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Lévinas: La technique, asservissement ou libération ?

Publié le 15/03/2006

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technique
Il serait urgent de défendre l'homme contre la technologie de notre siècle. L'homme y aurait perdu son identité pour entrer comme un rouage dans une immense machinerie où tournent choses et êtres. Désormais, exister équivaudrait à exploiter la nature ; mais dans le tourbillon de cette entreprise qui se dévore elle-même, ne se maintiendrait aucun point fixe. Le promeneur solitaire qui flâne à la campagne avec la certitude de s'appartenir, ne serait, en fait, que le client d'une industrie hôtelière et touristique livré, à son insu, aux calculs, aux statistiques, aux planifications. Personne n'existerait pour soi. Il y a du vrai dans cette déclamation. La technique est dangereuse. Elle ne menace pas seulement l'identité des personnes. Elle risque de faire éclater la planète. Mais les ennemis de la société industrielle sont la plupart du temps des réactionnaires. Ils oublient ou détestent les grands espoirs de notre époque. Car jamais la foi en la libération de l'homme n'était plus forte dans les âmes. Elle ne tient pas aux facilités que les machines et les sources nouvelles d'énergie offrent à l'enfantin instinct de la vitesse ; elle ne tient pas aux beaux jouets mécaniques qui tentent la puérilité éternelle des adultes. Elle ne fait qu'un avec l'ébranlement des civilisations sédentaires, avec l'effritement des lourdes épaisseurs du passé, avec le pâlissement des couleurs locales, avec les fissures qui lézardent toujours ces choses encombrantes et obtuses auxquelles s'adossent les particularismes humains. Il faut être sous-développé pour les revendiquer comme raisons d'être et lutter en leur nom pour une place dans le monde moderne. Le développement de la technique n'est pas la cause - il est déjà l'effet de cet allègement de la substance humaine, se vidant de ses nocturnes pesanteurs.

Le thème qu’aborde Levinas dans ce texte est celui de la technique. Levinas y soutient la thèse selon laquelle, en dépit des inconvénients de la technique, celle-ci correspond à une libération de l’humanité. Levinas prend bien le temps de rappeler les problématiques classiques qui tournent autour de la technique, exposant les doctrines d’après lesquelles celle-ci accaparerait l’homme dans des directions qui le perdraient. Mais il essaye également de montrer que les choses ne sont peut-être pas si simples, et que cette technique à qui l’on impute d’être la cause de tant de maux n’a peut-être pas été analysée de la manière qu’il convenait. Nous avons découpé ce texte en deux moments. Dans un premier temps, Levinas nous remet en mémoire les théories classiques ayant trait au problème de la technique. Ensuite, dans un deuxième temps, le philosophe nous expose son propre point de vue sur la technique dont il vante les mérites.

 

technique

« de sens car éloigné de l'Être, et donc un désir qui anéantit l'identité même de l'homme.

Levinas rappelle ainsi ladoctrine heideggérienne lorsqu'il dit qu'à l'ère de la technique « exister équivaudrait à exploiter la nature ; mais dansle tourbillon de cette entreprise qui se dévore elle-même, ne se maintiendrait aucun point fixe.

» Dans une telleentreprise, l'homme ne prend plus la posture de celui qui se prépare à recevoir l'Être dans la nature, il prend laposture de celui qui réduit la nature en esclavage.

A partir de ce point, Levinas fait maintenant référence àRousseau.

Rousseau a en effet écrit un livre qui s'intitule Les rêveries du promeneur solitaire .

Or, Levinas écrit que « le promeneur solitaire qui flâne à la campagne avec la certitude de s'appartenir, ne serait, en fait, que le clientd'une industrie hôtelière et touristique livré, à son insu, aux calculs, aux statistiques, aux planifications.

» Pourquoiglisse-t-il ici une référence à Rousseau ? Parce que Rousseau est l'emblème philosophique de la critique de latechnique, il est celui qui, en plein siècle des Lumières, dans la période même où l'on chantait les louanges de latechnique, a instigué la critique philosophique de la technique : « Nos âmes se sont corrompues à mesure que nossciences et nos arts se sont avancés à la perfection » écrit Rousseau dans le Discours sur les sciences et les arts. Pour Rousseau, c'est le progrès de la société qui détruit la liberté humaine, et avec lui sa jouissance d'être aumonde.

L'homme qui a connu le progrès devient l'esclave de ce monde qu'il s'est créé, asservi à de nouveauxbesoins il perd son être propre, son authenticité pour une existence superficielle.

Dans un tel état social, commel'écrit Levinas « personne n'existerait pour soi.

» C'est là la crainte de Rousseau, et c'est bien ce qui semble s'êtreaccompli, puisque même le « promeneur solitaire » ne s'appartient plus. b) De « Il y a du vrai… » à « faire éclater la planète.

» : Le philosophe exprime ici une inquiétude peut-être moins métaphysique, mais néanmoins tout aussiimportante à l'égard de la technique, l'inquiétude de voir la technique « faire éclater la planète ».

Ces discours-làsont peut-être plus communs, mais ils sont tout autant préoccupants.

On note bien aujourd'hui que la naturesemble mise en péril par le développement des techniques humaines.

Il est avéré que la pollution, qui se manifestesous diverses formes (réchauffement climatique, marées noires, retombées radioactives etc.) est majoritairementdue à l'homme, et surtout à ses machines.

Outre les effets dévastateurs dont l'espèce humaine est ainsi victime, etqui résultent directement de cette pollution, cette dernière détruit petit à petit l'environnement et perturbel'écosystème, si bien que les ressources vitales à l'homme s'amoindrissent.

Ce faisant, l'objectif fixé par Descartesqui consistait à se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » n'est pas atteint du tout, puisque lamaîtrise de l'environnement naturel échappe totalement à l'homme, et que ces techniques qui cherchaient à sauverdes vies causent désormais des morts. Transition : Ne faut-il pas cependant que Levinas s'élève à un niveau supérieur de compréhension de ce phénomène qu'est la technique ? De « Mais les ennemis de la société industrielle… », jusqu'à la fin du texte : Levinas prend le contre-pied de la thèse qu'il vient d'exposer plus haut et explique les mérites de la technique. 2. a) De « Mais les ennemis de la société industrielle… » à « …plus forte dans les âmes.

» : Levinas, après avoir exposé les thèses de ceux qui critiquent la technique, explique que les ennemis de latechnique « sont la plupart du temps des réactionnaires.

» Il se présente donc finalement comme étant radicalementà contre-courant de ceux qui ne font que des reproches à la technique.

Un réactionnaire est quelqu'un qui s'opposeau progrès.

Durant la Révolution française, ils s'exprimaient dans le camp des contre-révolutionnaires qui exigeaientle retour du roi de France.

Ici, Levinas ne cherche pas à désigner des réactionnaires impliqués politiquement, quibrandiraient le fétiche de quelque société archaïque pour faire obstacle aux progrès sociaux et politiques.

Levinasdésigne par « réactionnaires » des personnes qui ont peur du progrès technique et de ce qu'il incarne comme« grands espoirs de notre époque ».

Ce ne sont donc pas vraiment des réactionnaires conscients d'eux-mêmes, maisdes personnes qui pressentent à travers ce progrès technique le progrès social sous-jacent, et qui ne le supportentpas parce qu'il va avec un ébranlement de leurs habitudes, de leurs traditions et de leur passé.

Ce ne sont donc pastant les thuriféraires de la noblesse d'antan que Levinas attaque ici, mais bien plutôt ceux qui siègent dans le passéet qui ont peur de cet avenir incarné dans le présent. b) De « Elle ne tient pas aux facilités… » à « … dans le monde moderne.

» : Le philosophe explique ensuite que, bien souvent, l'on se trompe en croyant que le progrès technique, c'est« l'enfantin instinct de vitesse », et que par conséquent, toute critique qui considère la technique sous cet angleaura tendance à porter à faux.

Les critiques de la technique considèrent bien souvent qu'il est naïf de croire que les« facilités que les machines et les sources nouvelles d'énergie offrent » pourraient libérer l'homme.

Car en effet, sil'on peut faire des fusils, on peut bien les mettre dans les mains des tyrans, et alors les peuples n'en seront quemieux asservis.

Mais Levinas montre que cette critique est absurde, car ce qui attire l'œil de celui qui croit auprogrès technique, ce ne sont pas les « beaux jouets mécaniques qui tentent la puérilité éternelle des adultes », carceux-ci ne sont que des événements superficiels.

Ce qu'il faut voir, nous explique ici Levinas, c'est que ce monde detechnique aux attraits superficiels « ne fait qu'un avec l'ébranlement des civilisations sédentaires, avec l'effritementdes lourdes épaisseurs du passé ».

Il est donc ridicule de croire critiquer la technique en critiquant la bêtise danslaquelle tombe le passionné de gadgets qui ne voit son plaisir que dans des performances techniques repoussanttoujours plus loin les limites de son désir.

Cet individu là n'est qu'un événement singulier qui ne dit pas grand-chosede ce qu'est la technique.

Plus important est de voir que ce phénomène singulier correspond à l'émergence d'unphénomène plus global qui correspond à l'éclosion d'une société meilleure.

Celui qui, en bon réactionnaire, se batdonc pour ses « couleurs locales » qui pâlissent et veut défendre « ces choses encombrantes et obtuses auxquelles. »

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