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Lucrèce: Quant aux divers sons du langage…

Publié le 27/02/2008

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langage
Quant aux divers sons du langage, c'est la nature qui poussa les hommes à les émettre, et c'est le besoin qui fit naître les noms des choses : à peu près comme nous voyons l'enfant amené par son incapacité même de s'exprimer avec la langue, à recourir au geste qui lui fait désigner du doigt les objets présents. Chaque être en effet a le sentiment de l'usage qu'il peut faire de ses facultés. Avant même que les cornes aient commencé à poindre sur son front, le veau irrité s'en sert pour menacer son adversaire et le poursuivre tête baissée. Les petits des panthères, les jeunes lionceaux se défendent avec leurs griffes, leurs pattes et leurs crocs, avant même que griffes et dents leur soient poussées. Quant aux oiseaux de toute espèce, nous les voyons se confier aussitôt aux plumes de leurs ailes, et leur demander une aide encore tremblante. Aussi penser qu'alors un homme ait pu donner à chaque chose son nom, et que les autres aient appris de lui les premiers éléments du langage, est vraiment folie. Si celui-là a pu désigner chaque objet par un nom, émettre les divers sons du langage, pourquoi supposer que d'autres n'auraient pu le faire en même temps que lui ? En outre, si les autres n'avaient pas également usé entre eux de la parole, d'où la notion de son utilité lui est-elle venue ? De qui a-t-il reçu le premier le privilège de savoir ce qu'il voulait faire et d'en avoir la claire vision ? De même un seul homme ne pouvait contraindre toute une multitude et, domptant sa résistance, la faire consentir à apprendre les noms de chaque objet ; et d'autre part trouver un moyen d'enseigner, de persuader à des sourds ce qu'il est besoin de faire, n'est pas non plus chose facile : jamais ils ne s'y fussent prêtés ; jamais ils n'auraient souffert plus d'un temps qu'on leur écorchét les oreilles des sons d'une voix inconnue. Enfin qu'y a-t-il là-dedans de si étrange, que le genre humain, en possession de la voix et de la langue, ait désigné suivant ses impressions diverses les objets par des noms divers ? Les troupeaux privés de la parole, et même les espèces sauvages poussent bien des cris différents, suivant que la crainte, la douleur ou la joie les pénètre, comme il est aisé de s'en convaincre par des exemples familiers. LUCRECE

La question de l’origine du langage a toujours posé problème aux philosophes. L’homme est en effet le seul être à posséder un langage à double articulation. Les animaux communiquent bien sûr, mais autrement qu’avec des mots. Le langage humain est très spécifique. Avec peu de mots, une infinité de sens peuvent être exprimés. Mais comment ces mots sont-ils advenus et se sont-ils imposés aux hommes pour désigner des choses et des objets fixes ? On retrouve ces interrogations dans la philosophie antique. L’origine du langage pose aussi la question de la nature des mots : sont-ils totalement arbitraire et n’ont-ils aucun rapport avec les choses qu’ils désignent ou existe-t-il un lien concret et naturel entre le mot et la chose ? Dans ce texte, Lucrèce semble pencher pour la deuxième solution. Il affirme par suite que les mots sont venus naturellement à l’homme. Nous allons voir sur quels arguments il se fonde pour défendre sa thèse.

 

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« Le langage n'a pas pu être créé par un seul homme - Si le langage n'est pas venu naturellement aux hommes, alors il faudrait admettre qu'une ou plusieurs personnesl'ont inventé.

Mais ici se pose un problème : si quelques hommes ont créé le langage, les mots, comment ceux-ciont appris ces mots aux autres hommes ? En effet, la thèse de la création du langage doit affronter un paradoxe,les mots du langage doivent être acceptés par tous les hommes sur l'ordre de quelques uns.

Lucrèce ici affirme quecette thèse est « folie » et tente de détruire cette argumentation.- Le premier argument pour mettre à mal la thèse de la création est formulée sous forme de question et porte sur lacapacité de tous les hommes de venir au langage, aux mots.

En effet, si tous les hommes sont en tant qu'être de lamême espace, semblables, la capacité d'inventer des mots n'était pas dévolue à un seul être.

Logiquement, si unhomme a eu cette capacité, tous les autres auraient dû l'avoir en même temps et donc tous auraient été capablesde parler avec des mots.De plus, si un seul homme pouvait parler, avait inventé le langage, comment aurait-il convaincu les autres hommesd'utiliser le nouveau moyen de communication qu'il avait créé ? En effet, le langage est commode pour lacommunication inter-subjective qu'il permet.

Mais si seul un homme possédait le langage, alors il n'y aurait aucuneutilité pour les autres de le savoir.

Même la transmission du langage suppose déjà un langage pour expliquer etjustifier cet apprentissage.

On est ici dans une contradiction.- La tâche paraît donc trop lourde pour un seul et même pour une poignée.

Et comme le dit Lucrèce, pourquoi cethomme aurait eu le génie d'inventer ce langage, de voir clair là où les autres ne voyaient rien ? Lucrèce insiste biensur le fait que la thèse de la création n'est peut-être pas fondamentalement fausse mais entraîne des conséquencestrop lourdes que la création naturelle du langage élimine.

En réponse à ces questions qu'il énumère pour poser lesproblèmes, il juxtapose les difficultés pour un homme de transmettre le savoir : il aurait fallu qu'il convainque ou qu'ilsoumette tous les autres hommes( ce qui paraît impossible), mais surtout comme nous l'avons évoqué, il aurait falluqu'il arrive à communiquer avec des hommes qui n'avaient pas encore le langage.

Lucrèce ici compare cettesituation avec sourds : « trouver un moyen d'enseigner, de persuader à des sourds ce qu'il est besoin de faire, n'estpas non plus chose facile ».

L'origine du langage est à chercher dans le besoin et l'utilité - Pour marquer le contraste entre la thèse de la création humaine et celle de la création naturelle, Lucrèce prendencore la forme interrogatoire pour montrer qu'il est beaucoup moins absurde de penser que les hommes, tousensemble, ont créé naturellement le langage.

Il emploie en effet l'expression « genre humain » qui désigne l'ensembledes êtres humains et non quelques-uns pris individuellement.

Celui-ci, selon l'auteur, était déjà en possession de lavoix et de la langue et se sont mis à émettre des mots pour désigner les choses selon les impressions que l'ensembledes individus ressentait devant elle.- Là encore pour bien marque le phénomène naturel du langage, Lucrèce fait un parallèle avec les animaux.

En effet,les troupeaux ont le réflexe de pousser des cris différents pour communiquer différents sentiments : le danger, lapeur,….

Le langage chez l'homme vient du même besoin mais sa faculté de communiquer à lui est simplement plusdéveloppée.

Il possède en commun avec les animaux le langage inarticulé et le second, articulé qui est le propre del'homme.Mais dans les deux cas, c'est la nature qui est à l'œuvre : elle pousse à moduler des sons sous l'effet dessentiments et c'est le besoin qui exprime les noms.

C'est ce que dit Lucrèce en ouverture de ce texte.

Nul besoind'aller chercher des inventeurs du langage, celui-ci s'est créé tout seul, naturellement sous la contrainte du besoinet de l'utilité.

D'ailleurs, nous l'avons vu, si les hommes n'avaient pas eu ou compris l'utilité du langage, celui-ciaurait été abandonné.- C'est donc par l'utilité et le besoin que le langage est né.

Cela a sans doute permis aux hommes de mieux sedéfendre, de procéder collectivement à des tâches ardues.

Mais il faut bien comprendre aussi que c'est parce quel'homme possédait déjà les organes nécessaires au langage que celui-ci a pu apparaître.

Lucrèce, dans ce texte, se place donc contre l'hypothèse d'une création artificielle du langage par un seul homme.Pour ce faire, il met en évidence le pressentiment qu'ont les êtres de leur organe en cours de développement et deleurs facultés.

Ce pressentiment est observable en ce qui concerne la communication et le langage, chez l'enfant.Mais surtout, la thèse d'une création par un homme implique des causes et des effets trop lourds.

Il est en effetcompliqué de comprendre comment un seul homme a eu les lumières pour inventer le langage mais surtout commentil a réussi à instruire et à imposer le langage aux autres hommes.

Le philosophe plaide ici pour la solution la plussimple : l'homme sous l'effet du besoin, comme il possédait déjà les organes nécessaires à la parole, a associé desmots à des choses.

Bien sûr, il est possible d'élever des objections à Lucrèce : si le langage correspond à unefaculté naturelle, comment expliquer que toutes les langues soient différentes et que la traduction de l'une dansl'autre soit si difficile ? Pourtant cette hypothèse reste toujours plausible même s'il est toujours malaisé de remonteraux origines du langage.

Certains scientifiques actuels pensent d'ailleurs que l'origine du langage est inaccessiblepour l'histoire.

Reste alors à accepter les hypothèses les plus vraisemblables et celle de Lucrèce en fait partie.. »

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