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Louis CALAFERTE: C'est la guerre, L'arpenteur, Gallimard, p. 40-41

Publié le 08/09/2006

Extrait du document

On a creusé un grand trou. On peut tenir à quatre dedans. On a mis des branches et des feuilles dessus. On est bien à l'abri. On a pris du pain, du fromage et du chocolat. J'ai un couteau neuf à huit lames que m'a donné le gros homme de la maison. Le gros homme de la maison m'a fabriqué un fusil en bois. Il a une gâchette. Au fond du trou, on a mis de la paille et une couverture. Et des pierres. Les pierres, c'est des grenades. Le grand-père d'un camarade lui a montré. On arrache la goupille avec les dents, on compte jusqu'à dix et on lance la grenade. Après l'avoir lancée, on se couche à plat ventre pour ne pas être blessé par l'explosion. On son juste la tête du trou. On lance les grenades. Le gros homme de la maison est venu nous voir. Il nous a dit qu'on devait être des bons soldats et qu'on devait tuer beaucoup de Boches (1). J'en ai tué cinquante. Avec des grenades et avec mon fusil. On est replié sur nos positions. C'est comme ça qu'ils disent à la T.S.F. (2) Le soir, il y a d'abord le communiqué. Le soir et le matin. Ils disent tout le temps : Rien à signaler. Ensuite ils disent que nos troupes se sont repliées sur des positions préparées à l'avance. Il n'y a que l'aviation qu'on n'a pas. On ne sait pas faire les avions. Notre aviation est intervenue efficacement au-dessus des lignes allemandes. Il faudrait construire un avion avec les gros bidons d'huile du garagiste. J'ai demandé au gros homme de la maison. Il a dit qu'il n'avait pas le temps. Il a dit que le fusil ça suffit pour tuer les Boches. On n'a pas de tank non plus. Nos chars ont opéré une trouée dans les lignes ennemies. Ils disent les chars. Les tanks, c'est mieux. On voit mieux. On peut faire le tank en poussant une plaque de tôle devant nous, si on se met à plusieurs, mais la plaque est au fils du garagiste et son père ne veut pas la donner. Même sans tanks et sans avions, on gagnera. Les Boches n'auront pas le dessus. Mr l'Abbé nous l'a dit. Le Bon Dieu, ses enfants, ce sont les enfants de France. Il faut prier pour la victoire.    I - QUESTIONS D'OBSERVATION (8 points)    1) Le narrateur est-il un soldat ? Justifiez votre réponse par l'analyse des divers éléments du texte. (3 points)    2) Qui est désigné par le pronom « on «, de la ligne 1 à la ligne 5 ? Qui d'autre peut-il représenter aussi de « On arrache. .. « (ligne 6) à « ...l'explosion. « (ligne 8) ? (2 points).    3) Repérez et identifiez les différentes voix qui se font entendre dans ce texte. (3 points)    II - QUESTIONS D'INTERPRÉTATION (12 points)    1) Comment l'auteur fait-il apparaître la guerre comme un jeu obéissant à des règles précises ? (6 points)    2) A travers le discours du narrateur qui voit la guerre comme un jeu, l'auteur propose aussi une critique de la guerre. Montrez-le en analysant les procédés employés. (6 points)

« sache précisément s'il invente ou non.

Il évoque des relations avec d'autres personnages : le « on » désigneprobablement un groupe d'enfants (cf.

« si on se met à plusieurs », 1.

25-26), mais peut aussi renvoyer au seulnarrateur, s'imaginant en compagnie de ses camarades ou encore jouant à la guerre avec d'autres soldats.

Ainsi, «On est bien à l'abri » peut constituer un discours indirect libre, le locuteur n'étant pas clairement identifiable.

Enrevanche, un premier personnage, « le gros homme de la maison », confectionne des armes en bois pour lenarrateur.

Deux conversations avec lui sont ensuite rapportées au discours indirect : « Il nous a dit qu'on devaitêtre des bons soldats et qu'on devait tuer beaucoup de Boches.

» (l.

11-13) et « Il a dit qu'il n'avait pas le temps.

Ila dit que le fusil ça suffit pour tuer les Boches.

» (l.

21-22).

Une autre conversation est rapportée : « Le grand-pèred'un camarade lui a montré » (l.

7).

Suit alors un passage au discours indirect libre (l.

7-10), organisé par le « on »,qui représente à la fois le camarade en question pour qui le grand-père effectue cette démonstration, dont lesuccès est cautionné par le terme technique « goupille » retranscrit en italique, et les enfants, au rang desquelsfigure bien sûr le narrateur, pour qui le camarade effectue à son tour la démonstration.

Enfin, plusieurs phrases enitalique (l.

14, 16, 18-19 et 23-24) désignent, toujours au discours indirect libre, les propos entendus à la radio («C'est comme ça qu'ils disent à la TSF », 1.

14).

Il y a donc plusieurs voix qui viennent s'insérer au récit, mais lediscours indirect libre rend cette polyphonie indistincte. Questions d'interprétation La guerre qu'imite le narrateur enfant reproduit naturellement le dernier modèle en date, à savoir la guerre detranchées de 1914-1918, à laquelle s'attend la France de 1939, y compris l'état-major, n'imaginant guère lesbouleversements que les progrès de l'aviation et des blindés vont apporter, notamment à l'armée allemande.

On peutrelever des traces de cette évolution car, dans la première partie du texte (l.

1 à 14), c'est encore de l'ancienneguerre dont il s'agit, tandis que les messages radiophoniques font état de la guerre moderne et de son nouveaumode de fonctionnement, qui met en évidence les manques du côté français : « On ne sait pas faire les avions » (l.18).

Au début du texte, les règles de la guerre ancienne sont scrupuleusement imitées : « On a creusé un grandtrou » (l.

1) renvoie aux tranchées, où l'on se protège et vit correctement, (I.

1 à 3) ; les armes sont sommaires («J'ai un couteau neuf à huit lames », l.

3), voire artisanales (l.

5).

En somme, on se débrouille, à la guerre comme à laguerre ! On apprend avec respect le maniement des armes moins connues, telles que les grenades, que l'onremplace par des pierres (l.

6- 7) et qu'on lance selon un rituel bien amusant, au fond : « On sort juste la tête dutrou.

On lance les grenades.

» (l.

10-11) Et le bilan paraît satisfaisant : « J'en ai tué cinquante.

Avec des grenadeset avec mon fusil.

» (l.

13) À partir du moment où apparaissent les lacunes de l'armement français, dans la secondepartie du texte, les règles se modifient.

Il s'agit désormais de pallier efficacement les manques du camp français : «Il faudrait construire un avion avec les gros bidons d'huile du garagiste » (l.

19-20).

Comme « on n'a pas de tanknon plus » (l.

22-23), « On peut faire le tank en poussant une plaque de tôle devant nous, si on se met à plusieurs» (l.

24-26).

Ainsi, se trouvent reproduits de manière à la fois dérisoire et touchante les retards et les déficiencesde l'armée française, que les enfants soutiennent à leur manière, certains de la victoire finale, comme « M.

l'Abbé [leleur] a dit » (l.

28). 2.

Le simple fait que la guerre soit vue comme un jeu constitue déjà un premier procédé destiné à en souligner ladérision.

En imitant les adultes, les enfants montrent bien qu'au fond, les soldats sont des enfants qui ne savent pasbien ce qu'ils font.

Tout ce texte présente de ce fait un caractère satirique, qui dénonce l'irresponsabilité de ceuxqui font la guerre.

On peut par exemple la mettre en évidence dans l'hyperbole de la ligne 13 : « J'en ai tuécinquante.

» L'automatisme des comportements d'enfants souligne aussi l'absence de pensée et de réactionindividuelle, comme en témoigne la parataxe généralisée : de même qke les soldats obéissent aux ordres, les enfantsles imitent aveuglément et alignent des actions sans y réfléchir ni les connecter pour construire un sens, ce qui setraduit dans le texte par une succession d'asyndètes et l'absence de mots de liaison entre les phrases : « On acreusé [.:.] On peut tenir [...] On a mis [...] » (l.

1).

Il est également possible de remarquer la façon dont lesenfants expriment la peur que suscitent les armements modernes : « Il faudrait construire un avion avec les grosbidons d'huile du garagiste » (l.

19-20) et « On peut faire le tank en poussant une plaque de tôle devant nous, si onse met à plusieurs » (l.

24-26).

Ce jeu d'oppositions tourne la guerre en dérision, faisant une parodie des opérationsmilitaires.

Enfin, l'ironie implicite, à la fin du texte, retrouve des accents quasi voltairiens pour dénoncer l'implicationdu clergé dans le conflit, puisque l'intervention de l'abbé représente une manipulation des esprits simples, invités àse sacrifier pour la bonne cause 2.

Ainsi, cet extrait constitue un réquisitoire subtil contre la guerre, qui pervertit lesconsciences, détourne les enfants de leurs jeux habituels pour les amener à imiter les folies des adultes, profitant del'inconscience et de la faiblesse générales.. »

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