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Y a-t-il une logique des passions ?

Publié le 11/01/2004

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« Suivant la définition des stoïciens, la sagesse consiste à prendre la raison pour guide; la folie, au contraire, à obéir à ses passions; mais pour que la vie des homme ne soit pas tout à fait triste et maussade, Jupiter leur a donné bien plus de passions que de raison. « Érasme, Éloge de la folie, 1511. « L'inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n'y parvient qu'avec peine est la passion. « Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798. « C'est seulement dans la mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu'ils s'accordent toujours nécessairement en nature. « Spinoza, Éthique, 1677 (posth.)Tant que les hommes sont soumis à leurs passions (l'amour, l'envie, la haine...), ils ne peuvent vivre en paix les uns avec les autres. Seule la raison leur fait rechercher le bien commun : leur nature (qui pousse chacun vers ce qu'il juge le plus profitable) s'accorde alors nécessairement. « La raison est, et elle ne peut qu'être l'esclave des passions; elle ne peut prétendre à d'autres rôles qu'à les servir et à leur obéir.

Il y a d’abord une équivocité du terme « passion «. Elle désigne en premier lieu les phénomènes passifs de l’âme. Un sujet est en ce sens affecté par quelque chose. Mais la passion a aussi un caractère actif et constitue une des forces vives du comportement humain. En ce sens la passion envahit tout le sujet. Par ailleurs, on a longtemps présenté l’existence chez l’homme de plusieurs passions, à la différence d’une raison unique. Mais devant la difficulté d’unifier les passions, on en vient à parler de « la « passion. Ainsi les affections de l’esprit sont nombreuses (cupidité de l’avare, jalousie de l’amoureux, frénésie du joueur etc.), mais la passion est toujours présente sous ces déterminations affectives. Devant la difficulté de rendre compte rationnellement des multiples comportements humains ainsi que de leurs motifs, peut-on déterminer la manière dont la passion exprime sa spécificité ?

 

 

  • I) Il existe une logique des passions.

a) Les passions troublent le jugement. b) Les fondements de la logique passionnelle sont fragiles. c) Le raisonnement passionnel ne souffre aucune réfutation.

  • II) Il n'existe pas de logique des passions.

a) Le mot " logique " a un sens précis. b) Il est faux de penser que tous les passionnés obéissent à une même logique. c) Nos passions sont provoquées par des mouvements organiques.

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« § 3.

Le raisonnement passionnel de justification. Mais le mouvement passionnel n'absorbe jamais la totalité de l'être passionnel, ou alors il y succombe.

Il ne peutfaire abstraction de son entourage, de l'opinion, des moeurs régnantes, qui condamnent la passion dans ses excès.C'est pourquoi il éprouve à certains moments le besoin de se justifier à ses propres yeux et surtout devant lesautres.

Le passionné exalte, à la manière des romantiques, l'amour; l'ambitieux prétend servir ; l'avare se déclareprudent et économe.

La passion raisonne donc à sa manière, elle a sa logique propre, mais qui voudrait se donnerl'apparence d'une logique rationnelle.

Ce qui la caractérise, c'est qu'à la différence d'un raisonnement déductifcomme le syllogisme où les prémisses fondent la conclusion, c'est la conclusion qui est posée d'abord.

Puis, par unesophistique plus ou moins subtile, le passionné cherche et trouve toujours les prémisses qui la fondent, car il n'estpas difficile sur ce qu'il appelle ses raisons.

Le raisonnement passionnel n'est donc pas un raisonnement logique, maisun raisonnement téléologique, c'est-à-dire de finalité, où, comme dans la conduite passionnelle qu'elle redouble,l'objet de la passion, plus ou moins consciemment, est tout d'abord mis hors de la discussion.

Sur ce point, l'espritdu passionné est buté et fermé à toute objection. Proust vieilli ne sait plus chercher dans le monde que les échos de son enfance disparue Le joueur, l'ivrogne ne pensent pas à leur santé ; ils n'envisagent pas leur ruine prochaine, l'amoureux coupable ne songe pas audéshonneur, au scandale qui l'attendent.

Il y a une obnubilation passionnelle qui nous dissimule nos véritablesintérêts, nos exigences les plus profondes ; c'est pourquoi toute passion nous voue tôt au tard au malheur.

Tandisque l'homme volontaire agit en fonction de sa personnalité tout entière, sait hiérarchiser avec lucidité ses tendanceset tient compte de tous les instants du temps (ce qui lui donne le maximum de chances d'accomplir ses fins etd'être heureux), le passionné est l'homme d'un seul instinct et d'un seul instant, aveuglé par un caprice dont la forcemomentanée lui masque dangereusement tous ses autres besoins.

Alors que la volonté est caractérisée par laconscience lucide et la maîtrise de soi, le passionné est dépossédé de lui-même.

Il cesse d'agir, il est agi par descomplexes inconscients dont il est la victime. D'autre part, on a souvent souligné l'égoïsme foncier qui marque l'état de passion.

Non seulement parce que lapassion nous rend indifférences pour tout ce qui n'est pas elle (« on n'aime plus personne, dès qu'on aime » dit Proust ) mais parce que la passion révèle, à l'égard de son objet lui-même, un besoin tyrannique de possession. Tandis que le sentiment nous ouvre au monde et aux autres, nous révèle des valeurs, la passion tend à faire dumonde et d'autrui les instrument de notre égoïsme.

Le sentiment est « oblatif », la passion est « possessive ».

ainsi l'amour-passion est voué à la jalousie parce qu'il veut réduire l'être aimé à une chose possédée, à un objet, maisqu'il se heurte à la liberté de l'Autre, à sa Transcendance.

Proust peut enfermer Albertine , la surveiller sans cesse ; mais il ne peut posséder que « l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini ». Ainsi, tandis que l'amour-sentiment est un amour de bienveillance qui fait, disait Leibniz , que nous nous réjouissons du bonheur d'autrui, l'amour-passion est un amour de concupiscence égoïsteet possessif.

La concupiscence n'est pas nécessairement liée au désircharnel. Le raisonnement passionnel est ainsi un raisonnement logique à l'envers, quise place d'emblée en dehors de la logique et de la morale, car, s'il cherche àse faire prendre pour rationnel, il n'ose guère se prétendre raisonnable.Asservissant la raison et se déguisant sous les arguties d'arguments spécieux,elle n'en a que le masque.

C'est pourquoi, si la passion peut rendre éloquent,elle n'a pas, dans son effort de justification, l'accent de la vérité et, en dépitde son voeu, elle ne convainc personne, pas même le passionné, toujourshabité par une mauvaise conscience.

On voit que l'irrationalité estconstitutive de la passion, qu'elle est, selon l'expression de Pradines « uneforme délirante de la raison », autrement dit, une déraison.. »

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