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Un acte de justice ne risque-t-il pas d'être un acte de vengeance ?

Publié le 07/01/2004

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justice
Chez les philosophes et les juristes de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on assiste à une même protestation contre les supplices. Il s'agit bien dès lors de punir, non de se venger, comme cela avait pu être le cas dans l'Ancien Régime. Lorsque la peine prend la forme du supplice ou de la torture, lorsqu'elle est érigée en spectacle, nous ne sommes pas loin d'une justice vengeresse, effet de l'arbitraire du prince.â-º 2. Une autre différence notable entre la peine de justice et la vengeance tient au rapport temporel qui lie le crime et la châtiment. Celui qui se venge décide de la nature du châtiment après que le crime a été commis. Aussi le criminel ne sait-il jamais à l'avance la peine qu'il encourt. C'est en quelque sorte la peine qui révèle la gravité de la faute, qui, après tout, pouvait ne pas être soupçonnée. On peut causer du tort à une personne sans en avoir une parfaite conscience.Dans le cas de la justice il en va différemment.

La justice pénale sanctionne une faute, la vengeance consiste à faire subir à l'auteur d'un délit le sort qu'il a réservé à sa victime. On pourrait penser qu'en punissant le criminel, la société venge sa victime, alors qu'elle se borne à appliquer des procédures juridiques.

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« pense pas en réalité s'en prendre à une personne propre, ni du côté de celui qui le subit, puisqu'il ne se sent pasvisé personnellement.

Voilà pourquoi les hommes, dans l'état de nature, peuvent s'infliger mutuellement beaucoup deviolence sans pourtant s'offenser, et inversement les hommes, dans l'état de société, s'offenser pour presque rienâ€" c'est l'histoire du Cid de Corneille. â–º 2.

La justice se distingue d'abord de la vengeance par ceci qu'elle tente de la contenir.

Bien sûr, la vengeancene cessera jamais de s'exercer, mais du moins la justice s'emploie à en limiter les effets.

La vengeance engendre lavengeance en une chaîne infinie.

C'est un mécanisme itératif que rien ne semble pouvoir freiner.

On se venge d'uncrime de sang en faisant couler à nouveau le sang.

Mais le châtiment infligé apparaît comme un préjudice pour celuiqui en est la victime, il n'est pas vécu par elle, comme la juste compensation d'un dommage.

Ce qui rouvre le conflit,loin d'y mettre un terme.

On est ainsi pris dans un enchaînement inéluctable de la violence.De crimes en représailles, la vengeance contamine tout le corps social, et le menace d'éclatement.

Cette réactionen chaîne n'a pas d'origine précisément assignable ; le crime que la vengeance punit est lui-même conçu comme lavengeance d'un crime plus originel.

Rien dans la vengeance donc ne semble pouvoir en arrêter les effets. â–º 3.

La justice a pour fonction première de se substituer à la vengeance.

Une peine est toujours infligée, toutefoisce n'est plus un particulier qui en décide, mais la loi.

Et cela change tout.

Lorsqu'il y a vengeance, le choix de lapeine est fixé par la personne lésée, ou par l'un de ses proches, qui par contagion s'estime blessé.

Ainsi on ne voitpas qu'il y ait un vrai principe de justice, puisque la sanction est prononcée par quelqu'un qui est juge et partie.

Lajustice s'exerce d'une façon bien plus impersonnelle et anonyme.

Le juge ne prend pas parti, il décide en touteimpartialité, il n'est selon la fameuse formule de Montesquieu que la «bouche qui prononce les paroles de la loi».Extérieur au conflit, on peut attendre du juge qu'il n'écoute que la voix de sa raison, et qu'il ne cède pas aux sirènesde la passion et du sentiment.L'acte de la justice s'effectue par un tiers, qui surplombe les deux parties en présence, la personne lésée et lecriminel.

(Dans le cas de la vengeance au contraire, le tiers est exclu.) En conséquence de quoi, la sanctionprononcée par le juge stoppe le mécanisme de la vengeance.

Auprès de qui le justiciable pourrait-il se plaindre dusort qui lui est fait, puisque le juge ne se veut que l'écho de la loi? On ne peut s'attaquer à une entité abstraite telleque la justice.Quant au plaignant, deux situations peuvent se présenter à lui.

S'il estime que la peine retenue par la justicecorrespond à ce qu'il attendait, la vengeance devient inutile.

Le sentiment d'avoir été vengé s'éprouve au travers duverdict de la justice.

Sans être une vengeance, la justice assouvit dans ce cas un désirde vengeance.

Mais à parler rigoureusement, le criminel n'est pas vengé, il subit le châtiment de la justice.

Si, aucontraire, le plaignant n'obtient pas la sentence escomptée, la puissance de la justice le dissuade suffisamment dese venger.La justice donc restreint la vengeance à sa portion congrue.

Elle court-circuite la chaîne indéfinie de la violenceréciproque, et disqualifie la vengeance, en la décrétant hors la loi.

Celui qui prétend, au nom de la justice deshommes (qui se serait révélée trop clémente), ou d'une justice divine supérieure, se substituer à la force des lois,c'est-à-dire à la seule véritable justice, cherche un alibi à une vengeance personnelle.

Nul n'a le droit de se fairejustice.

La justice s'affirme et se fait par elle-même.

Qui veut la détourner à son profit devient injuste. 2.

La justice vengeresse â–º 1.

Il reste à s'interroger maintenant sur la question de l'évaluation des peines selon que l'on a affaire à un actede justice, ou de vengeance.

Nous avons tendance à voir dans la loi du talion le principe de compensation à l'oeuvredans toute vengeance.

Le châtiment aurait pour but de réparer le crime, ce qui imposerait que la peine lui fût égale.Se venger consisterait à rétablir l'équilibre, donc à infliger un dommage identique au préjudice subi.

Ce que rendparfaitement la loi du talion qui dit «oeil pour oeil, dent pour dent ».

Cette formule traduit pour nous l'aspect cruel etsanguinaire de la vengeance.Or en replaçant ce principe dans son contexte (Lévitique, 24), nous découvrons, comme le dit le philosophe Lévinasdans Difficile liberté (voir le chapitre qui s'intitule «La loi du talion»), «qu'il s'insère dans un ordre social où aucunesanction, si légère soit-elle, ne s'inflige en dehors d'une sentence juridique».

La loi du talion, loin d'exciter et defavoriser la vengeance, limite son extension.

Il est effrayant, dira-t-on, que, pour un oeil crevé, on doive répondrede la même manière.

Mais la formule signifie également que l'on ne fera rien de plus, par exemple crever les deuxyeux, ou plus radicalement tuer.

Pour tant de dents brisées, on rétorquera par autant de dents endommagées.

Etpar là, la loi du talion, interdit une montée en puissance des peines.

La loi du talion prône le châtiment et tout à lafois la restriction de ce châtiment.

Ce qui préfigure l'installation d'une justice fondée sur l'égalité.

La vengeance,elle, n'exclut pas que le châtiment surpasse le mal reçu, puisque, comme nous l'avons dit, elle se rapporte àl'offense, et non au préjudice objectif.La justice pénale, comme application de la loi, cherche à proportionner la peine au crime.

Les auteurs du XVIIIesiècle qui s'intéressent à cette question sont tous très sensibles à cette idée d'une différenciation des peines.Montesquieu, dans un chapitre de L'esprit des lois (chap.

XVI, livre VI), entièrement consacré à ce problème etintitulé «De la juste proportion des peines avec le crime », écrit : « C'est grand mal parmi nous de faire subir lamême peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine.

» Cela a pour effet de réduire ladistinction entre les fautes graves et les fautes légères.Et comme l'écrit Beccaria à la même époque dans son célèbre ouvrage Des délits et des peines, «si un châtimentégal frappe deux délits qui portent à la société un préjudice inégal, rien n'empêchera les hommes de commettre ledélit le plus grave des deux» (chap.

VI).

Donc le châtiment prononcé par la justice doit être en harmonie avec lagravité du crime, qui' consiste dans le dommage causé à la société.

Couper la main à celui qui est jugé pour vol, àcet égard, paraît tout à fait disproportionné.. »

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