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Le grand homme ?

Publié le 07/02/2004

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Telle est mon hypothèse que la Raison gouverne le monde, qu'elle a donc gouverné et gouverne toujours l'histoire... César fit la guerre [à ses associés] dans le but intéressé de sauvegarder sa vie, son honneur et sa sécurité... Mais ce que lui assura l'accomplissement de cette fin (le pouvoir pour lui seul à Rome) était en même temps en soi un processus nécessaire dans l'histoire de Rome et du monde... Voilà le rôle des grands hommes dans l'histoire. Leur propre but privé s'identifie avec l'essence de la volonté de l'Esprit Universel. [Aux peuples] le grand homme montre, et il accomplit ce qui est leur propre tendance, immanente en eux. » (HEGEL, Introduction à la Philosophie de l'histoire.) L'histoire n'est que la réalisation de l'idée de liberté (Hegel). La formule exacte qui figure dans les « Leçons sur la philosophie de l'histoire » (1837) est : « L'histoire universelle présente le développement de la conscience qu'a l'esprit de la liberté, et de la réalisation produite par une telle conscience. » Dans ce texte formé de notes de cours, Hegel signe la première grande philosophie de l'histoire, en prétendant montrer que l'ensemble du passé humain n'est pas livré au hasard, mais présente une rationalité et une nécessité que l'on peut ressaisir.

« "Lorsque nous considérons ce spectacle des passions et les conséquences de leur déchaînement, lorsque nous voyons la déraison s'associer non seulement aux passions, mais aussi et surtout aux bonnes intentions etaux fins légitimes, lorsque l'histoire nous met devant les yeux le mal, l'iniquité, la ruine des empires les plusflorissants qu'ait produits le génie humain, lorsque nous entendons avec pitié les lamentations sans nom desindividus, nous ne pouvons qu'être remplis de tristesse à la pensée de la caducité en général.

Et étant donnéque ces ruines ne sont pas seulement l'oeuvre de la nature, mais encore de la volonté humaine, le spectacle del'histoire risque à la fin de provoquer une affliction morale et une révolte de l'esprit du bien, si tant est qu'un telesprit existe en nous.

On peut transformer ce bilan en un tableau des plus terrifiants, sans aucune exagérationoratoire, rien qu'en relatant avec exactitude les malheurs infligés à la vertu, l'innocence, aux peuples et auxEtats et à leurs plus beaux échantillons.

On en arrive à une douleur profonde, inconsolable que rien ne sauraitapaiser.

Pour la rendre supportable ou pour nous arracher à son emprise, nous nous disons: Il en a été ainsi;c'est le destin; on n'y peut rien changer; et fuyant la tristesse de cette douloureuse réflexion, nous nousretirons dans nos affaires, nos buts et nos intérêts présents, bref, dans l'égoïsme qui, sur la rive tranquille,jouit en sûreté du spectacle lointain de la masse confuse des ruines.

» HEGEL 1) Le spectacle de l'histoire provoque un triple mouvement de désolation, qui conduit de la tristesse àl'affliction pour atteindre la douleur profonde.

Hegel dépeint avec minutie ces étapes.2) Se réfugier dans l'égoïsme (nos affaires, nos buts, nos intérêts) est une solution possible pour échapper àcette réflexion née de la contemplation des ruines du passé. 1.

Le premier mouvement de tout ce passage marqué par l'emphase oratoire (et la répétition des « lorsquenous ») débouche sur la tristesse que nous, observateurs associés à Hegel, ne pouvons manquer d'éprouver «à la pensée de la caducité en général ».Certes , ayant le recul des observateurs qui regardent de loin la suite des événements humains, « nousconsidérons » ce qui apparaît comme un spectacle.

Ayant le réalisme des observateurs, nous sommes capablesde comprendre les mécanismes qui font réellement agir les hommes.

Ici, pas de place à l'entendement, mais lechamp est laissé libre aux passions ; pas de mesure, mais le déchaînement.Alors que la raison s'oppose à la passion (et la freine, sinon l'enchaîne), l'histoire nous montre l'association de ladéraison (la folie) et la passion.

Ce qui, somme toute, va de soi.

Mais, plus fou encore, ce qui est bien (lesbonnes intentions, les fins légitimes) est perverti par la déraison : ce sont les bonnes intentions et les finslégitimes qui produisent le mal et l'illégal.

Tout à l'heure nous devinions les hommes dans la multiplicité de leursactions individuelles, maintenant, c'est l'histoire abstraite qui commande et nous considère comme desspectateurs (« l'histoire nous met devant les yeux »).

Les personnages du théâtre deviennent des entités : lemal, la corruption des moeurs (« l'iniquité »).

Le décor : la ruine des empires.

L'histoire, avec ses ruines, esttoujours plus forte que l'homme avec ses empires.

Enfin nous entendons les plaintes bruyantes (« leslamentations ») des individus qui pleurent sur la ruine de leurs cités, tout comme Jérémie pleurait sur ladestruction de Jérusalem par les Chaldéens.La contagion des cris de douleur, présents ici-même (« nous l'entendons »), est plus forte que le spectacle.Nous-mêmes ne pouvons « qu'être remplis de tristesse ».

C'est le moment de la réflexion, nourrie desmouvements précédents, exprimant la pensée la plus générale : tout menace d'être ruiné.

Cette « pensée de lacaducité en général » reprend de manière laïque « la vanité des vanités, tout est vanité » de L'Ecclésiaste.Le second mouvement nous conduit à l'affliction morale.

Il désigne les acteurs de l'histoire, d'une part lanature, d'autre part les hommes (avec leur volonté du mal).

D'où un double sentiment humain, d'une partl'affliction morale, d'autre part une révolte.

Il est possible de faire autrement.

Certes nous pouvons pleurer surles ruines provoquées par une nature à la fin toujours plus forte que l'homme, mais pour ce qui est de l'homme,et de ses exactions, une autre histoire est sans doute possible.Bien qu'un instant nous puissions en douter (« si tant est »), le spectacle du monde ne nous a-t-il pas apprisqu'il n'y a pas, dans tout ce que nous avons vu, d'esprit du bien.

Alors échapperions-nous à la règle commune.Oui, sans doute, les sentiments qui sont les nôtres (tristesse, affliction, douleur) témoignent de notre moralité.Le troisième mouvement, où nous passons du spectacle au tableau, est encore plus terrifiant.

Loin de l' «exagération oratoire » - qui emporterait peut-être l'adhésion, mais qui, manipulatrice, est ici parfaitementinutile – il suffit, dit Hegel, seulement (« rien qu'en ») de relater (c'est le propre de l'histoire d'être une relationavec exactitude...

Autrement dit, ce qui pourrait être décrit est exact.

Plus de dénonciation de la nature,comme responsable des ruines.

Mais une accusation portée cette fois uniquement contre l'homme.

Car c'estbien une activité humaine qui « inflige » délibérément...

Triomphe du mal, avec son cortège de malheurs, duvice sur la vertu, de la perversion contre l'innocence.

Et qui fait de l'histoire un malheur généralisé, où tout estcorrompu, puisque le mal, comme la peste, porte tout aussi bien sur les personnes, sur les peuples, sur lesEtats.

Et qui en vise « les plus beaux échantillons ».

Rien n'est épargné, aussi rien ne saurait nous apaiser.

Aumalheur le plus haut répond la douleur la plus profonde. 2.

Mais , avec ironie, Hegel note que cette douleur, qui certes nous frappe, mais qui est relative auxsouffrances des autres, dans le passé, ne nous laisse pas sans voix.

Elle ne nous empêche pas de formuler ennous-mêmes les sentences toutes faites du sens commun.

Car ce spectacle, tout horrible qu'il fut, nous n'yparticipons pas, il était pensé, plutôt que vu.

Et, en fin de compte, c'est cette pensée seulement (« cettedouloureuse réflexion ») qui était pénible.

Les sentences (prononcées en forme d'épitaphes) viennent déjàatténuer les choses.Formulation creuse qui ne fait rien que répéter ce qui est déjà : « il en a été ainsi ».

Invocation d'une force. »

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