L'idée de vérité
Publié le 16/01/2004
Extrait du document
«
Malheureusement le mot « utile » tel qu'il est employé par les pragmatistes a le sens le plus large et le plus vague.James n'a jamais rien fait pour en dissiper l'équivoque : « Ce qui est vrai c'est ce qui est avantageux de n'importequelle manière.
»Ainsi une loi physique ou chimique est vraie si elle a des applications techniques fécondes.
Une théorie scientifiquen'a aucune valeur de vérité tant qu'elle ne permet pas de prédire les phénomènes.
Le physicien parle d'atomes, deprotons, de neutrons, d'électrons.
Libre à lui! Ce qu'il dit, d'un point de vue théorique, n'a aucune valeur tant qu'ilrestera incapable d'agir sur ces particules, de créer et de contrôler, comme dans la fission nucléaire, une réactionen chaîne libérant de l'énergie.Mais aussi une croyance politique est vraie si elle me donne « bonne conscience », si elle me justifie ; une théoriephilosophique est vraie si elle calme mes inquiétudes, si elle assure « mon confort intellectuel », une religion estvraie si elle est consolante, si elle me permet de m'améliorer moralement.
L'idée de Dieu est comme toutes les autresidées, elle n'est vraie que si elle est rentable et James déclare sans ambages : « Dieu est une chose dont on sesert.
» Si le salut de l'âme n'a rien de certain, il ne relève pas non plus de la pure fiction.
Rien ne permet de luiattribuer une valeur, sinon la croyance en un jugement dernier, en un Dieu qui permet à l'homme d'obtenir la grâceet la vie éternelle.
Peu importe! Pour le croyant, ce qui est vrai est ce qui procure un bénéfice pour l'âme.
« Je dois d'abord vous rappeler ce fait que posséder des pensées vraies, c'est, à proprement parler, posséder deprécieux instruments pour l'action.
Je dois aussi vous rappeler que l'obligation d'acquérir ces vérités, bien loin d'êtreune creuse formule impérative tombée du ciel, se justifie, au contraire, par d'excellents raisons techniques.Il n'est que trop évident qu'il nous importe, dans la vie, d'avoir des croyances vraies en matière de faits.
Nousvivons au milieu de réalités qui peuvent nous être infiniment utiles ou infiniment nuisibles.
Doivent être tenues pourvraies, dans le premier domaine de la vérification, les idées nous disant quelle sorte de réalités, tantôt avantageusespour nous, tantôt funestes, sont à prévoir.
Et le premier devoir de l'homme est de chercher à les acquérir.
Ici, lapossession de la vérité, au lieu, tant s'en faut ! d'être à elle-même sa propre fin, n'est qu'un moyen préalable àemployer pour obtenir d'autres satisfactions vitales [...].Mais, maintenant, que faut-il entendre par « l'accord » que la définition courante exige à l'égard de la réalité ? C'estici que le pragmatisme et l'intellectualisme commencent à se fausser compagnie.
Le fait d'être « d'accord », au sensle plus large du mot, avec une réalité, ne peut être que le fait, ou bien d'être conduit tantôt tout droit à elle, tantôtdans son entourage, ou bien d'être mis en contact effectif et agissant avec elle, de façon à mieux opérer soit surelle-même, soit sur un intermédiaire, que s'il y avait désaccord [...] J'en viens donc à dire, pour résumer tout cela :« le vrai » consiste tout simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée, de même que « le juste »consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre conduite.
» James, « Le pragmatisme ».
La conception pragmatiste de la vérité vient de ce que James subordonne la pensée à l'action.
La réussite de celle-ci devient dès lors le juge de la vérité ou de la fausseté de nos « croyances » ou idées.
Cette vision utilitariste de lavérité s'oppose absolument à la conception spéculative des philosophes grecs, et d'une manière générale à ce queJames appelle l' « intellectualisme », c'est-à-dire une définition de la vérité comme simple contemplation du réel :lavérité ne satisfait pas une exigence spéculative désintéressée (elle n'est pas « à elle-même sa propre fin »), ellerépond à « d'excellentes raisons pratiques ».Cela signifie pas que la vérité est arbitraire, et qu'il n'existe pas de vérités objectives, comme le croyait Protagoras.La vérité est bien concordance avec le réel, mais pas en le copiant : en nous guidant à travers lui et en permettantà nos actions d'avoir prise sur lui.
On voit le danger de la doctrine.
Il est clair qu'il y a des vérités qui blessent et des mensonges qui consolent.
Lavérité est ici trop liée à la facilité tandis qu'il faut souvent du courage, un certain renoncement, pour aboutir auvrai.
Qu'une affirmation soit consolante, réconfortante, rassurante, ne la rend pas vraie pour autant, mais parfoismême suspecte au point de vue de la vérité : « la foi sauve, donc elle ment », dit Nietzsche, et Jean Rostand : «les vérités consolantes doivent être démontrées deux fois.
»
VI.
La seule définition correcte du vrai est d'ordre opératoire, certes, mais dans un sens moins large que lepragmatisme.
Nous dirons que le vrai est ce qui est vérifiable.
Certes en logique pure, en mathématique, triompheune vérité purement formelle, une vérité qui ignore la réalité.
La vérité est ici seulement l'accord de l'esprit avec sespropres conventions.
Mais dans le domaine expérimental, si la définition de la vérité est toujours la non-contradiction, il s'agit de la non-contradiction des preuves expérimentales.
Le vrai c'est ce qui' est vérifié par unfaisceau de preuves de plus en plus serré.
La vérité n'est plus alors un absolu, elle est relative à l'étendue e à laprécision du champ expérimental.
Elle dépend de la valeur sans cesse croissante des techniques de vérification..
»
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