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La lucidité est-elle un obstacle au bonheur ?

Publié le 28/03/2004

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Si la lucidité nous rend triste et malheureux, que vaut pourtant un bonheur qui serait privé de toute clairvoyance ? Faut-il préférer une illusion réconfortante à une lucidité blessante ?Si la lucidité est un obstacle au bonheur, faut-il toujours prendre les vessies pour des lanternes ?!

I) Lucidité et malheur de l'existence humaine.

Le pessimisme de Schopenhauer. Que l'on puisse définir le bouddhisme comme une sagesse ou comme une religion sans Dieu est confirmé par  le fait que ses principales affirmations sont reprises par Schopenhauer. Ce philosophe du milieu du XIX ième est rigoureusement athée. Il en tire les conséquences radicales : si Dieu n'existe pas, la vie est absurde ; en effet, nous vivons, nous souffrons, nous faisons des efforts, tout cela pour finir par mourir, cad pour rien. Aucun paradis, aucune récompense ne nous attend. De plus, la vie est essentiellement  faite de souffrance. Si nous examinons lucidement notre expérience de la vie, sans la brouiller de faux espoirs, et que nous faisons le compte des biens et des maux, nous découvrons que la somme totale des souffrances est très supérieure à la somme des plaisirs éprouvés dans une vie.

« de reproduction, selon Schopenhauer : « Ainsi chaque amant se trouve-t-il leurré après l'achèvement du grand- oeuvre, car le mirage a disparu, qui faisait de l'individu la dupe de l'espèce. » La recherche du bonheur est l'illusion suprême qui résume toutes les autres : l'individu s'imagine être une fin en soi, alors qu'il n'est qu'un moyen del'espèce.

Et le même auteur d'ajouter : « Il n'y a qu'une erreur innée : celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux. » Toute notre activité est soumise à cette illusion et, à travers elle, à cette volonté rusée qui anime souterrainement notre vie consciente.

Connaître la vérité condamne à se retirer de la vie et à s'installer enspectateur de la vie.

Si je connais, je cesse d'agir et regarde impassiblement le train du monde continuer à roulersous mes yeux vides d'intérêt : c'est la pure représentation, l'attitude du philosophe ou de l'artiste, de celui qui avidé la vie de son contenu pour n'en conserver que la belle forme.

Deux attitude fondamentales qui transparaissentdans le titre du maître livre de Schopenhauer : « Le monde comme volonté et comme représentation » : l'illusion et la vie d'une part, la vérité et la contemplation de l'autre ; l'acteur (volonté) ou le spectateur (représentation). La représentation déréalise le monde : l'idéalisme kantien a prouvé que nous ne pouvons connaître la réalité dumonde (l'inconnaissable chose en soi), mais seulement la représentation que nous en avons, le « rêve » logique etrationnel que nous nous fabriquons : Schopenhauer radicalise le phénoménisme kantien.

Reste l'énigme du corps, ses besoins, ses tendances, bref une volonté.

« Mon corps est l'objectivité de ma volonté », mais cette volonté n'est pas ma volonté consciente, elle est l'expression en moi de la volonté générale de la nature, d'une forceinconnue qui se manifeste aussi bien dans les mouvements de la matière inorganique que dans l'instinct animal.Notre conscience ? la perception illusoire produit d'une volonté absurde.

La volonté de la nature, c'est en nous le« vouloir-vivre », source de besoins, de peines, de douleurs : nous naissons pour souffrir.

Et même les besoins comblés, survient alors l'ennui, égal à la souffrance, qui engendre les illusions de la sociabilité : « Tout bonheur est négatif, sans rien de positif ; nulle satisfaction, nul contentement, par suite, ne peut être de durée ; au fond ils nesont que la cessation d'une douleur ou d'une privation, et, pour remplacer ces dernières, ce qui viendra serainfailliblement ou une peine nouvelle, ou bien quelque langueur, une attente sans objet, l'ennui. » Ni Dieu, ni amour, ni progrès ; nous naissons pour souffrir et il n'y a pas de raisons de vivre.

Pessimisme et nihilisme. L'illusion ou le suicide ? Oui, en un certain sens.

Non le suicide physique, mais une forme de suicide moral queSchopenhauer nomme « nirvâna » : ce terme repris à l'ascétisme hindou sert à désigner une négation du vouloir- vivre.

Car l'intelligence, dans une suprême lucidité, peut renoncer à jouer le jeu de la volonté et se rebeller.

L'artpeut bien être un remède passager, et l'artiste cet « oeil unique du monde », arraché à la souffrance par la pure représentation.

Mais la véritable solution est morale : l'ascétisme comme exténuation de la volonté et renoncementà la vie. Pourquoi l'ascétisme et pas le suicide ? Parce que le suicide est encore une illusion.

Cioran dit que seuls les optimistes se suicident.

Pour Schopenhauer , le suicide est la négation de la vie mais non du « vouloir-vivre », dont il est, au contraire, l'affirmation passionnée : « Celui qui se donne la mort voudrait vivre ; il n'est mécontent que des conditions dans lesquelles la vie lui est échue. » Le suicide, c'est le « vouloir-vivre » retourné contre soi-même.

Il est protestation plus qu'indifférence.

On pourrait dire que, relativement à la vie, suicide et ascétisme sont dans le même rapport respectif qu'athéisme etmatérialisme, eu égard à Dieu.

Seul l'ascétisme est véritable extinction de la volonté, et c'est l'ennui qui y prépare,car l'ennui est la meilleure école de la désillusion. L'ennui, en effet, nous libère des actions particulières qui exigent autant de motifs, autant d'illusions.

L'ennui nousarrache de la volonté et nous met en condition de nous représenter la vérité de la volonté, sa généralité et sonabsurdité.

Et connaître la vérité sur la volonté revient à se soustraire à son emprise.

Pour Schopenhauer , la philosophie de la lucidité est exercice de désillusion.

Mais, dans ce cas, ne faut-il pas préférer l'illusion réconfortantà une lucidité blessante ? II) L'illusion réconfortante De son côté, l'illusion peut apparaître comme satisfaisante pour celui qui préfère se dissimuler la réalité de sasituation — qu'il s'agisse de sa situation personnelle ou de sa situation d'homme en général, comme mortel.

L'illusionrassure parce que, tant qu'elle dure, elle ne fait que confirmer l'interprétation habituelle du monde.

C'est bienpourquoi elle constitue, du point de vue de Bachelard, un important obstacle épistémologique.C'est que l'illusion prend son origine dans un besoin fondamental de quiétude et dans les désirs.

Sa dénonciationrisque en conséquence d'être peu efficace.

Si l'on admet, à la suite de Marx et de Freud, que la croyance religieusene repose sur rien d'autre que sur un désir de compensation face aux misères réelles ou une demande de protectiond'origine infantile, force est de constater que ce repérage de ses sources ne suffit aucunement à la faire disparaître.L'illusion nous est peut-être d'autant plus « naturelle » qu'elle correspond à notre fonctionnement psychique normal,c'est-à-dire à la façon dont notre conscience nous trompe sur nos déterminations en censurant nos pulsions et lesreprésentations de notre inconscient.

Lorsque Freud a entrepris de diffuser ses théories, ce fut en affirmant qu'ellesétaient sans doute ce à quoi l'homme était le moins préparé, ou ce qu'il admettrait le plus difficilement, précisémentparce que les « vérités » qu'il affirmait venaient contredire la confiance traditionnellement accordée à notreconscience.

Notre existence quotidienne ne peut, par exemple, se dérouler sans trop de heurts qu'à la condition quenous « oubliions » l'importance de la sexualité.

L'illusion est ainsi quotidiennement vitale, parce qu'elle nous permetd'avoir des relations normales avec les autres et d'obéir aux principes de notre environnement.Toutefois, vient toujours un moment où l'illusion est dénoncée comme telle : ce fut le travail de Freud, et c'est, plus. »

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