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La littérature a-t-elle pour fonction de faire rêver ?

Publié le 18/09/2010

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Depuis la tradition orale, aux origines de la littérature, jusqu’à nos jours, les auteurs ont toujours créé des univers merveilleux échappant à la réalité. Cette projection dans l’imaginaire était-elle un moyen pour eux d’échapper au dur quotidien auquel ils étaient confrontés, ou un moyen d’offrir à leurs lecteurs un petit moment d’évasion ? Quelle qu’en soit la réponse, l’écriture s’est mise au service du rêve et la littérature a acquis cette fonction majeure qui est de faire rêver. Cependant quels sont les liens qui unissent littérature et rêve ? Peut-on limiter l’art littéraire à cette simple et unique fonction ? Doit-on alors opposer littérature et réalité ? Nous verrons tout d’abord en quoi la littérature a en elle un pouvoir d’évasion ; ensuite nous nous attacherons à souligner le fait qu’elle utilise toujours le matériau qu’est le réel ; enfin nous verrons comment le travail esthétique de l’écriture reste une fonction majeure dépassant cette simple opposition. * * *

 

Tout d’abord, nous ne pouvons que souligner le fait que la littérature fait rêver, qu’elle possède en elle un véritable pouvoir d’évasion. En effet, la littérature est avant tout le fruit de l’imagination d’un auteur, elle est donc l’expression même d’une subjectivité. Aussi, le lecteur est-il forcément confronté à une pensée, à des fantasmes, à une perception qui n’est pas la sienne et cela l’amène alors à s’échapper de sa propre vie. Ainsi, l’autobiographie restituant la vie et les souvenirs de l’auteur amène forcément le lecteur dans un univers étranger. Rousseau, dans Les Confessions, dresse le tableau de son enfance et évoque des souvenirs qui lui sont propres. Il y raconte d’ailleurs l’émotion ressentie lors de sa première fessée, punition donnée par la troublante Melle Lambercier. En livrant cet épisode intime, l’écrivain amène le lecteur dans un univers qui n’est pas le sien et donc l’emporte dans ce temps passé qui lui appartient. De plus, la littérature aime l’exotisme, et le lecteur est amené à lire des histoires dans d’autres époques, d’autres catégories sociales, d’autres lieux que ceux qu’il connait. Ainsi, la littérature propose un voyage imaginaire qui transporte le lecteur de contrées en contrées. Jules Verne dans Le tour du monde en quatre-vingt jours, nous emporte dans les trépidantes aventures de Phileas Fogg qui parcourt le monde, nous faisant découvrir tour à tour Londres, Calcutta, Hong-Kong, New- York… une simple lecture, et le monde s’offre à nous sans réserve. Ceci peut d’ailleurs expliquer le grand succès des romans d’aventures. Ce pouvoir de la littérature est d’ailleurs avant tout efficace car le lecteur est obligé de faire un effort imaginaire. Contrairement au cinéma, la littérature oblige à se représenter les évènements et les lieux, au travers de la perception d’un personnage auquel on s’identifie très souvent. Cette identification à un être fictif, avec lequel on va rire, pleurer, voyager… permet d’échapper à ce que nous sommes. Ainsi une jeune fille citadine pourra s’identifier à un mineur travaillant dans des conditions atroces, en lisant Germinal, de Zola ; comme un vieillard pourra retrouver une jeunesse en lisant Le Petit Prince de Saint-Exupéry. La littérature permet donc d’échapper à ce que nous vivons et nous offre le temps d’une lecture une autre perception, une autre vie, et des aventures que nous ne pouvons malheureusement pas toujours vivre au quotidien. Cependant si la littérature permet l’évasion et propose un univers imaginaire, on ne peut pas négliger le fait qu’elle utilise comme principal matériau le réel. En effet, elle devient parfois un témoignage d’une époque, d’un régime, d’une vision du monde. Ainsi, l’auteur au travers de la fiction peut rendre compte d’une époque ou des mœurs de ses contemporains. Montesquieu dans la lettre XXIV des Lettres Persanes, nous offre un tableau de Paris et de ses habitants au XVIIIe siècle, nous informant du rythme effréné des parisiens, et de leur brutalité comme nous le constatons toujours à notre époque. Cependant au-delà du simple témoignage la littérature peut, par le recours à la fiction, acquérir une fonction morale. Ainsi, le théâtre du XVIIe siècle, notamment les comédies de Molière permettent de mettre en lumière les dérives morales de l’époque. Lorsqu’il écrit L’Ecole des femmes, il amène le lecteur à se divertir et à échapper à son quotidien triste, mais surtout il dénonce le système patriarcal et autoritaire du mariage, et par la même occasion critique la condition des femmes à l’époque. Le théâtre donne alors à voir les mœurs d’une époque, et permet également d’en corriger les vices. Dès lors, si la littérature peut nous corriger, elle possède en elle une fonction didactique. La littérature est avant tout un média, un moyen de communiquer qui a permis à de nombreux auteurs de transmettre leurs idées. Ainsi, au siècle des Lumières, les auteurs ont utilisé cette fonction pour enseigner à leurs lecteurs leur philosophie. L’encyclopédie a voulu remplir cet objectif pour offrir aux contemporains de ce siècle une œuvre regroupant l’ensemble des connaissances acquises. De même, Voltaire utilisant la fiction comme appât, masque derrière les aventures de Candide, un enseignement sur les moyens d’accéder au bonheur personnel. Enfin, l’utopie propose derrière une description idéale, des valeurs essentielles pour lesquelles il faut combattre. L’eldorado, dans cette même œuvre, prône l’harmonie, décrit un régime laissant la parole au peuple, et met ainsi en avant les dérives du pouvoir autoritaire de la monarchie absolue. La littérature alors utilise la fiction comme un moyen de témoigner, de corriger les hommes, et de leur transmettre certaines valeurs. Ainsi la littérature a certes pour fonction de faire rêver, par le biais de la fiction et de l’imagination mais elle se fonde cependant sur la réalité et peut alors proposer des témoignages ou des enseignements. Cependant c’est avant tout par le travail esthétique qu’elle propose, qu’elle dépasse ces simples fonctions. Car l’écriture et le travail esthétique sont au service des idées et permet de gagner en conviction, que ce soit dans l’illusion imaginaire ou dans le travail argumentatif. Un art du récit mené par une écriture habile permet de susciter le divertissement comme de se mettre au service des idées. L’œuvre de Candide procure du plaisir par l’art de l’écriture mis en œuvre par Voltaire, qui parvient à la fois à nous faire rêver en nous immergeant dans des aventures toujours plus folles, et à la fois par cette écriture ironique qui permet de critiquer comme de faire sourire le lecteur. De plus, le choix des mots, le travail sur les images suscite en lui-même le rêve par les évocations qu’il procure. La poésie joue énormément sur les sonorités ou les évocations pour permettre cette évasion. Lorsque l’on lit « Nevermore « de Verlaine, la description automnale de la nature qu’il offre vient bercer le lecteur et le faire voyager : « L’automne faisait voler la grive à travers l’air atone/ et le soleil dardait de rayons monotones/sur le bois jaunissant où la bise détone «. L’esthétique poétique est alors source de rêve. Enfin, la littérature a montré que son projet n’était pas toujours la fiction ou le réel mais elle sait parfois laisser l’esthétique prendre le dessus sur toute autre fonction. Ainsi, au XXème siècle les auteurs du nouveau roman n’ont plus pour projet de rendre compte du réel ou de raconter une histoire mais ils cherchent à rendre compte du malaise des individus après les deux terribles guerres qui ont ébranlé les consciences. Aussi, jean Ricardou définit leur projet n’ont plus comme « l’écriture d’une aventure mais comme l’aventure d’une écriture. * * * La littérature a donc bien une fonction essentielle qui est celle de faire rêver, de permettre au lecteur d’échapper à la dure réalité, et par là, à lui procurer un réel plaisir à lire. Cependant, par le fait que la littérature use du réel comme d’un matériau, elle peut au travers de la fiction proposer des témoignages d’une époque ou de ses contemporains et offrir des enseignements. Mais c’est avant tout par sa fonction esthétique qu’elle sublime ces autres fonctions, et fait de littérature un art à part entière.

 

 

 

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