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Lucrèce: matière et esprit

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

esprit
Lucrèce: matière et esprit Au reste l'esprit souffre avec le corps et en partage les sensations, tu le sais. La pointe d'un trait pénètre-t-elle en nous sans détruire tout à fait la vie, mais en déchirant les os et les nerfs? Une défaillance se produit, nous nous affaissons doucement à terre; là un trouble s'empare de l'esprit; nous avons par instants une vague velléité de nous relever. Donc, que de substance corporelle soit formé notre esprit, il le faut, puisque les atteintes corporelles d'un trait le font souffrir. Mais cet esprit, quels en sont les éléments? comment est-il constitué? C'est ce que je vais maintenant t'exposer. Je dis tout d'abord qu'il est d'une extrême subtilité et composé de corps très déliés. Si tu veux t'en convaincre, réfléchis à ceci: que rien évidemment ne s'accomplit aussi rapidement qu'un dessein de l'esprit et un début d'action. L'esprit est donc plus prompt à se mouvoir qu'aucun des corps placés sous nos yeux et accessible à nos sens. Or, une si grande mobilité nécessite des atomes à la fois très ronds et très menus, qui puissent rendre les corps sensibles à l'impulsion du moindre choc. Car l'eau ne s'agite et s'écoule sous le plus léger choc que parce que ses atomes sont petits et roulent facilement. Le miel au contraire est de nature plus épaisse, c'est une liqueur plus paresseuse, d'écoulement plus lent, du fait que la cohésion est plus grande dans la masse d'une matière formée d'atomes moins lisses, moins déliés et moins ronds. La graine du pavot, un souffle léger qui passe suffit pour la dissiper et la répandre en quantité: au lieu que sur un tas de pierres ou sur un faisceau d'épis, il ne peut rien. C'est donc que les corps les plus petits et les plus lisses sont ceux aussi qui sont doués de la plus grande mobilité. Au contraire, les plus lourds, les plus rugueux, demeurent les plus stables. Ainsi donc, puisque l'esprit se révèle d'une singulière mobilité, il faut qu'il se compose d'atomes tout petits, lisses et ronds : vérité dont tu trouveras en bien des cas, mon cher Memmius, la possession utile et opportune. Autre preuve encore, qui fait voir de quel tissu léger est cette substance: le peu d'espace qu'elle occuperait si l'on pouvait la condenser; quand le sommeil de la mort s'est emparé de l'homme et lui a apporté le repos, quand l'esprit et l'âme se sont retirés de lui, aucune perte ne se constate dans tout son corps, ni dans sa forme extérieure ni dans son poids: la mort laisse tout en place, sauf la sensibilité et la chaleur vitale. Cela prouve que des éléments minuscules composent l'âme entière, partout répandue en nous, étroitement liée à nos veines, à notre chair, à nos nerfs; sinon l'on ne verrait point, après que l'âme a fait sa retraite complète, le corps garder les contours de ses membres et ne pas perdre un grain de son poids.

Dans cet extrait de l’ouvrage poétique et philosophique de Lucrèce, De Natura rerum, consacré à l’examen des choses de la nature, l’auteur s’interroge sur la nature de l’esprit humain, et plus exactement sur la nature de sa constitution, c’est-à-dire sur ce dont quoi il est composé. De quoi est fait l’esprit ? C’est une grande question métaphysique en philosophie. En effet, ce qui est notre fonction pensante, notre pôle de réflexion, nous semble différent des objets et des choses qui nous entourent dans la nature. Et pourtant, l’esprit est créatif, il nous permet d’engendrer nos raisonnements, il est donc bien une chose en tant que principe moteur et productif. Savoir de quoi est fait notre esprit est indispensable non seulement pour s’assurer de son existence, mais aussi pour comprendre son fonctionnement, et s’assurer de la validité des jugements que nous formons par lui. La thèse soutenue par Lucrèce repose sur une analogie avec les substances des choses, qui lui permet d’inférer que la composition de l’esprit doit relever d’une combinaison d’atomes, c’est-à-dire de corps premiers, particules insécables dont la simplicité et l’autonomie permet une activité vive et la possibilité d’opérations complexes pour le raisonnement.

 

esprit

« choses et à suivre ses observations, qui sont celles de la vie courante.

L'auteur fait donc remarquer que l'esprit estbien plus rapide que la matière corporelle, par la vivacité d'esprit qui se meut presque instantanément, à l'inversed'une action corporelle qui est assujettie à des contraintes spatio-temporelles.

En effet, l'idée jaillie instantanémenttandis que le corps a besoin de temps pour se déplacer, du fait de sa lourdeur et de sa densité corporelle.

En outrele déplacement du corps pour être perçu nécessite la médiation des sens, tandis que l'esprit, par sa capacitéréflexive, se perçoit immédiatement.

La pensée se saisie elle-même sans l'intermédiaire des sens ni aucun obstaclespatial.Comment une si grande mobilité est-elle possible ? Lucrèce entreprend ici de démontrer, en procédant par unecomparaison, ou plutôt une analogie, avec d'autres substances naturelles qui auraient des propriétés semblables àl'esprit.

Tout d'abord, pour que l'esprit puisse être si mobile, il faut que les corps qui le composent soient de tellenature qu'ils puissent se mouvoir facilement : on en déduit donc qu'ils doivent être « menus », pour être légers, et« ronds », pour ne pas opérer de heurt, et permettre une fluidité de mouvement sans se gêner entre eux.

En outreleur finesse et leur nombre permettent une sensibilité optimale, et par conséquent une réaction vive à tout impactcorporel.

Lucrèce illustre sa démonstration par l'exemple de l'eau, qui est sensible au moindre impact parce qu'elleest justement composée de particules infimes et sensibles, influençables par la moindre altération.

Au contraire, lemiel est une substance moins fluide, car les corps qui la composent sont moins lisses, donc s'accrochent entre eux,s'entremêlent pour donner naissance à un corps plus solide, fait de cette imbrication de corps liés, rugueux, et pluslents à engendrer du mouvement du fait de leur interdépendance et de leur intrication mutuelle.Pour appuyer cette comparaison, Lucrèce en donne une autre : celle de la graine de pavot, qui semblable auxinfimes particules qui composent l'esprit est légère, volatile, sensible qu moindre mouvement, et rapide à l'engendrer.Cette nature lui permet de se diffuser facilement, et de répandre cette semence, comme l'esprit se développe pardelà les frontières de notre propre corps, il dispense la pensée dans les esprits des autres hommes, il porte surquantité d'objet, il n'est pas limité ni dans l'espace ni dans le temps.

A l'inverse, les corps lourd et solides comme lapierre sont stables, immuables, c'est-à-dire qu'il ne changent pas ni ne bougent de leur place.

La différence entre lecorps et l'esprit, qui résulte de la différence des atomes qui les composent, est donc une différence de présencedans l'univers, quand l'esprit est diffus et le corps déterminé en un lieu, ainsi qu'une différence d'aptitude à semouvoir et à engendre le mouvement, qui est bien plus aisée pour le corps que pour l'esprit.

3.

Justification de la démonstration par la thèse de l'invisibilité de l'esprit.

Lucrèce apporte une autre preuve à sa théorie de la différence de nature entre corps et esprit.

Tandis que le corpsest visible, il note que l'esprit est invisible à l'œil, comme s'il n'avait pas de matérialité.

Cela prouve pour l'auteur quel'esprit est composé de corps si légers et subtils qu'ils ne sont pas perceptibles comme substance ou corps pourl'être humain.

En fait pour Lucrèce, la nature se dévoile par d'autres voies que celle du visible.

L'esprit se manifestedans le corps par une présence, qui est témoignée par la chaleur et la sensibilité.

Mais le corps, en tant que matièresolide et enveloppe corporelle de l'être humain, est inchangé.

Quand l'esprit se sépare du corps, lors de la mort, lecorps ne subit la perte d'aucune matière, il pèse le même poids, et garde la même apparence, la même positionspatiale.

Seule la chaleur vitale et la sensibilité ont disparues, ce qui n'est pas mesurable de manière sensible, maistémoigne néanmoins de la disparition de l'esprit qui assurait la présence de ses fonctions.Pour l'auteur, cela est une preuve que l'esprit est une substance diffuse dans le corps, qui ne se mesure pas commeun objet solide ni ne se distingue avec précision du corps.

L'esprit et le corps sont étroitement liés, car le premierinsuffle la vie au second.

Il y a donc une dépendance de l'esprit et du corps, qui ne sont pas seulement associés,mais intriqués l'un dans l'autre.

En outre, Lucrèce rejette l'idée que l'esprit serait localisé en une partie seulement ducorps, c'est-à-dire que l'âme serait le comme le centre névralgique du corps, mais soutient que l'esprit estconsubstantiel à tout le corps en entier, l'âme qui détient l'esprit est répandue dans les organes, les veines, lesnerfs, les os, etc.

Conclusion : Le principe d'analogie sur lequel repose l'argumentation de Lucrèce démontre la thèse plus générale de toute sonœuvre : la nature toute entière, c'est-à-dire l'univers, est ordonnée selon ce principe d'analogie de la partie autout.

Par conséquent, de l'exemple d'un petit phénomène observé on peut en induire la même organisation pourl'ordonnancement entier du cosmos.

La nature est modèle, car les sens ne nous trompent pas, et comprendrel'esprit ne peut se comprendre que part l'observation de la nature, et l'explication des choses de la nature.

Ainsi,pour Lucrèce, toute chose résulte d'une combinaison de particules élémentaires, les atomes, ou corps premiers,dont l'agencement est créateur de mouvement et de vie.

La particularité de l'esprit, par rapport au corps, est d'êtrecomposé des corps les plus menus, les plus aptes à se mouvoir avec facilité, à opérer des mouvements rapides quitraduisent la vivacité de l'esprit, la promptitude de la pensée, et la complexité des raisonnements.

L'esprit est doncbien une chose, mais non pas figée et déterminée.

L'esprit est une combinaison de corps en activité, si mobiles etvolatiles que leur présence est presque invisible, légère et par cela même, apte se diffuser, et à animer le corpsentier sans l'alourdir pour lui insuffler la vie.. »

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