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Guy de MAUPASSANT, Préface de Pierre et Jean

Publié le 10/03/2011

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Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc, - ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.

La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classées au chapitre faits divers. Voilà pourquoi l'artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'à-côté. Un exemple entre mille : Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d'un personnage principal, ou le jeter sous les roues d'une voiture, au milieu d'un récit, sous prétexte qu'il faut faire la part de l'accident? La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits ou les traîne indéfiniment. L'art, au contraire, consiste à user de précautions et de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale qu'on veut montrer. Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes. Quel enfantillage, d'ailleurs, de croire à la réalité puisque nous portons chacun la nôtre dans notre pensée et dans nos organes ! Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de vérités qu'il y a d'hommes sur la terre. Et nos esprits qui reçoivent les instructions de ces organes, diversement impressionnés, comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait à une autre race. Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion poétique, sentimentale, joyeuse, mélancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l'écrivain n'a d'autre mission que de reproduire fidèlement cette illusion avec tous les procédés d'art qu'il a appris et dont il peut disposer.  

Illusion du beau qui est une convention humaine ! Illusion du laid qui est une opinion changeante! Illusion du vrai jamais immuable ! Illusion de l'ignoble qui attire tant d'êtres ! Les grands artistes sont ceux qui imposent à l'humanité leur illusion particulière. Guy de MAUPASSANT, Préface de Pierre et Jean, 1888.

Un artiste réaliste doit nous transmettre une réalité plus vraie que la Réalité. Dans la multiplicité des faits réels, il faut choisir; car ils sont composites, illogiques, fragmentaires, tous sur le même plan, qu'ils soient secondaires ou importants. L'art, lui, nuance, relie, compose, trie les faits, devenus ainsi plus vrais que la Réalité dont ils donnent l'illusion. Pas de Réalité absolue d'ailleurs, car à chacun sa vérité, illusoire et subjective, sur tous problèmes. C'est la sienne que transmet l'artiste [et tous les absolus ne sont que relatifs], mais de particulière elle devient universelle, s'il est digne de ce nom.   

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« s'il est digne de ce nom.

Analyse Dans cet extrait de la Préface de Pierre et Jean, Maupassant prend position contre la doctrine du réalisme voulantque le roman soit « une tranche de vie ».

Or il constate que la vie est constituée de faits composites, d'importanceinégale - souvent même sans importance - et beaucoup trop nombreux; qu'il leur manque une composition, un ordrelogique, un relief.

La vie telle qu'elle est ne peut donc, affirme-t-il, devenir matière artistique.

L'art doit choisir, puisconstruire un ensemble agencé qui soit plus vrai que le vrai, pour pouvoir en donner l'illusion.

D'autre part, l'artisteinfluence l'orientation de son œuvre par sa propre vision de la réalité.

Celle-ci devient sa réalité, qui n'est pas levrai, mais un vrai subjectif.

Ce sont donc des absolus -fort relatifs ! - qu'il va transmettre.

Mais il est un grandartiste s'il les rend crédibles aux autres, et parvient à donner à ces faits particuliers une valeur d'universalité que laRéalité, elle, ne peut obtenir. Sujet possible de discussion • « Le Réaliste, s'il est un artiste, cherchera non à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous endonner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.

» Expliquer et discuter. Plan détaillé Introduction • Maupassant, émule de Flaubert. • Célèbre grâce à ses contes : Boule de Suif, le Horla, Mlle Fifi...

ou romans : Une vie, Pierre et Jean..., œuvressouvent très âpres, parues à partir de 1880 dans la presse quotidienne ou mensuelle. • Il y peint, influencé par Flaubert, les aspects « Vu[s] et dit[s] par personne », dans maints milieux, paysans,employés, bourgeois...

• Pourtant dans la Préface de Pierre et Jean, il prend position contre les écoles Réaliste et Naturaliste et leurprétention à ne montrer « que la Vérité, toute la Vérité ». • Il affirme qu'un artiste ne doit pas se contenter d'une « photographie banale de la vie ». • Esthétique originale donc. • Alors?...

l'œuvre d'art doit-elle donner au lecteur « une vision plus complète...

que la Réalité même? » I.

Le « Réaliste », observateur de la Réalité.. • Précision préliminaire : - tandis que la vision romantique est «poétique», «surhumaine -, cf.

G.

Sand affirmant : « l'art n'est pas une étudede la Réalité positive, c'est une recherche de la vérité idéale », - les écoles Réaliste, puis Naturaliste affirment la nécessité d'une observation précise de la Réalité. - cf.

Balzac : « J'allais observer les mœurs des faubourgs, ...habitants et...

caractères ».

Il fait « concurrence àl'état civil », veut être « le naturaliste de la société ».

La Comédie humaine représente la vie française sous laRestauration et la monarchie de Juillet. - cf.

aussi Stendhal qui « promène »...

« un miroir »...

« le long d'un chemin »; qui a puisé une partie de l'histoiretragique de Julien Sorel dans un fait divers réel, l'affaire Lafargue (Le Rouge et le Noir) et donne à son roman cetteépigraphe de Danton : « la Vérité, l'âpre Vérité ». - Autre observateur minutieux du réel, Flaubert.

Le sujet et les personnages de Mme Bovary correspondent à desfaits exacts (Delphine Couturier, mariée à un officier de santé Delamare; Ry où il exerçait ressemble beaucoup àJonville où se situe le roman; études approfondies de Flaubert à l'Hôtel-Dieu de Rouen sur les empoisonnements àl'arsenic...). - Les frères Goncourt se voient en « raconteurs du présent »; ils ont la passion des documents « d'après nature »;ex.

: Sœur Phi-lomène est l'histoire d'une infirmière qu'ils ont vue à l'Hôtel-Dieu de Rouen; ils ont passé plusieursjours à cet hôpital pour « faire des études sur le vrai, sur le vif, sur le saignant ». - D'ailleurs Zola chez qui l'observation du réel progresse encore, a découvert sa vocation en lisant Germinie. »

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