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Ma liberté s'arrête-t-elle où commence celle d'autrui ?

Publié le 01/02/2004

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Nous découvrons d’abord la morale sous son aspect négatif d’interdiction (nos parents nous empêchent de manger égoïstement tout un plat sans partager, nous apprennent à ne pas abîmer les installations collectives de l’immeuble, etc.).  Dans la notion de partage, ne pouvons-nous pas pressentir que notre existence est plus intense et plus riche lorsque nous la menons à plusieurs, avec des amis ? Ma liberté s’arrête-t-elle là où commence celle d’autrui ?  Faut-il en rester à cette conception individualiste de la liberté, qui finalement nous enferme dans un « pré carré « et nous isole des autres ? Le rapport à autrui n’est-il pas au contraire essentiel à la découverte et au déploiement de l’idée de la liberté ? Néanmoins, je peux me heurter aussi aux autres quand je cherche à réaliser des objectifs personnels. Comment expliquer cela ? Et comment dépasser cette opposition entre la conception de l’autre comme limite à ma propre liberté et comme condition indispensable de celle-ci ? Si ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui, alors nos libertés respectives sont incompatibles ?  

  • 1. Le préjugé courant sur la liberté individuelle et ses limites

1.1 Analyse de l’articulation s’arrêter/commencer 1.2 Quelle implication sur mon rapport à l’autre ? 1.3 Illusion d’une liberté individuelle

  • 2. Découverte du lien à autrui jusque dans notre propre liberté

2.1 L’éveil à la liberté 2.2 La présence d’autrui dans mon désir 2.3 la place essentielle de la raison dans la liberté

  • 3. Ma liberté commence là où commence celle d’autrui

3.1 Dépasser l’aveuglement et le conflit 3.2 Garantir des institutions politiques démocratiques 3.3 Favoriser l’expansion de l’intelligence

« conscience de soi véritable requière la médiation d'un autre homme : être conscient de soi-même comme êtrehumain, c'est être reconnu comme homme par un autre homme, par une autre conscience.

Seul, je ne peux faire lapreuve de mon humanité.La conscience immédiate que j'ai de moi-même est celle d'un être vivant et désirant.

Mais tant que mon désir neporte que sur un objet naturel (ce fruit par exemple), tout ce que je peux faire est de détruire et d'assimiler cetobjet.

Or, dans la mesure même où je dois sans cesse me procurer un nouvel objet, je fais l'expérience de madépendance à l'égard de l'objet, du monde vivant et naturel.

Tant que je reste enfermé en moi-même, avec un désirqui ne porte que sur des objets, je ne peux en aucune façon prouver mon indépendance à l'égard de la vie.Pour que je me comprenne comme conscience de soi, autre chose qu'un simple animal, il faudra que mon désir portesur autre chose qu'un simple vivant naturel : il faudra que mon désir porte sur un autre désir, sur un homme.Il faudra que je prouve que je dépasse le simple stade vital, que je ne suis pas un simple vivant, donc que je courele risque de ma mort, pour prouver mon indépendance à l'égard de la vie.

Il sera donc nécessaire que je montre àmoi-même et à l'autre que je ne me confonds pas avec l'animalité, le souci de la vie.La conscience d'être homme ne se prouve et ne s'éprouve que face à un autre homme, dans le rapport entre deuxconsciences.Reste à comprendre pourquoi cette reconnaissance prend la forme d'une lutte à mort.D'une part la différence entre l'animalité et l'humanité, je ne peux la faire qu'en prenant un autre à témoin, qu'enmontrant ma liberté face à la vie.Or, on ne connaît pas autrui par science immédiate.

Autrui surgit face à moi, si l'on peut dire, comme un objet : lesdeux êtres qui surgissent face à face sont sûrs de leur conscience, mais non de celle de l'autre.

Il faut donc prouverà l'autre mon caractère de conscience : je dois mettre ma vie en jeu.« Chacune [des deux consciences] est bien certaine de soi-même, mais non de l'autre, et ainsi sa propre certitudede soi n'a aucune vérité [...] Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sortequ'elles se prouvent elles-mêmes et l'une à l'autre au moyen de la lutte pour la vie et la mort.

Elles doiventnécessairement engager cette lutte, car elles doivent élever leur certitude d'être pour soi à la vérité, en l'autre eten elles-mêmes.

»Il est essentiel de noter que la lutte engagée est le contraire de la violence naturelle.

Cette dernière a toujours pourenjeu la survie.

Je me bats avec un autre pour assurer les moyens de ma conservation.

Mais ici, la violence, leconflit ont précisément pour enjeu le refus d'être assimilé à un simple vivant qui ne serait guidé que par le souci desurvivre.

Cette lutte n'a pas pour enjeu la survie « biologique », mais la valeur.Une fois comprise la nécessité de cette lutte à mort par laquelle j'essaie de faire la preuve de mon humanité commeliberté face à la vie, reste à en comprendre l'absurdité.

L'enjeu est la reconnaissance par l'autre, qui seule peut fairela preuve que je suis bien ce que je prétends être.

Or il est certain tout d'abord que cette lutte ne sert à rien si lesdeux meurent, ou refusent la lutte, ou qu'un seul survit.

La seule configuration où la reconnaissance est possible estque l'un abdique par peur de la mort, souci de la survie, et l'autre non.

La mort sert donc de discriminant entre deuxconsciences, l'issue du conflit dépend du rapport que chacun des deux entretient avec la mort.Celui qui a véritablement accepté de courir le risque de la mort pour prouver la valeur de sa liberté et sonindépendance face à la vie biologique est dit « le maître ».

« C'est seulement par le risque de sa vie que l'onconserve la liberté » L'autre, qui a préféré la servitude à la mort, est dit « l'esclave ».Le maître a prouvé qu'il méprisait la vie au point de la risquer pour montrer qu'il n'était pas ce qu'il paraissait êtreimmédiatement, un simple vivant.

C'est face à la vie que s'éprouvent les valeurs.Mais, et là réside l'absurdité de cette lutte, pour être reconnu, pour prouver sa valeur, il faut rester en vie : « Danscette expérience, la conscience de soi apprend que la Vie lui est aussi essentielle que la pure conscience de soi.

»Le maître réalise ici une expérience qui est exemplaire de la dialectique : à la fois il nie la vie (il la met en jeu), il ladépasse (en prouvant qu'il ne se réduit pas à la simple animalité guidée par le souci de se conserver) et il laconserve (sinon la lutte serait ratée).

C'est une opération que Hegel nomme une « Aufhebung » et qu'on traduitparfois par sursomption (nier, dépasse, conserver).On comprend dès lors la différence entre la mort naturelle (le simple fait de périr) et la mort telle qu'elle apparaît iciet qui vise autre chose, non pas le simple anéantissement de la vie, mais son dépassement.

Enfin si c'est face à lavie que se pose toute valeur, la valeur se détache sur un horizon de vie et en reste dépendante.

C'est pourquoi lalutte à mort est à la fois nécessaire et contradictoire.Il faut enfin comprendre cette dialectique comme la matrice logique de toutes les luttes réelles ou symboliques quiont lieu dans l'histoire.

La violence historique n'est pas une violence naturelle.

On la verra réapparaître chaque foisque l'on tendra à assimiler l'homme à un simple vivant, à un simple animal.

On verra resurgir la violence chaque foisqu'on déniera à l'individu toute valeur.Se joue, dans la lutte à mort, la condition d'émergence de la sphère véritablement humaine, celle des valeurs.L'homme s'élève au-dessus de la vie parce que seul il est capable de mettre ainsi sa vie en jeu pour se libérer duseul esclavage possible, celui de la vie.

La phrase est aussi une réponse à tous ceux qui font de l'angoissesécuritaire et de la préservation de la vie le motif principal des actions humaines.

Par exemple à Hobbes qui faisaitde la peur de la mort le socle de la politique et de la construction de l'Etat, Hegel répond : « L'individu qui n'a pasmis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne, mais il n'a pas atteint la vérité de cette reconnaissancecomme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante.

»Par un retournement dialectique, l'esclave contraint au travail deviendra le moteur de la libération humaine, de ladiscipline de l'instinct : le maître sombrant dans la barbarie du caprice.Mais il faut retenir de la lutte à mort pour la reconnaissance que l'on est véritablement humain, autre qu'animal, quel'on ne prouve sa spiritualité, sa liberté, que pour autant qu'on soit reconnu comme tel par un autre homme.L'aspect conflictuel de la rencontre avec autrui montre que notre humanité est toujours à reconquérir contre toutce qui tend à nous assimiler à un simple vivant.. »

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