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Lecture linéaire: Paul Eluard, « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique », Deux poètes d'aujourd'hui

Publié le 02/10/2010

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Paul Eluard, le poète « aimant l’amour « est considéré comme l’un des plus grands poètes du XXème siècle. Surréaliste, il est particulièrement connu pour son usage particulier de la comparaison, la création d’images inédites, originales, et pourtant toujours accessibles au lecteur non initié. On peut citer l’une des plus célèbres : « La terre est bleue comme une orange «. Il est aussi un poète de l’amour, thème sans cesse chanté, revisité, glorifié dans ses œuvres. 

Le poème étudié détonne un peu relativement à l’idée que l’on se fait ordinairement d’Eluard et ce, dès le titre. Voilà un poème manifeste, dans lequel Eluard semble vouloir assigner un rôle particulier à son art. 

En quoi le titre du poème est-il révélateur de l’ensemble du texte ?

Nous répondrons à cette question en proposant une lecture linéaire du texte, lecture linéaire qui nous parait plus pertinente qu’une lecture analytique ici.

 

Présentation générale du poème :

 

Le poème est en alexandrins libres (dodécasyllabes) et l’on peut clairement déceler deux mouvements opposés. Dans un premier temps (v. 1 à 12), Eluard parle de la poésie amoureuse, lyrique, celle où le poète exprime ses sentiments personnels, toujours comprise et aimée par le lecteur malgré ses images déroutantes et ses obscurités et dans un deuxième temps (vers 12 à la fin) Eluard évoque sa conception de la poésie, qui s’éloigne des fonctions « traditionnelles « (chanter l’amour, la nature, produire des images). Le connecteur « Mais « v. 12 semble constituer le pivot du texte. Cette structure binaire nous engage à produire une lecture linéaire du poème.

 

Le titre et la dédicace :

Le titre semble avoir une valeur programmatique. Il est en fait constitué d’une citation empruntée à Lautréamont (1846-1870) et énonce le thème du texte que nous allons lire. Eluard va nous parler des fonctions de la poésie. L’utilisation du verbe « devoir « (« doit avoir pour but «) montre bien que pour notre poète, la poésie doit répondre à une exigence particulière. Que penser de l’expression : la vérité pratique ? Elle est au moins double. Elle signifie que la poésie est révélatrice de la vérité, non pas d’une vérité éternelle, transcendantale, mais pratique c'est-à-dire adaptée à la situation concrète et immédiate des hommes. Nous pouvons déjà en déduire que la poésie, selon Eluard, doit être donc aussi, une poésie de  circonstance, une poésie utile, loin peut-être des artifices de l’art et des images. La dédicace « à mes amis exigeants « nous montre que le poème est particulièrement destiné à quelques personnes qui ne comprennent pas l’engagement politique du poète de l’amour. Ce poème apparait donc, dès le titre, comme une explication, une justification sur la conception de la poésie selon Eluard et ses prises de position politiques – et poétiques.

 

Première partie du poème : v. 1 à 12 :

La première partie du poème est constituée de quatre tercets particulièrement rythmés, grâce notamment aux tétramètres (1, 3, 4, 6, 9, 12) et aux anaphores : « Si je vous dis « et « Vous me croyez « qui la jalonnent. Cette première partie, évoque la fonction traditionnelle de la poésie, la poésie amoureuse, poésie lyrique où le poème exprime ses sentiments. Le « je « qui apparait dès le début du poème désigne évidemment Eluard, mais aussi, à travers lui,  le poète en général. Que nous dit le poète dans cette première partie ? Tout simplement que lorsqu’il parle d’amour, de désir, de nature, il est toujours entendu et compris, même si ses propos sont obscurs. 

 

   * Ainsi la strophe 1  met en évidence le pouvoir évocateur de la poésie à travers une comparaison originale. Le « soleil dans la forêt « est comparé à « un ventre qui se donne dans un lit «. Le poète associe la nature et l’amour, deux thèmes privilégiés de la poésie. L’image parait étrange car Eluard inverse le rapport comparant/comparé. Il aurait semblé plus simple et moins original de dire que le ventre dans un lit est comme un soleil. Le ventre, la mention du lit, le verbe explicite « se donner « évoquent  les plaisirs amoureux comme le souligne le terme « mes désirs « au v 3. Le poète parle du corps de la femme, qu’il embellit par la comparaison inversée du soleil et emporte l’adhésion de ses lecteurs « vous approuvez tous mes désirs «.

 

   * Construite sur le même modèle, la deuxième strophe évoque également les plaisirs de l’amour « dits « par le poète. Il faut s’arrêter un instant sur ce verbe de « dire « qui va curieusement s’opposer, par contraste au verbe « chanter « v.13. Le verbe dire évoque la parole, la conversation naturelle, sans artifice, alors précisément que le poète évoque l’amour de façon artificielle par le biais d’images. On peut émettre l’hypothèse qu’Eluard a voulu montrer, par l’utilisation de ce verbe, que l’on considère que la production d’images étonnantes et le thème de l’amour sont la parole ordinaire du poète. La deuxième strophe donc, poursuit l’évocation des plaisirs amoureux : « la paresse de l’amour « v.5 et « vous allongez le temps d’aimer « et nous parle de repos amoureux, de langueur, faisant suite au désir exprimé précédemment. Cette langueur amoureuse est suggérée par une métaphore « musicale « : « le cristal d’un jour de pluie sonne toujours«. Comment interpréter cette image ? L’auteur veut-il nous faire entendre, comme les amants, les gouttes de pluie, ou veut-il signifier l’ennui inévitable, qui suit l’assouvissement des désirs ? Quoiqu’il en soit, les lecteurs, toujours à l’unisson, suivent les conseils du poète, en allongeant « le temps d’aimer «. 

 

   * La strophe suivante, là aussi que l’on peut lire comme la suite de ce qui précède, parle de « l’inquiétude « du poète, qui voit la femme désirée se refuser à lui « un oiseau qui ne dit jamais oui « v. 8. Eluard semble nous raconter, dans ces trois strophes, l’histoire du déroulement ordinaire de l’amour (le désir, l’ennui, le refus). Par le biais de métaphores encore, le poète mêle nature et humanité, le lit devient ainsi un arbre « les branches de mon lit « v. 7, qui fait écho à « la forêt « v. 1 et « verdure « v. 11, « un lit « terme général au vers 2 devient ici « mon lit «, preuve que le poète parle plus intimement de sa vie personnelle, dans lequel vient se nicher la femme oiseau. Le terme « fait son nid « peut donner lieu à de multiples interprétations : se cache-t-elle ? Attend-t-elle un enfant ? Peu importe, en parlant de lui, le poète transmet son émotion aux lecteurs qui « partagent « son inquiétude.

 

   * Dans la quatrième strophe,  le poète entrechoque les images et les éléments « dans le golfe d’une source tourne la clé d’un fleuve entr’ouvant la verdure «, il semble ouvrir des portes multiples dans le visible, posséder la clé du monde et de ses mystères. Le poète n’a-t-il pas accès à l’invisible ? n’est-il pas en parfaite harmonie avec la nature ? L’image est volontairement obscure, surréaliste (elle peut rappeler les tableaux oniriques de Dali) et fait penser aux exercices d’écriture automatique, au langage de l’inconscient qui caractérise la poésie surréaliste. On peut aussi lire cette strophe en relation avec les précédentes, pourquoi ne pas voir une image de la sexualité (golfe, source, entrouvrir) évoquant les plaisirs de l’amour ? Cette image non expliquée est encore une fois comprise par les lecteurs comme le souligne Eluard de façon insistante : « Vous me croyez, encore plus vous me comprenez «. 

 

   * Quand le poète parle d’amour, de plaisir, de tourments, de nature, qu’il évoque ses sentiments « les désirs «, « mon inquiétude «, qu’il crée des images par le biais de comparaisons, de métaphores, en les entrechoquant, en les superposant comme dans la strophe 4, il emporte toujours l’adhésion du lecteur qui le croit sur parole, aussi obscure ou raffinée cette parole soit-elle.  On pense en effet que le poète détient la vérité suprême sur les sentiments : l’utilisation du présent de vérité générale, mis en valeur par les verbes à l’attaque du deuxième vers de chaque tercet, nous le montre. Le lecteur et les amis d’Eluard ont une vision trop étroite de la poésie, qu’ils réduisent à l’amour, au rêve, à la production d’images, aux sonorités (voir les nombreuses assonances en i dans cette première partie), et c’est ce qu’Eluard leur reproche… poétiquement v1 à 12. Cette partie semble s’opposer radicalement à l’exigence poétique exprimée par le titre.

 

Deuxième partie du poème : v. 12 à la fin

 

Cette partie s’oppose à la première comme nous le montre le connecteur « mais « qui l’ouvre. Elle diffère aussi par sa forme plus ramassée : deux tercets suivis d’un sizain. Enfin elle n’a pas le même rythme ; il n’y a plus ici de répétitions, d’anaphores, ni dans les termes ni dans le thème. Eluard montre ainsi que sa conception de la poésie est plus variée et plus riche que l’idée ordinaire que l’on se fait de cet art.

 

   * Dans le premier tercet l’expression « chanter sans détours « s’oppose à tout ce qu’il a fait plus haut. Chanter s’oppose à « dire « dans le sens où cela évoque véritablement la fonction lyrique de la poésie, alors que dire avait plutôt le sens de parole prophétique. Eluard veut dire sans doute, que ce qui rend la poésie lyrique, ce qui la fait « chanter « ce n’est pas forcément l’amour, qui se résume en paroles obscures, mais la réalité concrète, dénuée d’artifices. En outre chanter « sans détours « montre que le poète souhaite dite clairement et nommément les choses, sans les embellir. Aussi le poète ne se propose plus de parler d’amour mais de la désolation de son pays après la guerre (voir la date du poème) : « ma rue entière et mon pays entier comme une rue sans fin «. Il n’y a plus de sentiments, plus d’humanité, comme si les hommes étaient tous morts mais une description désolée. Cette façon de faire de la poésie ne convient plus aux amis exigeants « vous ne me croyez plus vous allez au désert « qui, comme le chanteur inutile dont parle Hugo dans Fonctions du poète se détournent, s’isolent pour ne pas voir les choses, pour ne pas écouter une parole qui les dérange.

 

   * Dans le deuxième tercet, Eluard reproche à ses amis (à ses lecteurs ?) leur errance et leur indifférence. Leur vie n’a pas de sens ou bien ils n’ont pas vu quel était le vrai sens de l’existence et donc de la poésie : « Car vous marchez sans but sans savoir que les hommes ont besoin d’être unis, d’espérer de lutter «. On remarque ici une énumération sur le rythme ternaire de verbes qui évoquent à la fois la fraternité et le combat. Le rôle de la poésie est avant tout d’unir, de fédérer tous les hommes afin qu’ils puissent analyser et changer le monde,  comme le souligne Eluard au vers 18 : « Pour expliquer le monde et pour le transformer «. Eluard montre ici sa foi en l’humanité et en la poésie qui doit donc être utile, puisqu’on a « besoin « d’elle (v. 17). On peut relire à la lumière de ce vers le titre du poème.

 

   * Dans le sizain qui vient clore le poème,  Eluard concilie les deux fonctions de la poésie, lyrique et engagée. La poésie est aussi bien images, révélation,  rêve qu’engagée et politique. Elle est à la fois poétique et didactique, ailée et pratique. Aussi il se donne comme mission de convertir ses amis et tous ses lecteurs, car le poète est  à l’avant garde du combat pour la liberté : « D’un seul pas de mon cœur je vous entrainerai « : le cœur du poète est à tous, il ne recèle pas uniquement des émotions  égoïstes. Le vers 20, montre la fatigue et la volonté de vivre du poète qui se positionne non plus en guide mais en homme qui a souffert et qui a su rester debout, désireux de faire partager sa lassitude et son courage « Je suis sans forces j’ai vécu je vis encore «. Le poète est celui qui doit « libérer « les hommes « v.22. Mais il doit lutter contre le désir des hommes d’être enchantés par la poésie, aussi il doit d’abord les « ravir « c'est-à-dire leur procurer un « ravissement «, terme joyeux, léger, un peu mièvre. Ce terme peut également évoquer l’enlèvement (ravisseur). Le poète doit-il, de façon un peu hypocrite, « enlever «  d’abord ses amis par l’évocation de ses déboires amoureux, avant de leur faire comprendre que la poésie est bien autre chose et qu’elle a « pour but la vérité pratique « ? D’ailleurs le poète montre son incompréhension face à cette attitude égoïste : « Mais je m’étonne de parler pour vous ravir quand je voudrais vous libérer «.  Afin dans les deux derniers vers,  Eluard concilie les deux visions de la poésie : la poésie certes poétique, celle qui chante la nature et l’embellit par le langage et les images « vous confondre aussi bien avec l’algue et le jonc de l’aurore « que la poésie engagée, politique dont le but unique est l’humanité et le monde meilleur de demain « qu’avec nos frères qui construisent leur lumière «. En faisant se correspondre les termes « aurore « et « lumière «, en utilisant « nos frères «,  Eluard démontre à ses amis exigeants  que la poésie n’est pas simplement plaisir esthétique,  élitiste,  mais qu’elle doit s’adresser à tous les hommes. Le poète a un rôle à jouer dans la vie réelle, il est le médiateur non plus entre les dieux et les hommes, mais entre les hommes tout simplement.

 

Conclusion

Répondre à la problématique

Ouverture : Hugo, Fonctions du poète et autres textes de la séquence, comme Desnos, par exemple.

 

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