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Montaigne: L'ignorance s'oppose-t-elle à la vérité ?

Publié le 16/03/2006

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Il s'engendre beaucoup d'abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent de ce qu'on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance, et que nous sommes tenus d'accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter. Nous parlons de toutes choses par précepte et résolution. Le style à Rome portait que cela même qu'un témoin déposait pour l'avoir vu de ses yeux, et ce qu'un juge ordonnait de sa plus certaine science, était conçu en cette façon de parler : Il me semble ». On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles. J'aime ces mots, qui amollissent et modèrent la témérité de nos propositions : A l'aventure, Aucunement, Quelque, On dit, Je pense, et semblables. Et si j'eusse eu à dresser des enfants, je leur eusse tant mis en la bouche cette façon de répondre enquêteuse, non résolutive : « Qu'est-ce à dire ? Je ne l'entends pas. Il pourrait être. Est-il vrai ? » qu'ils eussent plutôt gardé la forme d'apprentis à soixante ans que de représenter les docteurs à dix ans, comme ils font. Qui veut guérir de l'ignorance, il faut la confesser. Iris est fille de Thaumantis. L'admiration [ndt, L'étonnement] est fondement de toute philosophie, l'inquisition [ndt, la recherche] le bout. Voire dea [ndt, Mais en vérité], il y a quelque ignorance forte et généreuse qui ne doit rien en honneur et en courage à la science, ignorance pour laquelle concevoir il n'y a pas moins de science que pour concevoir la science.

Le texte est tiré des Essais, livre III, chapitre 11, qui est intitulé Des boiteux. Dès le début du chapitre, Montaigne soutient une thèse sceptique, qui consiste à dire que la raison humaine est impuissante à atteindre les causes ultimes des choses. Le texte qui nous occupe a pour fonction de conforter cette thèse sceptique tout en précisant le sens exact que Montaigne entend lui donner. Le problème examiné est celui de savoir d’où viennent les abus, à savoir les mauvais usages que nous faisons des choses : l’ignorance en est-elle cause ? La thèse de Montaigne est que ce n’est pas l’ignorance mais le faux savoir, c'est-à-dire le recouvrement de l’ignorance sous la prétention au savoir, qui nous fait errer dans nos comportements.

Le texte peut être divisé en trois parties. La première qui finit à «il me semble « énonce la thèse du texte, selon laquelle c’est la prétention de savoir, et non l’ignorance, qui amène à mal user des choses. Puis dans la seconde partie, qui termine à « comme ils font «, Montaigne expose quelle forme de remède peut être apporté à cet état de fait, notamment par un certain usage du langage et une éducation appropriée. Enfin dans la troisième partie, Montaigne distingue deux types d’ignorance, l’une qui s’ignore elle-même, et l’autre qui se sachant est une docte ignorance (une ignorance savante).

 

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« seconde partie, qui termine à « comme ils font », Montaigne expose quelle forme de remède peut être apporté à cetétat de fait, notamment par un certain usage du langage et une éducation appropriée.

Enfin dans la troisièmepartie, Montaigne distingue deux types d'ignorance, l'une qui s'ignore elle-même, et l'autre qui se sachant est unedocte ignorance (une ignorance savante). I.

C'est l'illusion du savoir et non l'ignorance qui est cause de nos abus Dès le début du texte Montaigne reconduit les abus, à savoir les mauvais usages que nous faisons deschoses, non à un défaut de savoir, mais à un certain rapport à l'ignorance : la crainte que nous avons de laconfesser, c'est-à-dire de la reconnaître face aux autres.

Or Montaigne dit que tous les abus viennent de là.

Si l'on parvenait à supprimer cette cause, on pourrait alors se libérer totalement des abus.

Pour faire voir en quoi cettecrainte fait véritablement partie de nos mœurs, Montaigne mobilise un exemple historique, qui par contraste doitmettre en exergue les caractéristiques de notre époque.

Montaigne se penche sur les mœurs des Romains enconsidérant, les déclarations les plus importantes, à savoir celles des témoins et celles des juges, qui ont un poidsénorme puisqu'elles auront une répercussion sur la vie des êtres humains concernés (jusqu'à éventuellement la leurôter).

Or même ces paroles de poids, nous dit Montaigne, étaient précédées d'un « Il me semble ».

Le romain étaitdonc opposé à nous qui parlons par « précepte et résolution ».

En effet le propre du précepte est de valoir commeune règle ou un commandement dont on ne met jamais en question le bien fondé.

En invoquant l'exemple desRomains, Montaigne souligne donc le fait que notre crainte vis-à-vis de notre ignorance, qui nous pousse à ladéguiser, n'est pas une donnée de la nature mais une coutume, qui nous a été inculquée.

Or si cette coutume estpernicieuse c'est qu'elle nous amène à « accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter », alors qu'en toute logique,on devrait tenir ce que l'on ne peut réfuter mais que l'on ne peut pas prouver comme indécidable.

La deuxièmepartie du texte se demande comment l'on peut dépasser ce positionnement producteur d'abus. II.

Le double remède à l'illusion de savoir Dans la deuxième partie du texte Montaigne se demande comment l'on peut dépasser cette habitude de tenir pour vrai ce que l'on ne peut réfuter.

Il s'agit donc de savoir comment l'on peut parvenir à une forme de scepticismequi préserve mieux notre jugement de l'errance. On peut alors s'étonner que Montaigne oppose deux sentiments, la haine (du vraisemblable assimilé au certain) etl'amour (des mots qui modèrent les propositions).

On peut penser que c'est une façon pour Montaigne de soulignerque l'on ne juge pas seulement en faisant usage de sa raison, de manière abstraite, mais que tout comportementcomme tout jugement de valeur comportent à une dimension coutumière qui engage l'affectivité.

De fait, au livre I, ch.

23 , Montaigne remarque que « nos plus grands vices prennent leur ply de nostre plus tendre enfance, et que nostre principal gouvernement est entre les mains des nourrices ».

Il s'agit donc de rééduquer notre affectivité, etc'est la raison pour laquelle Montaigne évoque la question de l'éducation des enfants.

Or cette éducation au bonscepticisme passe d'abord par un certain usage du vocabulaire, parce qu'il conditionne nos manières de penser.C'est pourquoi le bon éducateur doit mettre en la bouche des enfants des termes comme « Qu'est-ce à dire ? Je nel'entends pas.

Il pourrait être.

Est-il vrai ? ».

Cette éducation par le vocabulaire approprié a pour fonction deprémunir contre le dogmatisme, et de favoriser l'esprit de questionnement.

En effet il y a plus de sagesse àdemeurer en suspens qu'à se ranger à un dogme mal établi, plus de sagesse à être « apprentis à soixante ans quede représenter les docteurs à dix ans ».

Le scepticisme de Montaigne est donc solidaire d'une critique de l'éducationqui préfère un habile homme à un homme savant, et un « un conducteur (un pédagogue) qui eust plutost la testebien faicte que bien pleine » (Livre I, ch.

26).

Pour autant toutes les ignorances se valent-elles ? III.

Vertu de la docte ignorance Dans cette dernière partie, Montaigne oppose deux formes d'ignorance : une qui est confessée, et une qui est déguisée.

La première ignorance cesse en partie d'en être une à partir du moment où elle est confessée.

Eneffet si l'ignorance demeure au sens où l'objet n'est pas davantage connu avant qu'après la reconnaissance del'ignorance, en revanche l'ignorance se connaît elle-même.

D'une double ignorance, celle de l'objet d'une part, etcelle de l'ignorance elle-même d'autre part, on passe à une simple ignorance, celle de l'objet.

Or cette ignorance quise sait elle-même n'est rien d'autre que l'étonnement.

En effet celui qui s'étonne admet qu'il ne comprend pas cedont il s'étonne.

Montaigne est ici en plein accord avec la philosophie platonicienne qui place l'étonnement à l'originede la philosophie.

Mais cette ignorance « forte et généreuse » demande beaucoup plus de vertu que l'ignorance quine se sait pas elle-même.

Elle demande d'abord un certain courage, celui de s'avouer à soi-même que l'on necomprend pas (et l'on comprend que cet aveu demande du courage puisque Montaigne a montré au début du texte. »

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