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Le langage nous éloigne-t-il de la réalité ?

Publié le 20/10/2012

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langage

 
Comment les mots portent-ils sur les choses ? De prime abord, nous pourrions dire que le langage, comme faculté proprement humaine, désigne la réalité, le donné immédiatement sensible perçu par les sens. D’une part, les mots cernent certains types de réalité dans leurs caractéristiques ; d’autre part, ils les distinguent des autres choses. Nommer une chaise ‘chaise’, c’est à la fois rassembler sous une même appellation tout ce qui s’apparente à l’objet en question et le différencier de la table, du bureau. Depuis lors, on voit mal comment les mots pourraient nous éloigner de la réalité. Étrange paradoxe de demander si le langage éloigne l’homme des choses, car que serait une réalité sans son nom ! Comment même savoir que cette chose existe indépendamment de l’acte de nomination ? Le langage est le seul outil indispensable pour les désigner à l’attention d’autrui. Pourtant, qui n’a pas éprouvé cette expérience de ne pouvoir trouver le mot juste pour exprimer une chose ! Le mot ‘chaise’ ne vaut-il pas pour toutes les chaises en taisant la singularité de la chaise, là devant moi ; en se tenant à la surface de la chose même. Le mot ‘table’ ne désigne pas cette table-ci avec toutes ses qualités sensibles, empiriques, concrètes, mais l’idée générale et abstraite de la table. N’est-ce pas dire que la réalité empirique est innommable parce qu’entièrement singulière ? Le mot n’abandonne-il pas la réalité empirique particulière, sensible, au profit du général ? 

langage

« ‘amitié’, ‘affection’ ? Le mot ‘amour’ ne nous éloigne -t- il pas de la réalité de ce sentiment ? Certes, on objectera que cette pauvreté du langage n’est pas insurmontable.

On peut préciser le sens des mots, expliquer dav antage la réalité du sentiment en ayant recours à des dénominations plus ajustées.

Mais définir, expliquer, c’est encore parler, user du langage.

Si chaque mot avait un sens préalablement fixé, on ne pourrait dépasser l’imprécision.

L’interlocuteur ne mettant pas les mêmes mots sous les mêmes choses, il ne saisirait rien de ce que je dirais.

Chaque mot ajouté loin de préciser ne ferait qu’engager une confusion nouvelle.

Certes, le contexte linguistique et extralinguistique permettrait d’affiner une meilleure approche de la réalité.

Cette précision contextuée ne fait que retarder la déficience du langage dans sa saisie du réel.

En effet, par définition, le langage est nécessairement général.

Quand je dis ‘arbre’, je désigne l’arbre en général, et non ce chêne singulier que je vois, ce bouleau particulier qui se tient devant mes yeux.

On ne peut donc que s’éloigner des choses individuelles en laissant de côté ce qui en fait l’originalité.

Et même si on essaie de spécifier cette particularité, par une descriptio n plus minutieuse, nous sommes encore et toujours contraints à employer des termes généraux.

Parce que le langage est commun, il est impropre à dire l’exception.

Devant une forte douleur, le mot ‘douleur’ ne me condamne -t- il pas à manquer l’intensité, l’ex périence intime de ma douleur ? Dans le domaine psychologique, puisque le langage est essentiellement social, la pensée autistique demeurant sans contact avec la réalité extérieure et avec autrui est donc incommunicable.

Chez les schizophrènes, l'aphasie n 'a pas d'autre sens.

N'existe-t- il pas dans la réalité affective des nuances individuelles que le langage ne traduit qu'imparfaitement ? Il y aurait un ‘je -ne -sais -quoi ne sais quoi’ que le langage ne saurait exprimer.

Jaspers signale cet inexprimable au niveau de la communication des consciences.

Les mots drainent ce qu'il y de commun, d'impersonnel, ils recouvrent les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle.

Il insiste sur le caractère ‘ineffable’ de la communication, celle -ci silencieuse reste le ‘secret de deux êtres’ qu'elle unit, puisque l’inexprimable est affirmation existentielle et non conceptuelle de l'unicité de deux êtres.

Toute existence, toute réalité individuelle est unique, pas seulement dans sa particularité histo rique comme l'avaient reconnu les Scholastiques ‘inépuisable et inexprimable’, c'est l'existence elle- même qui s'oppose au discours, et la philosophie comme discours sur l'existence, ne peut prétendre l'exprimer : elle ne peut être qu'un appel qui éveille l'existant et l'invite à être authentique.

Les mystiques reconnaissent l'impossibilité et l'impuissance de l'intelligence et du langage à comprendre et exprimer l'Être infini.

Dieu est ‘l'ineffablement élevé’ au -dessus de toutes créatures.

Ceux qui tentent d'entrer en communication avec Dieu, réalité suprême, ne trouvent pas de paroles pour exprimer cette union.

Ils ressentent dans l'extase l’Indicible.

N’y a -t- il pas là un échec insurmontable pour toute philosophie pour se hisser à la réalité par le truchement des mots, seuls outils du philosophe ? N’est -ce pas le péril encouru par toute critique philosophique du langage ? Bergson, par exemple, va incriminer la nature du langage, notamment dans le domaine métaphysique : ‘ Nous ne voyons pas les choses en elles -mêmes, nous nous bornons le plus souvent à coller des étiquettes sur elles [...

] Car les mots désignent tous des genres.

’ (Le Rire) Le langage masquerait la vraie nature des choses qui est toujours concrète et singulière.

Seule l'intuition permet d'atteindre l'absolu en coïncidant avec ce que l'objet a d'unique et d'inexprimable.

La critique de Nietzsche est, à l’endroit de l’impuissance du langage à transcrire la réalité, plus provocatrice.

En effet, le langage n’est -il pas la source de l’illusion à vouloir atteindre la réalité ? L’homme croit aux idées et aux noms des choses comme à des vérités éternelles.

‘ Il pensait réellement, écrit-il dans Humain, trop humain, avoir dans le langage la connaissance du monde.

’ Or loin de connaître la réalité du monde, il n’a fait que donner aux choses des désignations en se figurant. »

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