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George Sand écrit dans une lettre à Flaubert du 12 janvier 1876 à propos de L'Education sentimentale et de Madame Bovary : «La suprême impartialité est une chose anti-humaine et un roman doit être humain avant tout. S'il ne l'est pas, on ne lui sait point de gré d'être bien écrit, bien composé et bien observé dans le détail. La qualité essentielle lui manque : l'intérêt.». Sans vous en tenir nécessairement au roman, vous vous demanderez, à la lumière des phrases précédentes, si l'impar

Publié le 21/12/2010

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« contradictoires, mais creusées et en quelque sorte superposées.

Ainsi lorsque Valmont séduit Mme de Tourvel dansLes Liaisons dangereuses par un acte de charité trop ostentatoire (Lettre 21), nous sommes reconnaissants à Laclos de ne pas commenter cette scène ou alors il faudrait qu'il le fasse avec tellement de nuances que cescommentaires devraient être aussi copieux que le roman lui-même, car certes Valmont est un scélérat condamnablede jouer ainsi avec le bon coeur de Mme de Tourvel pour la séduire (et c'était probablement là le point de vue deLaclos), mais le sens de cette scène est sans doute aussi que Mme de Tourvel est coupable, ou tout au moins d'unenaïveté qui touche à la culpabilité en se laissant attendrir par une charité tout extérieure, qui du reste n'est possibleque dans un univers où ne règne pas la justice (et on ne peut s'empêcher de penser que l'aristocratie à laquelleappartient Mme de Tourvel ne s'est guère préoccupée de cette injustice sociale).

Toute expression de l'opinion del'auteur sur cette scène en diminuerait l'intensité (comme l'observe Camus, l'art, c'est toujours beaucoup d'idéespour peu de phrases et non l'inverse; «perle de la pensée», dit Vigny à propos de la poésie). 2 Un point de vue exprimé est un point de vue qui contraint.

De plus, si Laclos nous donnait son opinion sur la scène de l'aumône, il risquerait de forcer la nôtre.

Or l'oeuvre littéraire est à mi-chemin entre l'oeuvre impartiale(inventaires, rapports, comptes rendus, etc.) et l'oeuvre philosophique ou apologétique qui veut démontrer.

Lemouvement même de l'art, c'est de nous représenter un univers riche de significations qui se dégagent des chosessans être absolument contraignantes.

Le lecteur admet d'être orienté dans ses conclusions, mais non d'y être forcéet mené jusqu'au bout.

C'est là tout le problème de l'oeuvre à thèse : nous admettons qu'un auteur soit partial, maisnous ne voulons pas que cette partialité contraigne la nôtre.

Sartre a bien mis l'accent sur cet échange de libertésque constitue la lecture : certes on peut infléchir notre liberté, on peut lui proposer de liberté à liberté unedirection, on ne saurait la limiter délibérément.

Ainsi Flaubert dans L'Education sentimentale décrit la situation politique d'avant 1848 et montre l'opposition entre d'une part une bourgeoisie capitaliste, égoïste, qui a bonneconscience, et d'autre part une gauche bavarde et, au fond, d'esprit elle-même très bourgeois.

Certes il ne lesrenvoie pas dos à dos et on sent qu'il a plus de sympathie pour la jeunesse libérale.

Mais nous restons libres de nosconclusions, non que Flaubert se borne à proposer impartialement des faits, mais parce que chaque fait est riche designifications multiples.

Ainsi Frédéric, dans le salon des Dambreuse, s'emporte à un moment donné contre les injustices socialesdu régime bourgeois et croit provoquer un petit scandale.

Est-ce là un courage sympathique ? Il y a dans sonattitude une grande part de fatigue, d'énervement, le désir de se montrer séducteur devant Mme Dambreuse.

Lagrande bourgeoisie devant qui il parle lui en veut-elle ? Même pas, et on s'apercevra par la suite qu'elle estindifférente et que les Dambreuse ne garderont nulle rancune à Frédéric.

Finalement, s'il y a une conclusion deFlaubert, c'est peut-être que rien ne fait vraiment choc, que tout est inconsistant.

Mais nous, nous pouvons voirdans cette scène bien d'autres éléments relatifs aux rapports de la droite et de la gauche sous Louis-Philippe :peut-être mauvaise conscience de la droite, goût du cataclysme chez la grande bourgeoisie, verbalisme de lagauche, etc. 3 Un point de vue exprimé est un point de vue qui prêche.

Le plus grave inconvénient cependant qu'il y ait pour un écrivain à restreindre la liberté de son lecteur en lui imposant ses conclusions est que, ce faisant, il aboutitgénéralement à une morale prêcheuse.

Les artistes qui restreignent notre liberté par des jugements précis sur lesfaits et les personnages qu'ils mettent en scène brident en général cette liberté dans un sens moralisateur : c'estpar souci de moraliser qu'un Diderot, un Rousseau, une G.

Sand, un Paul Bourget tirent des conclusions trèsdirectes, très strictes de leurs oeuvres.

Ainsi, à propos de La Nouvelle Héloïse, Rousseau nous agace parfois en déclarant que les rapports entre ses personnages sont des modèles de vertu, alors que justement la beauté de La Nouvelle Héloïse est dans la profonde incertitude où sont sans cesse ses personnages à l'égard de leur devoir : par exemple Julie, qui n'est assez forte ni pour rompre en visière avec sa famille ni pour renoncer à son amour, n'est pasà proprement parler une héroïne vertueuse.

La grandeur de Julie, c'est plutôt de chercher à inventer une moralenouvelle et, aidée par Wolmar, de créer la société de Clarens où de nouveaux rapports entre les êtres se dessinent,dans la confiance mutuelle, le respect des complexités et l'élaboration en commun d'un monde nouveau.

Mais cette«morale»-là n'est justement jamais exprimée d'une façon dogmatique et c'est pourtant ce qu'il y a de meilleur dansLa Nouvelle Héloïse.

De même chez George Sand n'y a-t-il pas tin contraste entre ses prétentions à faire des romans moralisants où elle veut nous dire très exactement où est le Bien, où est le Mal et l'intérêt réel despersonnages qu'elle nous présente : ainsi dans François le Champi (1848) n'y a-t-il pas quelque chose de bien trouble et de quasi incestueux dans les sentiments qui unissent peu à peu Madeleine et François : François, l'enfanttrouvé, est sans doute vertueux d'éprouver tant de reconnaissance pour la belle meunière, sa bienfaitrice, mais sonévolution de la reconnaissance filiale à l'amour, si elle relève d'un hardi freudisme avant la lettre, n'est certes pasexempte d'équivoque morale.

On pourrait faire des remarques analogues à propos des Maîtres Sonneurs où le personnage le plus prestigieux, Joset, est une sorte (l'artiste rustique, génial et un peu maudit, plus ou moins inspirépar Chopin, ri sur lequel G.

Sand se garde bien de porter un jugement simpliste (il est à la fois insupportable etsupérieur).

En fait G.

Sand n'est sans doute pas assez naïve pour se borner à demander à l'artiste de donner un point de vue simple et moralisant sur ses personnages.

Ce qu'elle veut surtout dire, c'est qu'elle n'aime pas ce genrede roman, comme L'Education sentimentale ou Madame Bovary, où l'impartialité est, en fait, volonté d'analyse, de lucidité, avec une sorte de détachement méthodique; à ce genre de roman, elle préfère des romans plus féconds,plus généreux, débordant du miel de la tendresse humaine. III Littérature de fécondité généreuse et littérature d'analyse lucide Nous sommes donc amenés à une réflexion sur deux grandes tendances qui s'opposent ou tout au moins separtagent le domaine des lettres.. »

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