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L'HOMME POURRAIT-IL PENSER SANS LE SECOURS DES MOTS ?

Publié le 13/03/2004

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Si la rédaction d'une dissertation est un exercice de pensée, la question posée paraît saugrenue : sans mots, il n'y a guère à réfléchir, semble-t-il, en tout cas rien à écrire. Aussi convient-il de chercher d'abord ce qui peut justifier une telle question. Dans le quotidien, il peut arriver que les mots fassent défaut: j'ai alors l'impression d'avoir, quelque part en mon esprit, quelque chose (un sentiment, une sensation) qui cherche à s'exprimer, mais je ne trouve pas «les mots pour le dire ». D'un point de vue philosophique, Bergson a notamment critiqué les mots tels que le langage commun nous les fournit (voir ci-dessous en Lecture). Et il est vrai que je peux avoir parfois le sentiment que ces mots communs me trahissent, et ne parviennent pas à traduire ce qui ferait l'originalité réelle, profonde, secrète, de mon être, de mon expérience ou de ma pensée. Autre référence possible: Nietzsche, pour qui le langage commun est également déficient pour traduire la pensée la plus singulière. Les mots ne sont pas seulement un outil de communication : ils constituent une évocation du monde, sa doublure symbolique. Ils véhiculent des concepts: si je ne disposais pas du mot «arbre», je serais obligé, dès que j'aperçois un tronc, des branches et des feuilles, d'utiliser le terme désignant l'espèce particulière de ce végétal (et dans un tel cas', en effet, je me trouve vite à court de vocabulaire, et donc incapable de désigner). Ils renvoient sans doute, comme le dit Bergson, à un fond d'expériences communes et moyennes, mais c'est précisément ce qui me donne la capacité d'être compris par mon auditeur (qui participe de son côté au même fond d'expériences communes). C'est grâce à ces sens « moyens que nous pouvons dialoguer - c'est-à-dire penser ensemble si l'on en croit Platon.

« « Non, » nous répondent Condillac et son école, M.

de Bonald et les traditionnalistes, qui vont parfois jusqu'à fairedu mot « le générateur de l'idée » et du langage la cause et le principe de la pensée.Sans doute, il faut reconnaître qu'en fait aucun homme ne pense sans le secours des mots et que les sourds-muetseux-mêmes ont des signes et un langage.

Sans doute encore il est vrai de dire que le développement de la penséeet celui de la parole suivent, chez l'enfant et chez l'adulte, une marche proportionnelle.

Mais de ce que la pensée etla parole sont si étroitement, si intimement unies, s'ensuit-il que l'un de ces deux faits doive être regardé comme lacause de l'autre et cette association des idées et des mots est-elle si nécessaire, si indissoluble que l'homme nepuisse jamais s'en affranchir et penser sans le secours des mots?Le croire, ce serait méconnaître étrangement la virtualité propre de l'intelligence, qui, même privée du secours de laparole, serait encore capable de penser, de percevoir les objets sensibles, de saisir dans leur réalité vivante lesphénomènes du moi, d'imaginer et de se souvenir, d'abstraire et de comparer, de généraliser et de juger, toutautant de choses qu'elle peut faire et qu'elle fait en vertu de pouvoirs distincts du pouvoir de parler.Seulement il faut avouer qu'une intelligence à laquelle manquerait avec la parole son auxiliaire naturel, serait bienfaible et bien bornée.— D'abord, comme elle n'aurait pas de noms pour désigner et distinguer les objets qui frappentses sens, le monde entier, au lieu de se ranger pour elle en une hiérarchie régulière de genres et d'espèces, ne luiprésenterait qu'un ensemble désordonné dont la complexité infinie défierait tous les efforts de l'attention la pluspersévérante.

— De plus, les conceptions de la conscience, de la raison, de l'abstraction, de la comparaison, de lagénéralisation, du jugement, n'étant attachées à aucun signe, à aucun mot capable de les fixer et de lesdéterminer, demeureraient vagues, indécises, flottantes dans l'intelligence, ou plutôt s'évanouiraient sous le regardde l'esprit qui, ne pouvant rien retenir, aurait à recommencer sans cesse un travail sans cesse stérile.Si donc l'homme peut penser sans le secours des mots, il ne peut penser qu'imparfaitement, et le langage, sans êtrela cause et le principe de la pensée, est la condition indispensable de son développement normal et régulier :inspiration soutenue du poète, généralisations savantes, calculs, théories, classifications, etc., rien de tout cela nese comprend sans un système approprié de signes oraux ou graphiques, exprimant les qualités, les quantités et lesrapports et servant sinon de méthodes analytiques, du moins de formules et d'instruments à ces méthodes.

M.Hamilton a exprimé ces rapports de la parole et de la pensée par une comparaison aussi juste qu'originale : Vousavez entendu parler, dit-il, du percement d'un tunnel dans un banc de sable.

Dans cette opération, il est impossiblede réussir à moins qu'à chaque pas on ne se mette en sûreté en bâtissant une voûte de maçonnerie avant decreuser plus avant.

Or, le langage est précisément pour l'esprit ce que la voûte est pour le tunnel.

Le pouvoir depenser et le pouvoir de creuser ne dépendent pas le premier du mot, le second de la maçonnerie ; mais sans cesdeux auxiliaires, aucune de ces deux opérations ne pourrait aller au delà de son premier pas.

Nous reconnaissonsque chaque mouvement en avant dans le langage doit être déterminé par un mouvement en avant dans la pensée;mais à moins que la pensée ne soit accompagnée à chaque pas de son évolution par une évolution correspondantedu langage, son développement s'arrête.. »

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