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HOBBES: métaphores et discours

Publié le 04/04/2005

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Les noms des choses qui ont la propriété de nous affecter, c'est-à-dire de celles qui nous procurent du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des hommes, une signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la même chose, ni le même homme à des moments différents. Étant donné en effet que tous les noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nos affections ne sont rien d'autre que des représentations, lorsque nous avons des représentations différentes des mêmes choses, nous ne pouvons pas facilement éviter de leur donner des noms différents. Car même si la nature de ce que nous nous représentons est la même, il reste que la diversité des façons que nous avons de la recueillir, diversité qui est fonction de la différence de constitution de nos corps et des préventions de notre pensée, donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions. C'est pourquoi, lorsqu'ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots, lesquels ont aussi, au-delà de ce que nous imaginons leur être propre, une signification renvoyant à la nature, à la disposition et à l'intérêt de celui qui parle; tels sont les noms des vertus et des vices : car un homme appelle sagesse ce que l'autre appelle crainte; et l'un appelle cruauté ce que l'autre appelle justice; l'un prodigalité ce qu'un autre appelle magnificence; l'un gravité ce qu'un autre appelle stupidité, etc. Il en résulte que de tels noms ne peuvent jamais être les véritables fondements d'aucune espèce de raisonnement. Les métaphores et les figures du discours ne le peuvent pas davantage: mais elles sont moins dangereuses parce qu'elles professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres nomes. HOBBES
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« est liée à la connexion entre le sens des mots et notre subjectivité.

Le fait d'utiliser les mots dans certainscontextes, de les apprendre en étant dans une certaine humeur, de les associer à des sensations agréables oudésagréables, etc., nous amène à leur donner une « coloration affective » particulière, extrêmement contingentetant elle dépend des circonstances: « Tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la même chose,ni le même homme à des moment différents.

» Par exemple, certains enfants ont en horreur le mot et la chose «épinards » et leur associent donc une connotation désagréable alors que ce n'est pas le cas pour d'autres; et unindividu peut les avoir détestés étant enfant et les aimer une fois adulte. [3.

Le lien entre le mot et les représentations]Ainsi, il semblerait au premier abord que nous ayons des affections et que celles-ci produisent en nous desreprésentation qui se traduisent ensuite par des mots.

Par exemple, nous aurions le goût désagréable des épinardsdans la bouche, qui se traduirait par la « visualisation » du plat qui nous dégoûte dans l'esprit, celle-ci étantassociée enfin au mot « épinard », symbole de l'horreur gustative.

C'est du moins ce que semble soutenir Hobbesdans la suite du texte lorsqu'il écrit que « les noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nosaffections ne sont riend'autre que des représentations ».

Cependant, ces deux points méritent réflexion.

Déjà, en affirmant que « les nomssont donnés », nous pourrions nous demander par qui.

L'auteur semble en effet présupposer qu'un dieu (ou peut-être la société?) nous a donné les mots, et ce dans une intention précise (« pour »).

Or le langage ne s'est-il pasconstruit progressivement dans les premières sociétés humaines, sans qu'on en puisse clairement déterminer nil'auteur ni la fonction ultime? Et n'existe-t-il pas des cas d'utilisation du langage qui servent à autre chose qu'à «signifier nos représentations »? Dans une démonstration mathématique, totalement abstraite, on ne se « représente» pas les idées mises en jeu.

Au mieux, en géométrie, on utilise des figures pour matérialiser approximativement lesidées abstraites; mais ce sont les concepts théoriques qui seuls ont une valeur proprement mathématique.

Autreexemple: celui de la poésie.

Les poèmes ne doivent pas être conçus seulement comme des textes qui suscitent desimages et des représentations en nous; ils travaillent aussi la matière même du langage jusqu'à lui faire signifier deschoses irreprésentables comme la douleur profonde, la peur de la mort, la vanité de l'existence ou encore le souffleinfini de l'amour. [4.

Toutes nos affections sont-elles conscientes et donc représentables?]D'autre part, pouvons-nous affirmer si rapidement que « toutes nos affections ne sont rien d'autre que desreprésentations »? Des philosophes comme Leibniz ont bien montré qu'il existait en nous des affections dont nousn'avions pas conscience.

Dans les Nouveaux Essais sur l'entendement humain, il les appelle les « petites perceptions».

Nous pouvons prendre comme exemples un grain de blé qui tombe par terre, une goutte de rosée qui glisse d'unefeuille, une mouche qui marche sur la vitre.

Nous ne les « entendons » pas consciemment – et donc n'en avonsaucune représentation (consciente) – mais nous les percevons inconsciemment.

Plus grave, il existe même deschoses qui nous affectent très fortement, comme la mort d'un proche, une rupture amoureuse ou le manque d'amourd'un de nos parents et que nous sommes incapables d'accepter comme telles.

Les affects sont refoulés dansl'inconscient et il devient absolument impossible de se les représenter.

Le travail de Freud et de la psychanalyse aconsisté alors non seulement au mettre à jour ce mécanisme, mais aussi à libérer l'homme des troubles qu'ilengendre, justement en utilisant les détours de la cure pour faire revenir dans la représentation ces affectionsrefoulées. [5.

Le rôle de la subjectivité dans la signification]Mais pour revenir à la question de la variation du sens des mots, nous devons finalement souligner combien il est liéà notre subjectivité.

D'une manière plus globale, ceci pose le problème du rapport entre la réalité et la penséehumaine.

Comme l'affirme Hobbes, « la nature de ce que nous nous représentons est la même », autrement dit il n'ya qu'une seule et même réalité « en soi », totalement indépendante de notre façon de la percevoir, de la penser etde la dire.

Cependant, personne n'a directement accès à cette « réalité en soi »: l'accès humain à la réalité passe àla fois par les cinq sens, le langage et la pensée, indissociablement.

Nous « interprétons » toujours le réel et luidonnons donc des significations variables.

Celle-ci dépend d'une part de « la différence de constitution de noscorps»: nous n'appréhendons pas les choses de la même manière en fonction de notre tempérament physique, denotre corpulence, de notre sexe...

Elle dépend aussi des « préventions de notre pensée », c'est-à-dire despréjugés, des idées toutes faites qui sont véhiculés dans notre milieu social ou dans notre société et notre cultured'origine.

Enfin, elle dépend aussi de notre humeur, de notre état psychique, de nos désirs...: d'où la tendance dechacun à donner « à chaque chose une teinture de nos différentes passions ».

Il existe toujours un décalage, parconséquent, entre ce que nous disons et pensons et la réalité objective.

Comme l'indiquait le linguiste Benvéniste: «Dans le langage humain, le symbole en général ne configure pas les données de l'expérience, en ce sens qu'il n'y apas de rapport nécessaire entre la référence objective et la forme linguistique » (Problèmes de linguistiquegénérale).

Les mots ne sont pas le décalque pur et simple de la réalité et il n'y a jamais une correspondance simpleentre un mot et une chose.

Chaque manière de parler et chaque langue particulière constituent une approchepartielle de la chose, qui ne peut jamais être dite et pensée « en soi » mais est toujours abordée par uneconscience, un « pour soi ».

Nous pouvons considérer ce décalage comme un handicap, dans le sens où il introduittous les risques de confusion, voire de tromperie.

Néanmoins, il donne lieu également à toute la richesse offerte parle langage: nous avons des possibilités indéfinies de dire et de penser notre expérience humaine. [II.

Par conséquent, il est nécessaire de se méfier des mots dans le raisonnement] [1.

La mise en garde du philosophe]Il importe donc de se méfier des mots et de l'ambiguïté de leur sens, surtout dans un raisonnement qui se veut. »

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