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KANT: La paresse et la lâcheté

Publié le 02/05/2005

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kant
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d'être mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c'est une chose pénible, c'est ce à quoi s'emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de l'humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors. Or ce danger n'est vraiment pas si grand ; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d'en refaire l'essai. Il est donc difficile pour chaque individu de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature. KANT
POURQUOI LA MINORITÉ ?  Au cours de ce second aliéna, la pensée de Kant se fait à la fois plus précise et surtout plus cynique et plus polémique. En effet, si dans le premier mouvement du texte, le philosophe allemand définissait de façon générale les " Lumières " et incriminait la " lâcheté " des hommes abdiquant leur conscience à des directeurs de conscience, dans ce passage, il met au jour l'affairement de ces derniers à abêtir leurs ouailles et dénonce les mécanismes pervers d'un tel processus à travers l'image d'un jeune enfant apprenant la marche.  Pour tenter de comprendre les mécanismes de l'aliénation, de la sclérose intellectuelles du " grand nombre ", du peuple, Kant commence cet extrait par en repérer la double structure, la bipolarité.
  • I. L'introduction du texte
1. Le problème... a) des hommes majeurs... b) se comportant comme des mineurs. 2. ... et sa solution. a) La minorité spirituelle ne s'explique pas par des causes naturelles. b) C'est par sa propre faute que l'homme aliène sa liberté.
  • II. La paresse comme première cause de l'état de minorité
1. L'idée générale. 2. Trois exemples de paresse. a) Le livre. b) Le directeur de conscience. c) Le médecin.
  • III. La lâcheté comme seconde cause de l'état de minorité
1. L'idée générale. 2. Une dénonciation ironique de l'attitude des tuteurs. 3. La réfutation du discours des tuteurs a) Le discours des tuteurs b) La réponse de Kant à ces arguments. 4. Deux idées de l'homme.
  • IV. La conclusion du texte
1. Un optimisme dans l'esprit des Lumières. 2. Un pessimisme d'inspiration chrétienne. 3. L'idée de progrès. 4. Comment promouvoir un progrès des Lumières?
Conclusion

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« lui-même un danger, peut-être en vertu de la relation primitive à la mère.

Aussi inspire-t-il autant de crainte que denostalgie et d'admiration.

Les signes de cette ambivalence marquent profondément toutes les religions [].

Et quandl'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné à rester à jamais un enfant, qu'il ne pourra jamais se passer deprotection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle,il se crée des dieux, dont il a peur, qu'il cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche dele protéger.

Ainsi la nostalgie qu'a de son père l'enfant coïncide avec le besoin de protection qu'il éprouve en vertude la faiblesse humaine ; la réaction défensive de l'enfant contre son sentiment de détresse prête à la réaction ausentiment de détresse que l'adulte éprouve à son tour, et qui engendre la religion, ses traits caractéristiques.

" " Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l'homme ne sauraitabsolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pasle poids de la vie, la réalité cruelle.

Oui, cela est vrai de l'homme à qui vous avez instillé dès l'enfance le doux -ou ledoux et amer- poison.

Mais de l'autre, qui a été élevé dans la sobriété? Peut-être celui qui ne souffre d'aucunenévrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour étourdir celle-ci.

Sans aucun doute l'homme alors se trouvera dans unesituation difficile; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa petitesse dans l'ensemble de l'univers; il ne seraplus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'une providence bénévole.

Il se trouvera dans la mêmesituation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud.

Mais le stade del'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui fautenfin s'aventurer dans l'univers hostile.

On peut appeler cela " l'éducation en vue de la réalité "; ai-je besoin de vousdire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose deréaliser ce progrès? " De même, que le suggère Freud dans ces deux extrait de "L'avenir d'une illusion", la religion apaise l'angoisse propreà tout acte d'exister et nous maintient dans la douce paisibilité de l'ignorance, Kant montre combien il est doux etcommode de se laisser bercer et berner des lumières et de la prétendue sagesse d'autrui: mes livres pensent pourmoi et me donnent réponses, mon pasteur calme ma conscience et me donne bénédictions et absolutions et monmédecins ne soigne et me saigne en me donnant médications et prescriptions. Ainsi va le monde, avec ses lâchetés et compromissions quotidiennes.

Ainsi s'achête à bon prix la bonne conscience,chose du monde assurément la mieux partagée.

Au royaume des indulgences, l'argent et la mauvaise foi sont rois.L'homme diligente aux autres ce qui est de sa plus haute responsabilité et l'intendance suivra! Si jusqu'à présent Kant a mis le doigt sur la pusillanimité des mineurs et leur "active" contribution à leur minoritéinfantile, la suite du texte va dénoncer les stratagèmes et mécanismes des "tuteurs".

Nous passerons pudiquementsur le "beau sexe" et demanderons non sans malice si l'homme n'est pas le tuteur de la femme ? Quoi qu'il en soit, il est une vérité partagée de tous, des hommes comme des femmes: le pas vers la majorité estpénible et dangereux.

Du pas au faux-pas il n'y a qu'un pas.

Penser par soi-même n'est-ce pas aussi penser avecsoi-même et parfois contre soi-même et contre les autres? Socrate n'en est-il pas le paradigme? La maxime des"Lumières" ne porte-t-elle pas en elle le "connais-toi toi-même" socratique et vice versa ? Certes ce pas vers la libération est périlleux, Kant y consent lui-même.

Et il est d'autant plus périlleux que l'on necesse de nous le faire imaginer tel.

Pascal ne disait-il pas que le plus grand philosophe du monde sur une plancheplus large qu'il ne faut ne manque pas lui-même d'être saisi d'effroi? Péril il y a mais de même qu'il ne faut prendre des vessies pour des lanternes, il ne faut pas confondre la chute descorps et la descente aux enfers. Certes l'autonomie de la volonté est une tâche difficile mais sa difficulté n'est pas insurmontable, indépassable, enlangage kantien elle est limite et non borne.

Mais alors d'où provient cette opinion toute faite et surfaite que lamajorité serait l'apanage de quelques "happy fews".

Eh bien d'un pouvoir, d'une emprise quasi-idéologique émanéedes tuteurs.

N'y ont-ils pas intérêt? La Boétie, dans son ouvrage "De la servitude volontaire" montre comment lafonctionnement du pouvoir est un fait de structure et non la simple improvisation d'un individu charismatique aupouvoir incompréhensible de fascination sur des foules stupides.

Il révèle, derrière la magie apparente du pouvoir,toute la machinerie des rapports de dépendance, des intérêts et des positions qui s'enclenchent les unes dans lesautres.

A partir du "tyran" s'instaure une sorte de "réseau de sous-traitance" du pouvoir qui assoit ce pouvoir surune multitude de "tyranneaux", tous défendant les uns des autres.

Structure pyramidale permettant le contrôle de lasociété et son noyautage intellectuel. En effet, comment éviter que son chat n'aille courir les rues sinon en le castrant ou encore alléger la dureté de lavie sinon en usant de sédatifs.

De même comment maintenir un peuple tout entier dans l'obscurantisme et dans lesfers sinon en lui montrant les périls (hérétiques) de la libre pensée et les écueils de l'indépendance.

Ici, à nouveau,la critique rousseausiste du pouvoir de droit divin (Bossuet) et du patriarcat politique peut servir d'illustration aupropos de Kant: "La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille.

Encore lesenfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver.

Sitôt que ce besoincesse, le lien naturel se dissout.

Les enfants, exempts de l'obéissance qu'ils devaient au père, le père exempt dessoins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance.

S'ils continuent de rester unis ce n'estplus naturellement, c'est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention.Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l'homme.

Sa première loi est de veiller à sa propre. »

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