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Le langage n'est-il qu'une gène pour la pensée

Publié le 20/03/2004

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Mais condition parfois bien rude ! Nous ne réalisons chacun qu'une infime partie des richesses de l'humain, Nés A une époque et dans un lieu précis; enfermés, par les bornes qu'imposent à notre culture les lois du monde, dans un espace humain fort restreint, nous sommes à la vérité très pauvres. On ne peut réunir en soi l'habileté du technicien et la sagesse du penseur; la tendresse de l'artiste et la force du guerrier. Jamais l'habitant des plaines fertiles ne connaîtra les émotions du montagnard; envoûté par le charme des glauques océans, le marin ignore complètement la lourde familiarité du paysan avec la glèbe, les saisons et leurs travaux. De la même manière, le langage contraint la pensée dont il est le corps. Voyons, par quelques exemples, comment s'exerce cette contrainte. Le langage condamne la pensée à revêtir une expression propre à un groupe linguistique déterminé. On prend conscience de ce fait quand un entend parler un homme qui possède une langue étrangère : lorsqu'il s'agit de rendre certaines nuances, il ne croit pouvoir le faire qu'en lui empruntant quelque tournure : « heimlich » dit quelque chose de plus que « familier », ou « intime »; « spleen » n'est pas une traduction purement univoque de « mélancolie ». Il existe aussi des idiomes inaptes à exprimer certains concepts. Nos langues actuelles sont extrêmement riches, issues de civilisations et de cultures séculaires; mais on ne saurait faire de la métaphysique avec le lexique des tribus pygmées... En effet, le langage étant une limite d'ordre matériel, moins la pensée sera directement intentionnalisée sur le monde, plus elle sera gênée par cette limite.
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« séculaires; mais on ne saurait faire de la métaphysique avec le lexique des tribus pygmées...

En effet, le langageétant une limite d'ordre matériel, moins la pensée sera directement intentionnalisée sur le monde, plus elle seragênée par cette limite.

Tous les dialectes sont aptes à exprimer les idées de l'homo faber qui organisetechniquement la nature où il habite; et il suffit, pour vivre quelque temps dans un pays étranger, de connaître uncertain nombre de mots usuels.

Il n'en est pas de même s'il faut exprimer ou goûter les intuitions d'un poète ou d'unphilosophe.

Alors, la langue n'est pas seulement une cause de torture pour celui qui porte en soi une pensée dont iln'arrive pas à trouver l'expression adéquate; elle est encore une menace d'affaiblissement et d'appauvrissementpour la pensée en général, dont les virtualités, demeurant inemployées faute d'instrument, risquent de s'étiolerjusqu'à disparaître tout à fait.

C'est pourquoi sans doute l'étude des langues anciennes ou modernes a une valeurprofondément formatrice. Cette gêne n'est-elle pourtant en elle-même que pur obstacle ? La limitation n'est-elle que négation ? On ne sauraitle croire.Le rapport de l'esprit à le matière n'est certes pas une benoîte entente cordiale.

La relation inclut l'opposition, maiscomme génératrice de lutte et d'épreuve où le vie se trempe.

L'esprit s'aliène pour s'affirmer, se perd pour seretrouver dans une résurrection qui le revêt d'une gloire et d'une grâce toujours nouvelles.

On peut d'ailleurs établirdialectiquement que cette orientation est bien positive.

Car la valeur du principe de finalité peut se fonder grâce àune réflexion sur la genèse progressive de la conscience de.

soi.

Cette conscience ne surgit que par relation à autruiseule une personne peut donner à une personne d'être personne en évoquant sa liberté.

De cette manière, lasubjectivité relative ainsi constituée étant au principe de toutes les valeurs, ne saurait tomber sous leur domination.Elle s'impose au contraire comme la valeur suprême, qui doit se soumettre toutes celles par opposition auxquelles illui faut s'affirmer.Voyons comment cela se manifeste dans le devenir qui symbolise — et peut aussi réaliser instrumentalement — ledrame de la subjectivité qui s'achève, dans le devenir de la pensée aux prises avec le langage.On constate chez tous les grands écrivains un effort pour triompher des inconvénients de l'instrument en lesintégrant.

La pensée s'affermit alors en cherchant à se tailler une forme plus pure dans la matière indocile.

Que l'onsonge à la façon dont PLATON parvient à exprimer des vérités philosophiques à travers le charme des mythes ou des images.

Ce n'est d'ailleurs là ni pour lui, ni pour ceux qui veulent communier réellement àsa pensée une solution de facilité mais, au contraire, une amorce de méditationstoujours approfondies.

Que l'on pense aussi aux effets inlassables des poètes pourexposer leurs intuitions esthétiques et humaines; spécialement, à ce « frisson nouveau »que fit naître le génie de BAUDELAIRE, et qui fut à l'origine du symbolisme.

Tout est alorsmis en oeuvre : non seulement la valeur sémantique des mots, mais encore leurspropriétés musicales; on a même vu MALLARMÉ demander à la disposition typographiquede se faire à sa manière messagère de l'idée.Si l'on reprenait la distinction faite plus haut entre les deux fonctions de la Pensée,fonction existentielle et fonction formelle, on pourrait dire que, dans la saisie desformes, la pensée s'abîme toujours en s'exprimant.

C'est pourquoi le travail n'est jamaisachevé, et s'il y a dans deux mille ans des hommes qui pensent et parlent, ils pourrontdire encore du nouveau authentiquement nouveau.Par la fonction d'affirmation nous posons une existence, nous accueillons en quelquesorte un être en lui reconnaissant le droit de respirer comme nous l'atmosphèreontologique.

C'est une manière de don de soi et d'engagement.

Le langage ne trahit pas la pensée dans cette activité, même s'il n'arrive pas à exprimer adéquatement le contenu même de ce don.

Pensonsici aux oeuvres des vrais mystiques, à certaines « confessions » ou autobiographies — non point à celles entreprisessurtout par vanité, mais à celles écrites dans la droiture du coeur et de l'intention.

Leur valeur de témoignage estindubitable et elles sont, pour qui les lit avec un coeur simple, lumière et vie, malgré une portée littéraire parfois bienréduite.

Tels, par exemple, les sermons du curé d'Ars qui, sans prétendre à la grande éloquence, émouvaient biendes gens plus raffinés que le prédicateur.

Il y a là, presque à l'état pur, une apparition de la force qui sous-tendtoute pensée. Quoi de plus répandu et de plus banal que le stérile bavardage, ? Et pourtant, la réflexion sur le langage nous lemontre comme participant du caractère sacré de ce qu'il signifie et incarne, la pensée.

Peut-être comprend-onmieux alors comment une vraie éloquence est fille du silence et reconnaît-on un sens moins étroitement rigoristequ'il ne semble tout d'abord à la condamnation portée par l'Évangile contre les paroles oiseuses.. »

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