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Impression de printemps -VERLAINE

Publié le 06/04/2015

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verlaine

 

Il est des jours — avez-vous remarqué ? Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau, Plus jeune qu'un enfant, et, vrai ! plus gai Que la même gaieté d'un damoiseau. L'on se souvient sans bien se rappeler... Evidemment l'on rêve, et non, pourtant. L'on semble nager et l'on croirait voler. L'on aime ardemment sans amour cependant Tant est léger le cœur sous le ciel clair Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi Dans les autres, que l'on trompe avec l'air D'être plutôt trompé gentiment, soi. La vie est bonne et l'on voudrait mourir, Bien que n'ayant pas peur du lendemain, Un désir indécis s'en vient fleurir, Dirait-on, au cœur plus et moins qu'humain. Hélas ! Faut-il que meure ce bonheur ? Meurent plutôt la vie et son tourment ! O dieux cléments, gardez-moi du malheur D'à jamais perdre un moment si charmant. 1er mai 1893 VERLAINE, Poèmes divers

 

SUJET Sans dissocier la forme et le fonds vous ferez de ce poème un commentaire composé. Vous pourrez montrer, par exemple, comment Verlaine évoque le charme d'un moment privilégié.

 

Introduction    ■ Verlaine = homo duplex.    ■ Ici, poème en demi-teinte.    ■ Etat d'âme flou, trouble = bonheur + anxiété.    ■ Indication des thèmes.

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« Musicalité et simplicité savantes. DEVOIR RÉDIGÉ Verlaine, «homo duplex» selon sa propre expression, mena une vie très instable, simultanément partagé entre lelaisser-aller, la déchéance, et un désir sincère d'être « sage ».

Son œuvre en fut donc profondément marquée.Toutefois il semble difficile de donner ici une place précise dans l'existence de Verlaine à ce poème Impression deprintemps.

On a plus l'habitude de voir «le pauvre Lélian » chanter l'« heure blême» de l'automne ! Cependant cettepièce des Poèmes divers, malgré l'évocation d'une saison et d'un moment privilégiés, correspond bien à un étatd'âme constant chez ce poète « saturnien».

Le titre du texte révèle déjà une poésie en « demi-teinte » et un peufloue : ce sont une «impression», des touches légères.

Elles traduisent un moment de bonheur dans un climat (quidevrait être toute gaieté, mais où plane aussi, sournoise, cette anxiété qui lui fait dire dans une Ariette oubliée(Romances sans paroles) : « C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine, Mon cœur atant de peine.

» On pourra étudier en premier quels sont les éléments de ce bonheur dont devrait rayonner un poème de renouveau.Mais il sera intéressant ensuite de mettre en valeur l'inquiétude latente, et cette «incertitude» de Verlaine, au subtilpassage d'un instant de bonheur, dont la brièveté est génératrice d'une forme d'angoisse. * * * C'est bien du bonheur certes que Verlaine a éprouvé et chacune de ses diverses caractéristiques constitue cette«impression de printemps».

Le printemps est donc symbole de bonheur et tous ses éléments, dissociés, représententceux du bonheur.

Celui-ci est donc gai, d'une gaieté qui est suggérée non seulement par celle de l'«oiseau»,véritable héros printanier traditionnel, puisqu'il siffle la joie de la fin de l'hiver, de la renaissance de la nature, del'amour et de l'accouplement créateur d'autres vies; mais aussi celle d'un être humain jeune, sans souci, «l'enfant»,s'élançant avec enthousiasme à l'assaut de l'existence, de ses premières responsabilités d'homme, avecl'inconscience d'une jeunesse dorée, privilégiée, celle d'un «damoiseau», terme assez médiéval qui évoque quelquejeune et noble chevalier.

Cette gaieté est bien traduite par le rythme inégal, mais ardent, joyeux du troisième vers,par une forte coupe qui met en valeur l'exclamation «vrai ! », un peu familière, ou encore enfantine, cri de joiefraîche, amicale, « gentiment» sincère (l'adverbe est utilisé plus loin), et par les sonorités ouvertes, assez vibrantesen ai : « vrai », « gai », « gaieté ».

Mais c'est aussi un instant de bonheur impondérable que Verlaine traduit ici : lasensation d'être léger et comme délivré de toute entrave permet même à l'homme heureux d'être «plus léger qu'unoiseau».

Là encore un des éléments-types les plus courants du printemps, l'oiseau, devient représentatif du bonheurpar le privilège exceptionnel d'un être vivant qui « vole » ; «l'on croirait voler», c'est la sensation merveilleuse àlaquelle l'homme a toujours aspiré.

Mais cette notion d'apesanteur, véritablement bienheureuse, est transcrite end'autres états d'âme : tel celui de la rêverie; car ce bonheur est si subtil que Verlaine en arrive à supposer qu'ilrêve, n'osant croire à la réalité des souvenirs si doux qui le composent en partie (opposition très ténue entre deuxverbes placés aux deux extrémités d'un même vers et de sens si proche : ...

« on se souvient/sans bien serappeler», tandis que l'indéfini «on» maintient le sujet dans une imprécision volontaire).

Mais Verlaine nie tout desuite cet état de rêve : les coupes souples, le langage assez quotidien (les quatre derniers mètres du décasyllabessont elliptiques du verbe) : «Evidemment l'on rêve,//et non,/pourtant...

», montrent la prise de conscience de la réalité de ce bonheurimpalpable.

Deux autres images suggèrent aussi une sensation heureuse mais insaisissable, complexe mais imprécise,le mélange de «nager» et de «voler» du 2e quatrain, que l'on trouvait déjà dans Elévation de Baudelaire.

Il traduit,d'après ce dernier, la béatitude qui s'empare de l'âme une fois «envolée», élevée, «se pâm[ant] dans l'onde ».

Leverbe « sembler » et le conditionnel «croirait» laissent apparaître un doute sur la comparaison, le même doute qu'auvers précédent où l'adverbe «évidemment» est en réalité rejeté en tête, puisque sa véracité se trouve presqueimmédiatement supprimée.

L'image de l'amour, sentiment le plus ineffable, est une autre preuve de cette notiond'apesanteur : de même que Verlaine «pleure sans raison» dans Ariette oubliée, il «aime ardemment sans amourcependant».

Cet homme faible et souffrant, à cause de lui-même, aspire à toute forme de facilité, celle d'unmouvement imprécis, d'un sentiment impalpable, d'une émotion qui se dissout, atteignant ainsi l'essenceimpondérable d'un Moi dont toutes les manifestations dans l'existence quotidienne lui pèsent, l'écrasent, parculpabilité, dégoût moral.

Il rejoint donc là le sentiment pur, perdant les contours même de l'individuel; «étatpsychique simple, unifié» (Vivier), communiqué à l'aide d'une poésie apparemment «sans effets, sans mots», travaild'artiste en réalité, savant sans en avoir l'air.

Puis à ce bonheur à la fois gai, léger, insaisissable, vient s'associer unautre élément : la subtilité de cet instant de paix heureuse, qui vient du fait qu'il est sans raison.

Le texte estexactement parallèle à l'Ariette oubliée :Il pleure dans mon cœur... Mais il est son contraire.

Ici il s'agit de l'absence de raison d'un état heureux, de l'indécision de ses désirs et del'éphémérité d'un tel instant ; il pourrait dire qu'il ne sait « pourquoi sans amour et sans haine [son] cœur »...

est si«léger»! Un mystérieux rapport s'établit entre le «cœur» et le «ciel», l'un suggérant la clarté de l'autre, le second enaccord avec la légèreté du premier.

L'âme ne demande pas d'explication sur ce qui se passe en elle ; elle sent sonbonheur dans ses nuances et cette sensation se développe avec une douceur assez molle à travers l'enjambementqui fait franchir la phrase du dernier vers de la strophe 2 au premier vers de la suivante : ...

«sans amour cependant. »

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