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La mort rajoute-t-elle de la valeur à la vie ?

Publié le 31/01/2004

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Si la mort ajoute de la valeur à la vie, alors la vie a déjà une valeur. La mort serait de l'ordre de la valeur ajoutée. Le verbe "ajouter" est important : à priori nous concevons la mort comme manque, défaut, signe de notre imperfection par rapport à l'éternité et immortalité comme signes du divin. Comment alors l'envisager d'un autre point de vue comme quelque chose qui ajoute ? La mort est la fin de la vie, alors comment peut-elle ajouter de la valeur à celle-ci dans la mesure précisément où il n'y a plus de vie après la mort ? La mort est-elle une épreuve ultime (ne dit-on pas qu'il nous faut affronter la mort ?), ou une fin au sens d'une échéance, ou est-elle une représentation, en tant que conscience de notre finitude ? La valorisation de la vie par la mort vient prendre place dans la distinction entre simple vie biologique et existence (voir les textes des existentialistes, en particulier Être et temps de Heidegger). L'animal vit ; l'homme existe et la conscience de notre mortalité n'est pas étrangère à cette distinction. De même nous ne nous contentons pas de la seule survie biologique, nous cherchons à donner un sens à notre existence : il faut du désir dans notre vie, faute de quoi nous sombrons dans la mélancolie et nous pouvons choisir d'abréger la vie. Autrement dit la vie n'est pas la condition suffisante pour que l'on continue à vivre, il nous faut sans arrêt des raisons de vivre contrairement à l'animal. Sans valeur, la vie ne mériterait pas d'être vécue, ne vaudrait pas la peine d'être vécue. En quel sens donc la mort peut offrir cette valeur en plus ? Elle permettrait à la vie d'avoir un sens (une direction et une signification) ; elle orienterait une morale ou permettrait sa constitution : ainsi de la morale épicurienne du "Carpe diem", "profite de l'instant présent". De même, on peut se demander si le fait de risquer sa vie n'augmente pas sa valeur, son prix. Risquer sa vie (pouvoir mourir, se sentir menacé au plus près par la mort) serait la raison qui ferait qu'on voudrait vivre.
  • I) La mort ôte tout sens à la vie.
a) La mort rend la vie absurde. b) Le dernier acte est sanglant. c) Le nihilisme ôte tout sens à la vie.
  • II) La mort n'ôte âs tout sens à la vie.
a) Le sens de la vie se trouve au-delà. b) J'ai l'intuition de l'éternité. c) La vie a son propre sens.
.../...

« pourriture, mesquineries, chiens qui s'entremordent, gamins querelleurs, qui rient et pleurent sans transition [...]Qu'est-ce donc qui te retient encore ici-bas? Les objets sensibles sont changeants, inconsistants, et les sensémoussés, prompts à recevoir de fausses impressions [...] Et la renommée parmi ces gens-là, du vide.

Que fairedonc? Tu attendras, l'âme bienveillante, ou de t'éteindre ou d'être transféré ailleurs.

» (Pensées, trad.

A.

I.Trannoy, V, 33).

Cette égalité d'âme à l'égard de la perspective de mourir repose donc sur une vision où la vie aperdu sa teneur, et si elle ne lui ajoute rien, elle ne peut guère lui ôter une valeur qu'elle ne possède pas.

Au mieux,la perspective de la mort incline au détachement vis-à-vis des fausses valeurs de la vie. La mort valorise néanmoins la vie. À première vue, donc, il apparaît que pour l'homme la conscience de la mort, quelles que soient les représentationsqu'il s'en fasse, entraîne une dévalorisation de la vie.

En réalité, les choses sont plus complexes et ces mêmesinterprétations de la mort peuvent tout aussi bien impliquer une revalorisation de la vie.

En effet, si nous reprenonsles différents points de vue que nous avons étudiés, nous constatons que la vie met enjeu l'éternitéPour la conscience religieuse, la vie prend toute sa valeur et son sens précisément dans la mesure où elle n'estqu'un passage, certes, mais sur lequel se jouent la béatitude ou la damnation éternelles : « Entre nous, et l'enfer oule ciel, il n'y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus fragile » (Pascal, Pensées, éd.

Brunschvicg,frag.

213).

La vie n'est rien, mais ce rien est crucial. La mort, comme néant, enrichit la vie. Semblablement, c'est parce que la mort, comprise comme néant, nous dévoile l'absurdité de la vie, que cettedernière pourra être authentiquement vécue, dans la conscience et la révolte : « Il s'agissait de savoir si la viedevait avoir un sens pour être vécue.

Il apparaît ici au contraire qu'elle sera d'autant mieux vécue qu'elle n'aura pasde sens.

Vivre une expérience, un destin, c'est l'accepter pleinement [...].

Vivre c'est faire vivre l'absurde.

Le fairevivre, c'est avant tout le regarder.

Au contraire d'Eurydice, l'absurde ne meurt que lorsqu'on s'en détourne.

L'unedes seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte [...] Cette révolte donne son prix à la vie » (A.Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, coll.

Idées, pp.

76-77).

Ainsi, c'est dans le sentiment de notre finitude et lacapacité que nous avons de faireface à notre propre mort que nous puisons la force et l'énergie de vivre pleinement et authentiquement la vie qu'ilnous est donné de vivre, car « la vie de l'esprit n'est pas la vie qui s'effarouche devant la mort et se préserve purede la décrépitude, c'est au contraire celle qui la supporte et se conserve en elle» (Hegel, Phénoménologie de l'esprit,p.

48, trad.

J.-P.

Lefebvre). De la déréalisation de la mort à la valorisation de la vie. Il ne va pas de soi que l'on doive considérer la mort-néant dans une perspective tragique.

En fait, la conscience dela mort-néant nous permet de goûter dans toute leur plénitude les plaisirs de la vie, ainsi que l'explique Épicure : «Familiarise-toi avec la pensée que la mort n'a aucun rapport avec nous, puisque tout bien et tout mal résident dansla sensation.

Or la mort est privation de sensation.

D'où connaître justement que la mort n'a aucun rapport avecnous fait que nous trouvons goût au mortel de l'existence, puisqu'elle n'ajoute pas un temps impraticable, maissupprime le désir de l'immortalité.

Car il n'y a rien d'affreux dans l'existence pour celui qui a véritablement comprisqu'il n'y a rien d'affreux dans la non-existence.

De telle sorte qu'il est sot, celui qui dit qu'il craint la mort, parcequ'elle le chagrine dans son à venir.

La souffrance qu'elle ne produit pas quand elle est là, quand elle estreprésentée, elle cause un chagrin vide.

Le plus effrayant donc des maux, la mort, n'est en rien en rapport avecnous, puisque, lorsque nous existons, la mort n'est pas présente et lorsque la mort est présente, alors nousn'existons pas.

Ainsi elle n'est en rapport ni avec ceux qui vivent ni avec ceux qui sont morts, puisque, pour les uns,elle n'est pas, et que les autres ne sont plus » (Lettre à Ménécée, trad.

J.

Bollack).

De la déréalisation de la mortprocède ainsi la valorisation de la vie, la mort n'est rien pour la vie, son terme ne lui ôte pour ainsi dire rien. La mort inhérente à toute vie, condition de sa valorisation. Le sérieux devant la mort. On voit donc que la mort, de quelque manière qu'on la conçoive, peut aussi bien ajouter que retirer de la valeur à lavie : c'est en effet moins la mort elle-même qui est déterminante, ni l'idée que l'on s'en fait, mais l'attitude quel'homme adopte devant elle; c'est, comme le remarque Kierkegaard, le sérieux avec lequel nous considérons la mortqui nous permet de saisir toute la valeur de la vie : « Le sérieux comprend j que si la mort est une nuit, la vie est lejour, que si l'on ne peut travailler la nuit, on '; peut agir le jour, et comme le mot bref de la mort, l'appel concis, maisstimulant de la vie, c'est: aujourd'hui même.

Car la mort envisagée dans le sérieux est une source d'énergie commenulle autre; elle rend vigilant comme rien d'autre.

La mort incite l'homme charnel à dire: "Mangeons et buvons, cardemain nous mourrons." Mais c c'est là le lâche désir de vivre de la sensualité, ce méprisable ordre des choses oùl'on c vit pour manger et boire, et où l'on ne mange ni ne boit pour vivre.

L'idée de la mort i amène peut-être l'espritplus profond à un sentiment d'impuissance où il succombe sans aucun ressort ; mais à l'homme animé de sérieux, lapensée de la mort donne l'exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course.

Et nularc ne saurait être tendu ni communiquer à la flèche la vitesse comme la pensée de la mort stimule le vivant dont lesérieux tend l'énergie.

Alors le sérieux s'empare de l'actuel aujourd'hui même ; il ne dédaigne aucune tâche commeinsignifiante; il n'écarte aucun moment comme trop court.

». »

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