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Les mots cachent-ils les choses ?

Publié le 16/02/2004

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1. Les mots sont les signes des choses

Dans l'intitulé du sujet, les « choses « ne désignent pas uniquement les êtres inertes comme ce serait le cas si on les opposait aux vivants, aux personnes, ou si je reprochais à quelqu'un de me traiter comme une « chose «. Lorsque je m'interroge : « Où est passée ma pipe « ou que je m'exclame : « Je suis furieux « : la « chose « dont je parle, c'est ma pipe ou ma colère réelles. Quant aux mots « pipe « ou « furieux «, ils n'en sont que les signes vocaux. La question porte donc sur la nature du lien qui unit un certain type de représentations (les images verbales) et le modèle auquel elles se réfèrent.

2. Les mots sont éloignés des choses

Tout cela est bien connu : « paroles, paroles, paroles... « répète la chanson, rappelant que les serments d'amour n'engagent que les naïfs. Mais on ne peut pas en rester à des constations aussi triviales.

• Penser à différents usages du langage (pas seulement descriptif, mais aussi poétique, par exemple). • Qu'y aurait-il dans les mots qui puisse « cacher les choses « ? • De quelles « choses « peut-il s'agir ?

« Admettons que les mots nous éloignent des choses.

Il faut donc supposer qu'avant nous en étions plus proches.Mais avant quoi ? Avant de nous exprimer ou avant de savoir parler ? Dans le premier cas la parole se bornerait àtrahir notre expérience ; dans le second, l'apprentissage du langage chez l'enfant transformerait de manièreirréversible son rapport aux choses.

Examinons plus attentivement ces deux hypothèses. 1.

Les mots trahissent notre expérienceNous éprouvons tous plus ou moins de difficulté à faire partager nos expériences, surtout lorsqu'elles sont singulièreset touchent à notre intimité.

Je peux bien parler d'une maison en général.

Mais comment faire sentir, à moins d'êtredoué d'un véritable talent d'écrivain, le charme et l'atmosphère uniques de la vieille demeure familiale, où je passemes vacances depuis l'enfance, les sentiments que j'y éprouve ou ceux que j'y projette ?Le langage est abstrait : le mot « maison » désigne ce qu'il y a de commun à toutes les maisons.

Il exprime moins laréalité vécue que la manière dont nous organisons et quadrillons notre expérience pour la rendre intelligible parautrui.

Par sa vocation même de communiquer, l'usage du langage se bornerait à livrer des informationsimpersonnelles et communes.

Entre les choses et leurs expressions, il introduirait le détour du code, de la règle, dela syntaxe, des usages et de la correction.

Entre mon expérience et ma parole c'est tout le système des normessociales qui viendrait s'interposer.

D'où la tentation de recourir à un langage plus direct qui traduirait de manière plusexpressive l'intimité et l'intensité de nos sentiments : langage des gestes, des regards, mimiques, etc. Le langage sert à chaque individu pour trouver son rôle et sa place dans la société.

Lessignes du langage sont à la fois généraux et mobiles.

Ils permettent aux objetsde passer de l'ombre à la lumière, ils les font devenir choses.

Mais pratiquant lelangage, l'intelligence applique des formes qui sont celles-mêmes de la matièreinorganisée.

Le langage pétrifie le monde, le durcit en le découpant en fonctionde nos besoins et de nos habitudes.

De par sa généralité, il use des mêmesvocables, pour ce qui, chez chacun, est pourtant un état psychologique ou unsentiment unique.

Chacun de nous a sa manière propre d'aimer et de haïr, etpourtant, nous sommes obligés de parler tous le même langage.

Il ne peut doncque fixer l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, ou de tout sentiment quinous traverse.

La pensée authentique demeure donc incommensurable aulangage, dans lequel nous associons nos idées en les juxtaposant les unes auxautres, sans pouvoir exprimer leur compénétration ni leur lien intime.

Alors queles idées s'engendrent les unes des autres de manière vivante, le langage nepeutfaire autrement que les accoler les unes derrière les autres.

A l'égard du monde,les mots sont comme des étiquettes que l'on collerait sur les objets, et qui touten les nommant, les dissimulent.

Tous les mots, à l'exception des noms propresdésignent des genres, soit des généralités. 2.

Les mots transforment notre expérienceMais si le sujet ne portait que sur la distance entre notre expérience des choses et son expression linguistique, laquestion serait : « Les mots nous éloignent-ils de notre expérience ? » Pour donner tout son sens au sujet il fautmaintenant concevoir un éloignement plus radical et plus irréversible.

L'altération que fait subir le langage à notreperception « des choses » pénétrerait jusqu'au coeur de notre expérience du monde et la modifierait de l'intérieuravant même que nous l'exprimions par des paroles.C'est alors nous (et pas seulement nos phrases) qui serions irrémédiablement éloignés des choses.

Don Quichotte,après s'être gavé de romans de chevalerie, transforme le monde autour de lui : d'un cheval fatigué, il fait uncoursier, d'une femme du peuple, une souveraine inaccessible et de simples moulins à vent une armée de géants.Peut-être sommes-nous comme Don Quichotte.

Au lieu de représenter humblement les choses, les mots finiraientpar nous enfermer dans un monde à part, « coupé du réel ». IV.

Nouvelle hypothèse : c'est parce que les mots nous éloignent de notre expérience brute que nousaccédons aux choses 1.

L'éloignement comme reculJusqu'ici nous avons interprété l'éloignement en un sens péjoratif, comme si la distance altérait notre vision.

Mais cen'est pas toujours le cas.

Par exemple, on ne peut pas contempler un tableau le nez collé sur la toile.

Il faut prendrele recul nécessaire pour en avoir une vision d'ensemble.

L'éloignement n'est donc pas nécessairement synonyme detrahison ; il peut être aussi la condition d'accès aux choses.

Comment comprendre cette distance ? En quoi peut-elle nous ouvrir l'accès aux choses ? 2.

Expérience brute et réflexionS'il est vrai que les mots nous éloignent des choses, il faut donc supposer qu'il nous serait possible d'en avoir uneexpérience plus « intime », plus proche.

C'est à partir de cette proximité idéale que l'on pourrait évaluer la distanceéventuelle que les mots creusent entre une perception primitive et la perception modifiée par le langage.

Partonsd'exemples précis d'expériences « brutes », où l'événement semble nous assaillir et nous submerger, sans qu'on ait lemoindre recul pour l'analyser.Imaginons que l'on soit victime d'un accident.

En un laps de temps tout se brouille en une unique impression qui. »

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