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Lecture Analytique de Candide, Chapitre 19, « le nègre de Surinam » : En approchant de la ville ... en pleurant, il entra dans Surinam »

Publié le 11/09/2006

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PREMIER AXE : LA CRUAUTE DES ESCLAVAGISTES, DU CONSTAT A LA DEMONSTRATION Nous allons montrer que le but du philosophe est de dénoncer l’esclavage dans un premier temps en restant objectif, c’est-à-dire en montrant plus qu’en démontrant. Pour que la vision de l’esclave soit plus marquante, pour qu’elle s’inscrive ensuite dans un plaidoyer efficace, il installe le nègre dans une posture de victime : « étendu par terre «. Sa soumission fonde son immobilité : « j’attends mon maître « (Voltaire veut nous montrer que le noir à terre n’a que le droit d’attendre, de végéter, alors que Candide et ses compagnons ont la liberté de voyager, par exemple ici en Guyane hollandaise). Il s’agit peut-être aussi d’un signe de sa fatigue physique. Le dénuement de l’esclave se signale par des manques (la moitié de son habit, une jambe, une main). Les mutilations, comme l’explique la victime ont deux origines : l’accident et la répression. Pour éviter la gangrène, le maître ampute la main accidentée, en guise de châtiment pour s’être enfui, c’est la jambe qui est coupée. Le lecteur est mis devant une image physique des conséquences du système esclavagiste particulièrement violente. Cette posture de victime amplifiera, pendant une grande partie du discours du nègre, sa passivité. Ses paroles sont en effet marquées par un respect du blanc instinctif (il répond un « oui monsieur « à Candide plein de politesse) mais surtout par une grande fatalité. On note l’anonymat d’un système féroce qui agit (le « on « indéfini dans « on nous donne, on nous coupe « ne fait que constater la brutalité en la répétant car le verbe couper est utilisé 2 fois). On note aussi le commentaire désabusé de l’esclave : « c’est l’usage «. La notion d’usage renvoie au code noir qui gradue les fautes et les sanctions. Institué par Colbert en 1685, ce code avait pour fonction d’humaniser la barbarie des maîtres, Voltaire en fait un instrument de ce constat impitoyable. Le lecteur remarque que le « nous « collectif est utilisé à la place du « je « dans le témoignage de l’esclave (« quand nous voulons nous enfuir « par exemple) pour élargir sa situation à celle de tous les esclaves. Le philosophe veut rendre compte d’un système universel à combattre. La phrase du nègre « je me suis trouvé dans les deux cas « est aussi symbolique de la résignation de cet homme : elle ne contient aucune intention de se plaindre ! Le constat s’appuie aussi sur des comparaisons. La plus frappante est celle qui met sur le même plan les animaux et les esclaves : le nègre constate que « les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moinss malheureux que nous «. La question du bonheur est nouvelle au XVIIIe siècle, elle entre dans les mentalités sous la forme d’un besoin ontologique, et Voltaire veut faire s’entrechoquer l’image attendrissante des animaux de compagnie, confortablement traités, et celle des esclaves exploités et brutalisés ! La seconde comparaison s’inscrit dans un raisonnement sur les valeurs de la religion chrétienne. L’esclave constate que, si nous sommes frères ou cousins (blancs et noirs), il existe une curieuse manière de traiter sa parenté. L’expression « vous m’avouerez « prend à témoin Candide et ses amis et mélange la constatation objective et le désir de faire partager. C’est donc que le texte bascule dans un deuxième temps vers une démonstration. Voltaire quitte l’objectivité pour entrer dans le sentiment propre de l’esclave. Le texte bascule dans la subjectivité argumentative par une phrase de transition qui ne comporte pourtant aucune trace d’énonciation personnelle mais qui dénonce le système par le biais du thème économique : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe «, ce qui signifie que chaque européen est complice. C’est une phrase de philosophe qui ressemble à un argument que Montesquieu pouvait employer dans l’Esprit des lois. La dénonciation débute donc par une accusation « vous mangez du sucre « associée à sa conséquence « c’est à ce prix « (le démonstratif « ce « évoque directement les mutilations de l’homme qui parle) et ici c’est un homme conscient de la barbarie de l’esclavage. Le nègre parle donc en tant que porte-parole de Voltaire. La subjectivité se met en place nettement par le discours direct de la mère qui relaie l’argumentaire esclavagiste : mieux vaut travailler pour les blancs que mourir de faim en Afrique. Voltaire utilise les notions d’ « honneur « et de « bonheur « pour démontrer que ces deux valeurs sont absentes du système qu’il dénonce. La parole vivante de la mère permet à Voltaire d’aiguiser son argumentation par l’utilisation du registre pathétique, qui, associé au registre ironique, forme l’originalité de ce texte. DEUXIEME AXE : DEUX REGISTRES AU SERVICE DU COMBAT : IRONIE ET PATHETIQUE Le premier registre exploité par Voltaire est le registre ironique. La double entente fait sourire le lecteur conscient que dans un conte philosophique il réfléchit en même temps qu’il s’amuse. La première trace d’ironie est cachée dans le nom du maître : les consonances hollandaises font ressortir la brutalité mais aussi les deux « qualités « du maître : Vanderdendur est celui qui vend et celui qui a la dent dure (le négoce et la maltraitance). D’autres traces d’ironie sont visibles. L’adjectif « fameux « (qui signifie réputé) est également ironique (il n’est pas réputé pour son humanité mais il l’est pour son inhumanité). Le caleçon « de toile « évoque pour le lecteur du XVIIIe siècle le fait que la toile servait à emballer la marchandise ! La froideur administrative que l’on perçoit dans « je me suis trouvé dans les deux cas « induit que le lecteur doit se révolter par tant de formalisme. Plus loin, le mot « fortune « est également à double sens. Le champ lexical de la religion (mon dieu, bénit, seigneur, Adam, fétiches) permet de mettre en lumière les contradictions entre les fondements de la religion et le traitement des noirs. Ainsi l’expression « fétiches hollandais« pour désigner le culte chrétien met sur le même plan la religion africaine et la religion des européens et permet à Voltaire de dénoncer sans le montrer la responsabilité de l’Eglise catholique vis-à-vis de la traite négrière. N’oublions pas que la censure s’exerce sur le moindre des écrits des philosophes ! L’expression « tous les dimanches « insiste sur la répétition donc sur l’évangélisation forcée. L’ironie est aussi le moyen pour Voltaire de régler des comptes et de livrer des batailles philosophiques. Vanderdendur rappelle le nom du libraire hollandais Van Düren avec lequel Voltaire s’était fâché. Mais Candide est aussi (comme son sous-titre le dit) un conte anti-optimiste. Voltaire veut contrer le providentialisme de Leibniz sur la question philosophique du mal ! La réponse de ce conte montre que c’est la lutte qui permet à l’homme de conquérir ses droits et qu’il faut lutter contre l’optimisme qui est, comme le dit la fin du texte « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal «. Cette phrase n’est pas ironique car elle dit clairement que Pangloss a tort. C’est une prise de conscience de Candide. Cette prise de conscience est symbolisée par deux expressions verbales qui ouvrent et ferment ce passage : « ils rencontrèrent « (le pluriel inclut Pangloss, représentant de la philosophie de Leibniz) opposé à « il entra dans Surinam « (le singulier « il « montre l’affranchissement de Candide : il n’est plus lui-même l’esclave du système optimiste). Le mot « abomination « utilisé dans le dernier paragraphe prend nettement position. Enfin, le deuxième registre, le registre pathétique, est utilisé par Voltaire pour apitoyer le lecteur. On remarque le besoin de fraterniser dans la question de Candide (« eh mon Dieu... «, mais surtout les larmes qui permettent de clore l’extrait : profondément touché, Candide fait de cet esclave, « son « nègre, c’est-à-dire un ami, il lui donne une valeur (et non un prix), il en fait un élément de sa prise de conscience des injustices du monde : le nègre n’est plus un objet simplement utile à cultiver les propriétés des riches européens.

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