectateurs avec leur « drapeau rouge ». Il y a des blessés et des morts, mais les ligues ont le dernier mot puisque Daladier démissionne. 2 Le point de vue socialiste Il s'agit d'un « coup de force » fasciste prémédité, d'un « complot tramé contre le régime républicain » avec,d'évidence, la volonté de l'abattre. Les fascistes font preuve d'une violence délibérée : matraques, rasoirs, revolvers.

Ce complot a échoué et lagauche désunie va peut-être s'unir. 3 La réalité Il ne s'agissait pas d'une manifestation de masse d'anciens combattants pacifiques, mais d'une émeute organisée pardes activistes entraînés et armés : rasoirs au bout des cannes pour trancher les jarrets des chevaux de la gardemobile, sans doute même quelques revolvers. Mais les objectifs des fascistes ne sont pas aussi clairs que le prétend Le Populaire.

Certains ligueurs ont pu rêverde prendre d'assaut la Chambre des députés et de renverser la République.

Mais les ligues ne sont pas d'accordentre elles, leurs points de ralliement ne sont pas plus communs que leurs objectifs.

Elles veulent le retour deChiappe et la démission de Daladier.

Le 6 février 1934 est une journée de manifestation d'extrême droite qui a tournéà l'émeute.

Ce n'est pas un complot et jamais le régime n'a été en danger. Les conséquences possibles 1 Le Populaire fait état de la division de la classe ouvrière.

En 1920, au Congrès de Tours, la S.F.I.O.

s'est scindéeen deux, quand les 3/4 de ses militants l'ont quittée pour fonder le P.C.

L'année suivante, les communistes ontquitté la C.G.T.

pour créer la C.G.T.U.

Depuis, les communistes considèrent les socialistes comme les alliés de labourgeoisie et pratiquent contre eux la tactique « classe contre classe ».

La méfiance réciproque interdit donc, audébut 1934, toute action commune entre les deux grands partis ouvriers. 2 Vers l'unité de la gauche Après l'émeute, Daladier démissionne, dans un souci d'apaisement.

Il laisse la place à Gaston Doumergue, un radicalconservateur que les ligues acceptent. A gauche, la secousse déclenche un processus unitaire : grève générale de la C.G.T.

le 12 février (à laquelle P.C.

etS.F.I.O.

s'associent), création d'un Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes le 5 mars, unité d'actionP.C.-S.F.I.O.

le 16 juin 1934, élection comme conseiller municipal de Paris de Paul Rivet, candidat unique de lagauche en mai 1935, défilé unitaire de 300000 manifestants le 14.7.1935 et, en janvier 1936, création du Frontpopulaire, vainqueur aux élections de mai 1936. Conclusion Le 6 février 1934 a été le catalyseur de l'union de la gauche, mais cette union n'a été possible que parce que lecontexte international (victoire d'Hitler en Allemagne grâce à la désunion des démocrates) a fait réfléchir les leadersouvriers et les militants.

La journée du 6 février n'est pas une émeute de grande importance.

Qui en parleraitaujourd'hui, si elle n'avait déclenché le processus unitaire qui conduisit au Front populaire?. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles