La laideur peut-elle être belle ?

« Moyen Age, Jérôme Bosch, peintre flamand, avait pour habitude de peindre des scènes tourmentées etdémoniaques, comme la Montée au Calvaire qui met en scène des hommes d'une laideur repoussante en train de porter une croix.

Le fait de vouloir représenter la laideur n'est donc pas une lubie moderne.

Des artistes en ontcompris l'importance ou ressentis le besoin depuis des siècles.

Pour Kant, il est possible de faire une grande œuvre àpartir d'une réalité laide (vieillesse, maladie, guerre …).

Francisco Goya en est l'exemple, avec ses célèbres etpoignants tableaux sur la guerre d'Espagne (guerre de 1808-1814), mais également avec les Deux vieux qui mangent. Ce tableau traite avec ambivalence de la laideur : à la fois de la laideur qui existe dans le fait de vieillir et de la laideur physique des deux vieillards, tellement émaciés qu'ils semblent n'être plus que des squelettes. L'art reconnaît et représente la laideur, mais dans quelle mesure s'intéresse-t-il à elle ? Quel rôle joue le laid dans l'art ? III) Le laid a-t-il un rôle important dans l'art ? L'art peut permettre à certaines personnes d'utiliser la création par la peinture, la musique ou la poésie afin d'évacuer des sentiments malsains ou des pensées sombres, c'est ce que Freud appelle la sublimation dans sonIntroduction à la psychanalyse .

Le laid est ainsi transformé en beau.

La laideur dans l'art sert alors à se libérer d'un poids ou d'un désir impossible à assouvir, et parfois même à faire passer un message, à faire comprendre sasouffrance.

La laideur peut ainsi donner une profondeur supplémentaire à l'art.

Dans son poème « Une charogne »tiré des Fleurs du Mal , Baudelaire propose une méditation sur la laideur en utilisant des mots très crus (« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride / D'où sortaient de noirs bataillons / De larves qui coulaient comme unépais liquide / Le long de ces vivants haillons »).

Ce poème aurait-il autant marqué si son auteur n'avait pas utiliséles mots pour se décharger de ses maux ? Il est important pour la mémoire collective de représenter la violence et la guerre par l'art.

Ces œuvres, non seulement, sensibilisent et émeuvent leurs spectateurs mais ont également pour but de nous rappeler les horreursque sont capables de commettre les hommes et nous inciter ainsi à ne plus reproduire les erreurs passées.

Picassopeint en 1951, Massacres en Corée , un tableau aux couleurs ternes (gris, ocre), qui montre des femmes et des enfants nus aux visages déformés par la terreur, mis en joue par des soldats aux visages masqués par d'inhumainset glacials casques métalliques. Il y a une volonté récente et moderne de représenter la laideur, une « haine du beau », de ce beau qui veut masquer la vérité.

Les artistes cherchent à provoquer, à faire réagir, comme par exemple Marcel Duchamp avec sonurinoir rebaptisé ironiquement Fontaine .

Cette tendance est, en outre, une réaction au fait que les régimes totalitaires (fascisme, nazisme …) ont mis en avant les beautés classiques pour nourrir leurs idéologies, écartant lalaideur et la différence.

Mais c'est aussi, dans le même ordre d'idées, une rupture avec les critères esthétiquesclassiques qui « interdisent » à une œuvre de représenter la laideur. Comme le dit Nietzsche, même si l'art doit embellir la vie, il ne doit pas se détourner du laid ni seulement le réinterpréter pour le rendre supportable, de la même sorte que l'on masquerait un visage laid sous une couche demaquillage.

La laideur doit aussi avoir sa place dans l'art, car elle lui est importante et qu'elle fait partie de la vie.. »