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Gustave FLAUBERT: Madame Bovary - Emma, épouse Charles

Publié le 01/09/2006

Extrait du document

flaubert

Emma, épouse du médecin Charles Bovary, a pris un amant, Rodolphe ; elle espérait partir avec lui. Rodolphe se dérobe : elle vient de recevoir une lettre de rupture. " Tout épouvantée, (...) haletante, éperdue, ivre ", elle fuit jusqu'à la mansarde située au second étage de sa maison. En face, par-dessus les toits, la pleine campagne s'étalait à perte de vue. En bas, sous elle, la place du village était vide, les cailloux du trottoir scintillaient, les girouettes des maisons se tenaient immobiles ; au coin de la rue, il partit d'un étage inférieur une sorte de ronflement à modulations stridentes. C'était Binet qui tournait. Elle s'était appuyée contre l'embrasure de la mansarde et elle relisait la lettre avec des ricanements de colère. Mais plus elle y fixait d'attention, plus ses idées se confondaient. Elle le revoyait, elle l'entendait, elle l'entourait de ses deux bras ; et des battements de coeur, qui la frappaient sous la poitrine comme à grands coups de bélier, s'accéléraient l'un après l'autre, à intermittences inégales. Elle jetait les yeux autour d'elle avec l'envie que la terre croulât. Pourquoi n'en pas finir ? Qui la retenait donc ? Elle était libre. Et elle s'avança, elle regarda les pavés en se disant : Allons ! allons !Le rayon lumineux qui montait d'en bas directement tirait vers l'abîme le poids de son corps. Il lui semblait que le sol de la place oscillant s'élevait le long des murs, et que le plancher s'inclinait par le bout, à la manière d'un vaisseau qui tangue. Elle se tenait tout au bord, presque suspendue, entourée d'un grand espace. Le bleu du ciel l'envahissait, l'air circulait dans sa tête creuse, elle n'avait qu'à céder, qu'à se laisser prendre ; et le ronflement du tour ne discontinuait pas, comme une voix furieuse qui l'appelait. Ma femme ! ma femme ! cria Charles.Elle s'arrêta. Où es-tu donc ? Arrive !L'idée qu'elle venait d'échapper à la mort faillit la faire s'évanouir de terreur.

Vous ferez de cet extrait un commentaire composé que vous organiserez à votre gré. Vous pourrez par exemple étudier comment sont exprimés le tourment et le désespoir d'Emma et quels échanges se produisent entre le monde extérieur et l'héroïne.

• Il n'est d'ordinaire pas nécessaire d'avoir lu les oeuvres dont sont tirés les sujets. Un roman aussi célèbre que Madame Bovary cependant est censé être connu de la plupart d'entre vous. Lisez-le ou rafraîchissez votre mémoire. • Il est ainsi utile de savoir qu'Emma finit par se suicider à l'arsenic après de nouvelles déceptions. Lisez en particulier le chapitre 8 de la partie III, très proche de notre passage. • Flaubert, représentant du réalisme, refuse l'intrusion de l'auteur dans le roman et décrit ses personnages de l'extérieur : analysez le texte selon ce point de vue. Certains détails ne trahissent-ils pourtant pas son point de vue ? • Suggestions : 1. Étudier les sonorités des lignes 10-11 et 18-19 (allitérations en [k], [l], [s]). Que traduisent-elles ? 2. Les pensées d'Emma sont exprimées tantôt au style direct, tantôt au style indirect ou indirect libre. Quel est l'effet obtenu ? 3. Le cadre de la scène est évoqué dans le premier et le troisième paragraphe : quels sont les changements intervenus?

flaubert

« 3.

les techniques de la narration. I.

Le choix du cadre et la crise d'Emma 1.

Le cadre• La solitude- la mansarde est la pièce la moins fréquentée de la maison.- la fenêtre s'ouvre sur un paysage désert, avec la « pleine campagne » qui s'étale « à perte de vue » (l.

1-2) ;aucun passant sur la place vide.

Emma entend Binet sans le voir, grâce à sa situation élevée.• Le calme- le beau temps fige le paysage sous une lumière constante : ciel bleu (l.

20), pavés scintillants (l.

3).- l'absence de vent est notée par l'immobilité des girouettes (l.

3).• Un bruit habituel : le ronflement du tour, familier à l'héroïne, puisqu'il s'agit du loisir favori de son voisin. 2.

La criseCe cadre permet de se concentrer sur un événement sentimental très important pour cette femme émotive.

Desmanifestations psychologiques et physiologiques intenses se déclarent.• Emma traverse une série de sentiments violents : colère (l.

7), passion amoureuse revécue par le souvenir (l.

8-9),désespoir qui pousse au suicide (l.

12-23), terreur devant son geste (l.

27-28).• Aux sentiments correspondent des réactions physiques spectaculaires : ricanements (l.

7), perte de consciencedu lieu et du temps (l.

7-8), battements de coeur précipités (l.

9-11), yeux hagards (l.

12), vertige (l.

17-23).Cependant le texte ne se borne pas à la description banale d'une tentative de suicide favorisée par la situationélevée.

Des liens complexes se nouent entre la femme et le paysage, permettant d'expliquer l'enchaînement desfaits.II.

Échanges complexes entre le monde extérieur et l'héroïne 1.

Le mouvementAu début de la crise, paysage et personnage sont immobiles et séparés l'un de l'autre par la fenêtre.

Mais bientôtl'émotion provoque une fusion entre les deux.• Emma entre peu à peu dans le tableau : d'abord simplement « appuyée contre l'embrasure » (l.

6), elle s'avance etregarde les pavés (l.

13-14), puis se tient « tout au bord, presque suspendue » (l.

19-20).• Mélange de l'inanimé et de l'animé : le vertige lui donne l'impression que tout bouge d'un mouvement ascendant etdescendant.- A l'extérieur la lumière monte « d'en bas directement » et la tire vers le sol (l.

16-17), la place même oscille ets'élève « le long des murs » (l.

18).- A l'intérieur le plancher tangue (l.

18-19).

Paradoxalement c'est la femme qui se retrouve immobile, « suspendue »(l.

20).• La fusion totale est opérée par l'intrusion du ciel, couleur et matière, dans le cerveau d'Emma vidé de toutepensée (« Le bleu du ciel l'envahissait, l'air circulait dans sa tête creuse », 1.

20-21) et de toute volonté (« ellen'avait qu'à céder, qu'à se laisser prendre », l.

21-22).

L'initiative appartient désormais entièrement à la nature. 2.

le bruitCet élément primordial accompagne la scène et cause sa fin.• Le ronflement encadre la crise : d'abord familier et fondu dans le cadre (l.

4-5), il commence avec l'arrivée d'Emma(« il partit...

» l.

4) puis devient un agent du vertige sous la forme d'une « voix furieuse » qui lance un appelpressant vers le bas (l.

23).• Il correspond au bruit intérieur : le rythme et l'intensité des battements du coeur, aux « intermittences inégales »(l.

11), ressemblent aux « modulations stridentes » du tour (l.

5).• Par un fondu enchaîné auditif, la voix de Charles se superpose à cet appel et provoque le retour salvateur à laconscience. III.

Technique de la narration I.

Le point de vue du personnageCette analyse concrète et précise, quasi médicale, correspond au mouvement littéraire du réalisme.

Mais leromancier préconisait aussi l'absence totale de l'auteur, qu'il s'agisse de son point de vue ou d'un jugement moral.

Ilfaut selon lui se transporter dans les personnages.

Cette exigence est particulièrement nette ici, où malgré un récità la troisième personne toute la scène est vécue par Emma.• L'extérieur- paysage vu par l'encadrement de la fenêtre (« En face », « en bas, sous elle », « au coin de la rue »).

Lemouvement de la description suit le mouvement des regards.- identification des bruits, comme dans la vie, après leur audition (« c'était Binet qui tournait », l.

5, « cria Charles», l.

24).• Les gestes sont décrits de l'extérieur mais la plupart du temps Flaubert joint dans la même phrase les sentiments :. »

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