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KANT: invention et découverte

Publié le 03/05/2005

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Inventer est tout autre chose que découvrir. Car ce qu'on découvre est considéré comme déjà existant sans être révélé, par exemple l'Amérique avant Colomb ; mais ce qu'on invente, la poudre à canon par exemple, n'était pas connu avant l'artisan qui l'a fabriqué. Les deux choses peuvent avoir leur mérite. On peut trouver quelque chose qu'on ne cherche pas et ce n'est pas un mérite. Le talent d'inventeur s'appelle le génie, mais on n'applique jamais ce nom qu'à un créateur, c'est-à-dire à celui qui s'entend à faire quelque chose et non pas à celui qui se contente de connaître et de savoir beaucoup de choses ; on ne l'applique pas à ce qui se contente d'imiter, mais à qui est un créateur, à cette condition seulement que son oeuvre soit un modèle. Donc le génie d'un homme est "l'originalité exemplaire de son talent" (pour tel ou tel genre d'oeuvre d'art). KANT
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« était un imitateur, on ne voit pas comment il serait possible de parler de création, c'est-à-dire de la productiond'une œuvre sans équivalent antérieur dans le temps.

Mais cela implique nécessairement que le créateur ne doiverien à personne puisqu'il n'imite rien ni personne en produisant son œuvre.

Comment Kant rend-il compte de cela ?En parlant de génie : le génie est le don, le talent par lequel l'artiste est capable de créer une œuvre qui n'imite rienni personne, mais qui en retour sera imitée précisément parce qu'elle a de la valeur.

Le génie, qui vient de la nature,permet donc de soutenir que l'artiste ne doit rien à personne.Mais, tout bien considéré, qu'il ne doive rien à personne ne signifie pas qu'il ne doive sa création qu'à lui seul puisquesans le génie, le talent, le don de la nature qu'il possède, il n'aurait pas pu créer.

Invoquer le génie, c'estdéposséder l'artiste de son œuvre et la mettre au crédit de la nature.

Kant ne dit-il pas justement que la naturedonne par le génie ses règles à l'art : puisque la création des œuvres d'art doit nécessairement obéir à des règles,et, puisque celui qui a du talent ou du génie produit des œuvres sans précédant, donc en suivant des règlesinconnues encore et qu'il n'aperçoit pas clairement, alors cela signifie que la nature qui a fait don du génie, préside àla création.

Elle est donc, comme origine des règles, le véritable auteur des œuvres d'art qui les suivent.L'intérêt de cette thèse, c'est sa cohérence : si les créations s'expliquent finalement par une origine qui estextérieure à l'humanité, à l'histoire et au vécu des créateurs, à savoir la nature, on peut en effet soutenir sanspeine que les créateurs, s'ils doivent leurs œuvres à la nature plus qu'à eux-mêmes, au moins ne doivent-ils rien àpersonne.

En outre, cette thèse permet de rendre compte des ruptures qu'on peut observer dans l'histoire de l'art,ruptures qui s'apparentent à des révolutions esthétiques : subitement, des œuvres apparaissent qui sontabsolument irréductibles à ce qui a été et qui semblent reposer sur de nouveaux principes esthétiques.Seulement, cette solution semble aussi n'être que verbale : parler de génie comme d'un don de la nature, celadonne une explication, mais rien ne permet de savoir si le génie est bien la cause de l'originalité de la création.

Iln'est pas l'objet d'une expérience directe possible, aussi ne peut-il qu'être présumé, supposé, mais non pas affirmésans risque comme cause des œuvres originales.De plus, elle occulte totalement l'effet que pourrait avoir sur l'artiste et donc ses oeuvres d'autres phénomènes nonmoins décisifs : un artiste ne saurait compter que sur son talent et faire l'économie de tout apprentissage, de lamaîtrise d'une technique et par là de la rencontre avec d'autres artistes, des maîtres dont il doit être l'élève autantque le disciple.

Kant n'en disconviendrait d'ailleurs pas.

Mais, si tel est le cas, alors nécessairement l'artiste s'inscritdans au moins deux histoires : celle de l'art avec ses courants, ses écoles et ses querelles et celle des techniquesartistiques.

Or, comment pourrait-il après cela ne pas être au moins influencé ? Comment pourrait-on soutenir qu'ilest malgré tout indépendant de l'histoire à laquelle il ne peut pas ne pas appartenir ?Mais soutenir cela, n'est-ce pas dire que le créateur doit à d'autres que lui, et même à beaucoup d'autres, ce qui luipermet de créer, donc qu'il n'est pas le seul auteur de ses œuvres ? Certes, mais dans ce cas, pourquoi parle-t-onde créations si les œuvres ne sont pas tout à fait nouvelles, si elles doivent quelque chose à celles qui les ontprécédées ? Et d'ailleurs, les historiens de l'art, lorsque ce ne sont pas les artistes eux-mêmes, ne mettent-ils enévidence des filiations, des réappropriations qui indiquent que les œuvres d'art ne peuvent pas être mises seulementau crédit de leurs auteurs ?Sans doute, mais faut-il alors rejeter purement et simplement l'idée de création ? Ce serait absurde puisque nouspouvons constater une histoire de l'art qui n'a de sens que parce que les œuvres ne sont pas toutes identiques ousi proches qu'elles seraient toutes apparentées.

Soit, mais alors nous voilà ramené au point de départ : commentexpliquer ces créations ? Par le génie ? Mais on a vu que ce n'était pas satisfaisant.Peut-on alors réconcilier l'idée de création, c'est-à-dire de production d'une chose sans précédant, avec celle dedette, c'est-à-dire d'emprunt, d'influence, d'appartenance à une histoire ?Mais, tout cela n'est peut-être qu'un faux problème, une querelle de mots.

Car, au fond, qu'est-ce qui interdit qu'unartiste soit un authentique créateur qui ne doive donc ses œuvres qu'à lui-même et qu'en même temps il soitinfluencé par d'autres artistes, qu'il leur doive quelque chose ? Rien puisque c'est effectivement ce qui se passe.

Or,si c'est ce qui se passe, cela doit donc être possible et pensable.Or, n'est-ce pas cela créer ? N'est-ce pas une activité qui consiste à s'approprier des formes, des techniques, desstyles antérieurs non pas pour les imiter, mais pour les recombiner, les recomposer, les modifier de telle sorte que cequi en naît soit précisément à la fois totalement nouveau et non sans rapport avec ce qui précède.

La création n'estque dans cette réappropriation, trahison, transformation des choses passées.

Mais alors, on pourra dire que lescréateurs ne doivent leurs créations qu'à eux seuls : ce qu'ils produisent est bien une création puisque c'estirréductible à ce qui fut, puisque ce n'est pas simplement une reproduction ou une imitation.

Pour autant, ilsn'auront pas tout inventé, tout fait de l'œuvre, mais auront emprunté à d'autres certaines formes.

Il n'y a là aucunecontradiction si on précise que la création n'est que dans l'originalité des formes, des combinaisons, des utilisations,des interprétations données à ce qui préexiste.Et c'est pour cette raison qu'il est toujours possible de regarder les œuvres d'art et toutes les inventions notammenttechniques de deux manières : ou bien on est attentif à ce qui dans la création est tout à fait neuf et on peut alorsêtre tenté de s'expliquer cette originalité par le seul talent, voire le génie de l'auteur, ou bien, on observe quel'œuvre n'est pas sans en rappeler d'autres par certains aspects et alors on aura tendance à n'y voir qu'uneproduction inspirée par celles qui l'ont précédée.

En réalité, il faut être attentif aux deux aspects et ainsicomprendre que créer, c'est réinterpréter d'une façon originale des choses qui existaient déjà.

Ainsi on peut dire quele créateur ne doit ses inventions qu'à lui-même sans pour autant soutenir qu'il a tout inventé de son œuvre.La contradiction que nous avions mise en évidence entre d'une part l'idée selon laquelle les créateurs ne doivent rienà personne et d'autre part celle selon laquelle ils ne peuvent qu'avoir une dette envers leurs maîtres etprédécesseurs, n'était finalement qu'illusoire.

Il n'est pas contradictoire de dire à la fois que les créateurs ne doiventrien à personne et qu'ils ont des dettes à l'égard des autres si on précise que créer quelque chose, c'est appliquerdes formes et des sens nouveaux à des choses anciennes.. »

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