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KANT et l'éveil de la raison

Publié le 07/05/2005

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kant
Avant l'éveil de la raison, il n'y avait ni prescription ni interdiction, par conséquent encore aucune infraction, mais, lorsqu'elle commença d'exercer son action et, toute faible qu'elle était, à lutter corps à corps avec l'animalité dans toute sa force, c'est alors que durent apparaître des maux et, ce qui est pire, au stade de la raison cultivée, des vices qui étaient totalement étrangers à l'état d'ignorance et, par conséquent, d'innocence. Le premier pas hors de cet état fut donc du point de vue moral une chute : du point de vue physique, les conséquences de cette chute furent l'apparition dans la vie d'une foule de maux jusqu'alors inconnus, donc une punition. L'histoire de la nature commence donc par le Bien, car elle est l'oeuvre de Dieu; l'histoire de la liberté commence par le Mal, car elle est l'oeuvre de l'homme. Pour l'individu, qui dans l'usage de la liberté ne songe qu'à lui-même, il y eut perte lors de ce changement; pour la nature, qui avec l'homme poursuit son but en regardant l'espèce, ce fut un gain. L'individu est donc fondé à se tenir pour responsable de tous les maux qu'il subit comme du mal qu'il fait, et en même temps, en tant que membre du Tout (d'une espèce), à estimer et à admirer la sagesse et la finalité de cette ordonnance. De cette façon, on peut également accorder entre elles et avec la raison les affirmations si souvent mal comprises, et en apparence contradictoires, du célèbre J..7. Rousseau. Dans ses ouvrages Sur l'influence des sciences et Sur l'inégalité des hommes, il montre très justement le conflit inévitable de la culture avec la nature du genre humain comme espèce physique au sein de laquelle tout individu devrait atteindre pleinement sa destination; mais, dans son Émile, dans son Contrat social et d'autres écrits, il cherche à nouveau à résoudre ce problème plus difficile : comment la culture doit-elle progresser pour développer convenablement, jusqu'à leur destination, les dispositions de l'humanité en tant qu'espèce naturelle? Conflit d'où naissent (étant donné que la culture selon les vrais principes d'une éducation formant en même temps des hommes et des citoyens n'est peut-être pas encore vraiment commencée, ni a fortiori achevée) tous les véritables maux qui pèsent sur la vie humaine et tous les vices qui la déshonorent, cependant que les impulsions qui poussent à ces vices, et qu'on tient dès lors pour responsables, sont en elles-mêmes bonnes et, en tant que dispositions naturelles, finales; mais le développement de la culture porte préjudice à ces dispositions, étant donné qu'elles étaient destinées au simple état de nature, de même qu'en retour elles portent préjudice à ce développement jusqu'à ce que l'art, ayant atteint la perfection, redevienne nature : ce qui est la fin dernière de la destination morale de l'espèce humaine. KANT
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« les techniques), des progrès, autrement dit une accumulation (quantitative) d'outils de connaissance et de moyensd'action sur la Nature, et un perfectionnement (qualitatif) de tous ces instruments; et là (dans la solidarité morale,la paix sociale, l'équilibre économique) des régressions, entendons : une altération et une décomposition des liens,des rapports, des proportions, ou, pour tout dire en un mot, une « corruption ».

C'est le constat que Rousseau avoulu dresser dans ses deux Discours, et Kant ne cessera d'en méditer la leçon : qu'on se reporte au paragraphe 83de la Critique du jugement téléologique, qu'on peut considérer comme un résumé de la philosophie kantienne del'histoire; on y trouvera l'écho insistant de notre texte.Matière énigmatique, donc, pour la raison aux prises avec ce qu'on appellerait ses effets « pervers »...

Objet maldéfini, et pour cause, et sur lequel on ne peut que risquer des conjectures.

Et de fait, que veut dire histoire pourKant, en 1786? On peut distinguer trois ordres de rationalité dans le processus que Kant analyse :a) Une succession simplement temporelle (un avant qui annonce un « après », une séquence d'apparitions :lorsque...

c'est alors que).

Mais notons tout de suite une complication majeure dans cette chronologie : il y a deuxcommencements — le premier pas accompli avec l'éveil de la raison recommençant autrement ce qui avaitcommencé avant.

Donc : deux histoires en une?b) Une succession qu'on pourrait dire à la fois logique et causale : l'action de la raison entraîne des conséquences.Une Raison dans, ou de, l'histoire?c) Une succession « génétique », où l'histoire humaine est appréhendée comme genèse, comme développementd'une nature, de dispositions initiales orientées vers une fin (tous ces termes reviennent avec insistance).

Unehistoire prescrite (déjà écrite, prévue et projetée, avant le temps de son déroulement) comme celle d'un organisme,du germe à sa forme adulte?Nous touchons ici à l'un des deux « référentiels » (Rousseau mis à part) qui fournissent à Kant les axes de saréflexion : l'histoire naturelle de son époque.

On se contentera de rappeler ici l'opposition (une de plus...) entre lestenants de la préformation et les partisans de l'épigenèse, pour remarquer seulement qu'avec l'émergence de laraison, la réalité d'une épigenèse paraît faire échec à l'intemporalité d'une préformation; sans oublier Buffon(introduisant des causes et des facteurs pour expliquer la « dégénération » de certaines espèces animales) et, àl'opposé, Linné (faisant pleinement jouer l'idée d'une finalité de la Création pour systématiser l'ordre et l'économie dela Nature)...

Et l'autre « référentiel »? On le tirera sans peine des mentions faites de la chute et de la punition (maistout ce qui précède, dans l' Opuscule qui nous occupe, l'explicite expressément) : il s'agit cette fois de la Genèse –moins du récit de la Création que de celui du Paradis perdu.

Ainsi, deux « écritures », l'une sainte, l'autre profane,s'entrecroisent dans le texte de l'histoire repensée par Kant.

Deux discours (celui de la tradition biblique, des «Testaments », et celui de l'innovation scientifique) cherchent à s'unifier, dont chacun, d'ailleurs, porte témoignaged'un affrontement (la désobéissance à la volonté divine dans l'un, le désaccord sur le statut et le sens des genreset des espèces vivantes, dans l'autre).

Bref : deux « anthropologies », l'une théologique (l'homme est une créaturede Dieu), l'autre « physique » (l'homme est membre d'une espèce naturelle), s'efforcent de mettre d'accord leursraisons.

Comment concilier la raison téléologique qui semble gouverner avec une telle régularité l'histoire physique (laformation et la reproduction des types spécifiques) et la raison providentielle, qui paraît requise pour l'histoiremorale, mais de façon inconcevable – à cause du Mal, d'où vient tout le mal...

Entendons ici la difficulté théorique. 3.

Ces considérations expliquent peut-être que tout notre texte ne soit qu'une suite de paradoxes.

Une fois sortis(le premier pas) de l'état d'ignorance et d'innocence d'avant la raison (état négativement défini par des manques –mais ne serait-ce pas plutôt un « plein » non encore entamé par l'interdit?), que rencontrons-nous?Premier « donc », premier paradoxe (mais lorsqu'elle commença donc...

une chute...

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donc, une punition) :avec l'apparition de la raison, l'homme s'élève au-dessus de l'animalité, mais tombe dans le mal; et plus la raison secultive, plus le mal s'accroît (qualitativement, si l'on peut dire : les vices en plus des maux; et quantitativement :une foule).

La raison est donc originairement ambivalente : source de la moralité (par sa lutte contre l'animalité) etdonc du Bien, et cause de « déchéance », par le mal qu'elle fait (au sens le plus actif).Deuxième donc, deuxième paradoxe (L'histoire de la nature...

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l'oeuvre de l'homme) : au tour de la liberté dedevenir ambivalente; c'est par elle que l'homme se soustrait à la nécessité naturelle (grâce à quoi il peut être moral)– mais la Nature, oeuvre de Dieu, est bonne; c'est donc aussi par la liberté que l'homme se soustrait au Bien.

Ainsise trouve-t-elle liée, comme principe et dès le principe, au Mal autant qu'au Bien.Troisième donc, troisième paradoxe, d'ailleurs redoublé (Pour l'individu...

--> ...cette ordonnance) : le mêmeévénement (la raison, la liberté, le mal) peut être affecté d'un signe contraire, selon qu'on le regarde du point devue de l'individu (– , une perte) ou de l'espèce (+ , un gain) ; le même individu est également fondé à tenir cetévénement pour sa faute (il est responsable d'un désordre) et son mérite (il s'inscrit par là dans un plan et son ordre: sagesse/finalité d'une ordonnance).Et pour finir, un quatrième paradoxe (De cette façon...

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en tant qu'espèce naturelle) : tous ces défis au senscommun doivent rendre rationnelle l'irrationalité (apparente) de la pensée de Rousseau, dans l'opposition de sesdeux versants, autrement dit : la contradiction entre son constat d'un conflit inévitable entre la Nature (le Bien) etla Culture (le Mal), et son projet d'une harmonisation indispensable des fins de la nature et de la culture (le Bien etle Mal s'opposant dans la culture, l'opposition peut être levée par l'éducation).

Toute la fin du texte manifeste laconviction de Kant que la solution réside dans la logique de cette contradiction, c'est-à-dire dans la nature duconflit. 4.

Explicitons sa thèse.

Elle tient, pour l'essentiel, dans le constat d'une « causalité réciproque » d'un genreparticulier entre la nature et la culture, chacune portant préjudice au développement de l'autre (la culture à lanature parce qu'elle corrompt des impulsions et des dispositions qui par leur finalité naturelle sont bonnes en soi —. »

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