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Est-ce que les historiens ne se contentent-ils pas de raconter des histoires ?

Publié le 03/09/2005

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Qu'est-ce qui motive dès lors le choix de l'une ou de l'autre des manières de faire de l'histoire ? N'y a-t-il pas autant d'histoires que d'historiens ? Tous sont loin de s'accorder sur la lecture d'un même événement historique, sur l'idée même d''histoire' ! On ne saurait nier la subjectivité propre à l'historien. 'La conscience de l'histoire est une conscience dans l'histoire', écrira R. Aron dans Dimensions de la Conscience historique. Autrement dit, l'historien est fils de son temps et de son époque. Même si, comme le propose Marron dans De la connaissance historique, la subjectivité se surmonte, par la prise de conscience de la singularité spécifique à l'historien, pour atteindre l'objectivité scientifique, il n'en demeure pas moins que les diverses approches de l'histoire sont historiquement incarnées. C'est pourquoi, il n'existe pas, historiquement, qu'une seule écriture de l'histoire (histoire chronologique, événementielle, structurale, Nouvelle histoire). Chaque époque écrit l'histoire selon l'idée qu'elle se façonne de l'homme dans le temps. On peut retracer l'histoire des civilisations à travers l'histoire des manières d'écrire le passé humain.

« L'histoire n'est plus pure épopée romanesque Ce va-et-vient permanent est la matière même du travail de l'historien.L'historien s'oriente selon différentes approches pour lesquelles ‘raconter des histoires' n'est qu'une manière defaire de l'histoire.

Si le travail de l'historien se plie à la vérification, il est conduit par l'idée qu'il se forge de ce qu'ilcherche dans l'histoire.

Or, cette approche n'est pas unique.

Il existe une multiplicité de faire de l'histoire, lesmanières d'écrire l'histoire ont elles-mêmes une histoire ! Et ‘raconter des histoires' n'est pas la plus judicieuse etpertinente.

Faut-il privilégier l'histoire dite ‘événementielle' au détriment de l'histoire ‘structurale' ? Par exemple, onpeut étudier la Révolution française en décrivant minutieusement la consécution des événements qui la constituent.On peut à l'inverse en rechercher les causes profondes : nature de l'Ancien Régime, rôle des idées, notamment laphilosophie des Lumières, réalités économiques et sociale.

Ainsi, l'école des Annales' — courant qui s'impose enFrance dès les années trente qui tient son nom à la revue où s'exprimaient les historiens de cette tendance —destituera l'événement de son statut primordial.

L'historien entre alors en ‘profondeur', dira L.

Febvre, dansl'épaisseur historique en exhumant les dimensions de la vie quotidienne, les mouvements de longue durée...important plus que la chronologie des faits touchant la vie politique.

Pour F.

Braudel, notamment dans Écrits sur l'histoire, l'histoire événementielle se tient à la surface de la réalité historique.

Sous ‘l'écume de l'histoire', dira élégamment un historien contemporain, G.

Duby, on peut relever d'abord des mouvements de fonds, puis unehistoire sociale, c'est-à-dire celle des groupes (économie, État, société civile, civilisation, etc.) ; enfin, une histoirequasi-immobile telle que l'histoire géographique relative aux rapports entre l'homme et son milieu naturel.

Sur cepoint, on se référera, pour être convaincu, au bel ouvrage de F.

Braudel : La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II .

Cette discussion des différentes façons d'écrire l'histoire repose sur une philosophie de l'histoire : les hommes sont-ils les agents, les acteurs ou les auteurs de l'histoire ? Quel est le moteurde l'évolution historique ? Le marxisme est assurément une illustration significative de cette articulation entrehistoire et philosophie de l'histoire.

L'historiographie marxiste met en évidence le rôle des structures économiques etdes rapports sociaux impliqués en elles.

Cette conception relève de la philosophie du matérialisme historique etdialectique.

La production des biens économiques détermine les rapports sociaux et au-delà, les institutionspolitiques, la religion, l'art...

L'‘infrastructure' socio-économique conditionne la ‘superstructure' idéologique, expliqueMarx dans L'Idéologie allemande .

S'il est évident que la philosophie de l'histoire ne doit pas prendre le pas sur la mise à l'épreuve des faits, elle n'en est pas moins incontournable.

N'est-ce pas dire que toute approche de l'histoire estelle-même historiquement et philosophiquement située ?Qu'est-ce qui motive dès lors le choix de l'une ou de l'autre des manières de faire de l'histoire ? N'y a-t-il pasautant d'histoires que d'historiens ? Tous sont loin de s'accorder sur la lecture d'un même événement historique, surl'idée même d'‘histoire' ! On ne saurait nier la subjectivité propre à l'historien.

‘La conscience de l'histoire est une conscience dans l'histoire', écrira R.

Aron dans Dimensions de la Conscience historique .

Autrement dit, l'historien est fils de son temps et de son époque.

Même si, comme le propose Marron dans De la connaissance historique , la subjectivité se surmonte, par la prise de conscience de la singularité spécifique à l'historien, pour atteindrel'objectivité scientifique, il n'en demeure pas moins que les diverses approches de l'histoire sont historiquementincarnées.

C'est pourquoi, il n'existe pas, historiquement, qu'une seule écriture de l'histoire (histoire chronologique,événementielle, structurale, Nouvelle histoire).

Chaque époque écrit l'histoire selon l'idée qu'elle se façonne del'homme dans le temps.

On peut retracer l'histoire des civilisations à travers l'histoire des manières d'écrire le passéhumain.

Ce n'est pas tant l'historien en sa singularité qui raconte l'histoire, qu'à travers lui, l'Histoire qui parle.

Il nese réduit pas, loin sans faut, au conteur, car il est le regard d'un temps sur un autre temps.

Ce qui ne manque pasde poser problème : les hommes du passé ne doivent pas être radicalement autres que ce que nous sommes, sansquoi il serait impossible de les comprendre.

Et depuis lors, aucune histoire ne pourrait être écrite : il faut pouvoirentrer dans ce qui a été leurs vues politiques, leurs croyances, leurs conceptions scientifiques du monde, leursmodes de vie, leurs philosophies...

pour pouvoir en constituer un objet d'étude.

L'historien ne saurait être àl'extérieur de son objet.

On ne fait pas de l'histoire comme on fait de la physique.

Mieux, il doit, comme lerecommande M.

Scheler, être capable de ‘sympathie', cette ‘affinité prévenante pour l'autre' (Nature et Formes de la sympathie), de ‘compréhension' envers les faits qu'il décrit.

Comment, en effet, faire un travail d'histoire religieuse, si l'historien est totalement dépourvu de l'expérience de la vie spirituelle, de sens religieux ? Inversement,l'individu du passé n'est pas complètement identique à celui d'aujourd'hui.

Si Histoire il y a, cela requiert que ce qui aété n'est plus, et que ce qui est nouveau n'était pas.

La condition de possibilité pour faire de l'histoire marie identitéet différence de l'esprit à travers la temporalité.

L'historien est le lieu de ce paradoxe : en se faisant historien,l'homme découvre ce qu'il n'est plus, et qui pourtant est en lui.

Il dévoile ce qu'il est alors qu'il ne l'est plus.L'histoire du passé ne s'écrit-elle pas au présent, voire au présent en direction de l'avenir ? Si l'historien va vers le passé avec l'esprit de son temps, n'est-il pas tout autant auteur de l'histoire que sujet historiquement positionné ? N'est-il pas l'auteur de l'Histoire comme le romancier est l'auteur de son histoirebiographique ? Certes non, il ne raconte pas des histoires comme l'écrivain écrit son autobiographie, comme s'iljouissait eu égard à l'Histoire de sa propre histoire.

Il dit l'Histoire du dedans de l'histoire.

Car il n'y a pas de témoin,de narrateur, extérieurs à l'histoire.

Pourquoi ? Parce que l'homme est fondamentalement un être historique.

Dèslors, si l'homme est un être foncièrement historique, comprendre l'Histoire, c'est du même coup chercher à saisir sonpropre, son être.

L'histoire n'est pas seulement un récit subjectif parce qu'il est nécessairement écriture de sontemps ; mais elle l'est, plus essentiellement encore, parce qu'elle répond à une attente de l'homme qui écritl'Histoire.

Ricoeur aura montré, dans Histoire et Vérité , que la finalité ultime du travail de l'historien est la compréhension de soi.

C'est pourquoi, l'historien ne relate pas des histoires au pluriel, il doit ‘ressaisir à travers ellesl'unité d'un mouvement qui vient à nous'.

Raconter des histoires passées, c'est raconter l'histoire d'autres hommes.Autrement dit, raconter l'Histoire, c'est raconter notre histoire ; c'est montrer comment les histoires s'ordonnent lesunes aux autre pour arriver à ce que nous sommes.Parce que l'historien ne relate pas des histoires, ne nous content pas des histoires, mais l'Histoire, c'est-à-direnotre histoire, l'Histoire est pour nous un acheminement pour accéder à notre propre identité.

Identité pour tout. »

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