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MARC-AURÈLE, Pensées pour moi-même

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

« Sur toutes choses, quand tu te plaindras d'un ingrat et d'un perfide, ne t'en prends qu'à toi-même ; car c'est manifestement ta faute, soit d'avoir cru qu'un homme ainsi disposé te garderait le secret, soit quand tu as fait un plaisir, de ne l'avoir pas fait gratuitement, sans en attendre aucune re¬connaissance, et de n'avoir pas recueilli tout le fruit de ton action, dans le moment même de l'action. Car que veux-tu davantage ? N'as-tu pas fait du bien à un homme ? Cela ne te suffit-il pas ? Et, quand tu agis selon la nature, demandes-tu d'en être récompensé ? C'est comme si l'oeil de¬mandait d'être payé parce qu'il voit, et les pieds parce qu'ils marchent. Car, comme ces membres sont faits pour cela, et qu'en remplissant leurs fonctions ils ont tout ce qui leur est propre, de même l'homme est né pour faire du bien, et toutes les fois qu'il est dans cet exercice ou qu'il fait quelque chose d'utile à la société, il accomplit les conditions sous lesquelles il est au monde, et il a ce qui lui convient. » MARC-AURÈLE, Pensées pour moi-même.
Partant d'un exemple précis – d'un cas moral, en quelque sorte – (A), Marc-Aurèle va montrer, progressivement, que la seule norme morale renvoie à la fidélité à la nature (B) car faire le bien et suivre la nature sont identiques et correspondent à l'exercice d'une fonction naturelle convenant à l'homme (C). On remarquera que l'ensemble se présente sous la forme de « conseils « que le sage donne à celui qui cherche sa voie. Le rapport maître/disciple semble ici se présenter comme le fond du message.
 

« 2.

Que signifie « recueillir le fruit de l'action, dans le moment même de l'action » ? Au moment où j'agis et où je fais le bien, ce que j'éprouve, c'est la plénitude de mon accord avec la nature :j'expérimente un passage à une plus grande perfection naturelle.

Ainsi je recueille le fruit de mon acte, à savoirle dynamisme de mon âme joyeuse parce qu'elle s'est conformée à la nature.

Dans le moment même de l'action,je gagne une participation heureuse au grand tout de la vie et de la nature, au feu artiste qui se déploie dansle monde.

Donc ce gain de puissance et de vie naturelle est le seul élément qui compte vraiment et je n'ai rienà attendre d'autre, comme par exemple, la reconnaissance de l'autre, sa gratitude et autres « balivernes » oubillevesées du même genre.

Que dois-je faire ? Jouir d'un acte parfait, d'une « volonté de puissance »dynamique, comme dirait Nietzsche.

Quant à l'attente de la reconnaissance, elle ne signifierait que ma faiblesseet la petitesse de mon âme, médiocre et peureuse, avide de mesquins signes sociaux.

Seule la joie recueilliedans l'action est signe d'un succès de mon être et désigne une sorte de perfection.

C'est donc le mouvementmême de l'acte qui importe et non point ce qui s'y surajoute socialement et extérieurement.

Il y a là une visionprofondément eudémoniste, une doctrine considérant que la fin de l'action morale consiste dans la recherchedu bonheur, du souverain bien, de la plénitude.

Vertu et bonheur se rejoignent, au sein de l'eudémonismepaïen. 3.

Faut-il conclure de ce texte qu'il est vain de reprocher à un homme sa mauvaise conduite ? Qu'est-ce que reprocher à un homme sa mauvaise conduite ? C'est l'accabler de son mépris et considérer qu'ilne se place pas sous le signe du bien et du bon, qu'il est hors moralité, que sa conduite, à savoir l'ensemble deses actes, est rigoureusement défectueuse.Sous un certain angle, il est vain et absurde de reprocher à un homme sa « mauvaise conduite ».

En effet, laconduite, dans le langage vulgaire, désigne la valeur morale d'une action appréciée selon certaines normes debien et de mal.

Ainsi parle-t-on de bonne et de mauvaise conduite.

Sous cette dimension, faire ce reprocheserait absurde, car les normes de bien et de mal, au sens traditionnel, n'ont guère de sens et sontfréquemment relatives aux sociétés et groupes sociaux.Par ailleurs, pourquoi faire ce reproche à autrui ? Ce qui compte pour moi, c'est l'excellence de mon geste et sabeauté.

Je n'ai rien à attendre, comme on l'a vu, de la gratitude d'autrui.

J'ai le moyen de distinguer ce qui estconforme à la nature et ce qui lui est contraire.

Le reste importe peu et je ne reprocherai pas à un homme sa «mauvaise conduite ».

Bien, vertu et nature s'identifient et refoulent tout reproche, toute critique adressée àautrui et qui témoignerait de mon « moindre-être », de mon sentiment de rancune et d'amertume.

Le sagen'est pas en proie au ressentiment.

Il est joyeux parce qu'il crée et donne.

Il a donné le bien, conforme à lanature, et cela lui suffit.Toutefois, sous un autre angle, il n'est pas totalement vain de faire un reproche de sa mauvaise conduite àautrui : en effet, si ce dernier extériorise de mauvais actes, cela signifie qu'il ne gouverne pas ses opinions, quisont elles-mêmes irrationnelles.

Autrui ne maîtrise pas alors ses représentations et jugements.

Donc il a « maltravaillé », puisqu'il n'a pas agi au niveau de la pensée et du jugement.

Il n'a pas compris que l'opinion dépendde nous.

« Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas.

Celles qui dépendentde nous, ce sont l'opinion, la tendance, le désir, l'aversion : en un mot tout ce qui est notre oeuvre.

Celles quine dépendent pas de nous, ce sont le corps, les biens, la réputation, les dignités : en un mot tout ce qui n'estpas notre oeuvre.

Et les choses qui dépendent de nous sont par nature libres ; nul ne peut les empêcher, rienne peut les entraver ; mais celles qui ne dépendent pas de nous sont impuissantes, esclaves, sujettes àempêchements, étrangères à nous.

» (Épictète, Manuel, Delagrave)Il importe donc peu qu'autrui ne me soit pas reconnaissant de ma « bonté ».

De mon point de vue, l'excellencede mes actes me suffit.

Toutefois, autrui aussi est élément du feu divin et je puis lui reprocher de ne pasadapter au cosmos son jugement.

Autrui, en n'acquérant pas une conduite conforme à la nature, oublie sonétincelle divine. L'homme se rattache à l'univers, car Dieu est en tout.

La mauvaise conduite, comme oubli du Tout, désigne unélément défectueux, que je puis reprocher à celui qui répudie la liaison de toutes les réalités.

«Toutes chosessont liées entre elles, et d'un noeud sacré [...] Il n'y a qu'un seul monde qui comprend tout, un seul Dieu, quiest dans tout.

» (Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même)Si quelqu'un repousse cette perfection du monde, je lui en ferai donc grief : il oublie sa propre perfection.

« Labéatitude n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même.

» (Spinoza, Éthique).. »

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