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Le rôle des règles dans la création littéraire.

Publié le 21/12/2010

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A. de Musset écrivait, dans un article publié le 1er novembre 1838, dans la Revue des Deux Mondes, sous le titre De la tragédie, à propos de Mademoiselle Rachel : «Si les règles étaient des entraves inventées à plaisir pour augmenter la difficulté, mettre un auteur à la torture et l'obliger à des tours de force, ce serait une puérilité si sotte qu'il n'est guère probable que des esprits comme Sophocle, Euripide, Corneille s'y fussent prêtés. Les règles ne sont que le résultat des calculs qu'on a faits sur les moyens d'arriver au but que se propose l'art. Loin d'être des entraves, ce sont des armes, des recettes, des secrets, des leviers. Un architecte se sert de roues, de poulies, de charpentes; un poète se sert de règles, et plus elles seront exactement observées, énergiquement employées, plus l'effet sera grand, le résultat solide; gardez-vous donc bien de les affaiblir, si vous ne voulez vous affaiblir vous-même.» (Pléiade, Œuvres complètes en prose, p. 899.) Sans vous borner au problème de la tragédie, et en situant votre analyse dans un canton et à une époque de notre littérature choisis à votre gré, vous vous interrogerez sur le rôle des règles dans la création littéraire.

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« fixes et thèmes communs.

Phèdre distingue Racine de Pradon ; Amphitryon, Molière de Térence.» Les règles fondées en raison et en nature Tel n'est point l'avis des théoriciens du classicisme, des Doctes.

Le Père Rapin, critique du XVIIe siècle (1621-1687),est persuadé que la primauté du plaisir en esthétique est loin d'être certaine.

Il parle de «la fausse liberté de ceméchant principe», il ne pense même pas qu'on puisse plaire sans les règles et, même si cela arrivait, ce ne seraitpoint la preuve nécessaire de la beauté de l'oeuvre, car «la beauté, feinte et masquée, fait sur la plupart des espritsun effet que souvent la véritable beauté n'y saurait faire» (Nicole) ; mais seules les règles fondées en raison et ennature permettent d'atteindre la beauté profonde.

La réflexion sur chaque genre amène à en dégager a priori les règles. 1 Les règles fondées en raison.

Malgré les références constantes à Aristote ou à Horace, la plupart des théoriciens sont formels : on peut déduire les règles de «la nature des choses morales, de la vraisemblance desactions humaines et des événements de cette vie, du rapport des images aux vérités et des autres circonstancesqui peuvent contribuer à réduire en art ce genre de poème» (c'est-à-dire le théâtre).

Il ne s'agit point de la raisonphilosophique, mais d'une sorte de bon sens, de jugement correct grâce auquel est saisi le vrai universel des choses: Mais nous, que la raison à ses règles engage, Nous voulons qu'avec l'art l'action se ménage, Qu'enun lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli dit Boileau (Art poétique, III, vers 43-46) ; en d'autres termes, l'organisation d'une tragédie est le fruit d'une réflexion méthodique sur les exigences générales du genre ; en l'occurrence, les trois unités citées à titre d'exemplesont particulièrement significatives : ce ne sont pas des conventions arbitraires, mais des lois déduites de la raison. 2 Les règles fondées en nature.

Cependant cette réflexion qui fonde les règles n'est pas pure réflexion abstraite sur l'essence du genre : elle est en liaison aussi avec la nature et notamment la nature de l'objet à reproduire et lanature du public.

Ainsi s'imposent la vraisemblance et les bienséances : la vraisemblance peut être générale, c'est- à-dire conforme à l'idée qu'on se fait de l'homme, ou historique, c'est-à-dire conforme à l'idée que se fait le public de l'époque du passé qu'on lui représente ; la bienséance doit être à la fois interne et externe, c'est-à-dire d'une part établir d'étroites corrélations entre ce que l'on a à peindre et le genre ou le ton que l'on adopte ; d'autre partne perdre jamais de vue l'idée qu'a le public de l'honnêteté, de la décence, bref ce qu'il attend de l'auteur.

(Voir descitations du Père Rapin et de l'Abbé d'Aubignac dans l'ouvrage de H.

Bénac : Le Classicisme, Classiques France, Hachette, p.

12 à 20.) Ainsi, de la nature même de ce qu'il faut peindre se dégage un certain nombre de règles nécessaires pour qu'onpuisse parler d'oeuvre d'art. 3 Mais les règles ne vont pas tarder à se durcir.

Les Doctes prônaient donc des règles en liaison vivante avec la nature du genre et de l'objet à peindre et ils aboutissaient ainsi à une esthétique normative où le Beau ne dépendaitpas du rapport subjectif lecteur-auteur, mais relevait de certains principes.

En elle-même cette esthétique estdéfendable, car elle vise à poser en valeur le jugement de goût et non pas à en faire un simple état de fait (il estbien vrai que le verbe aimer n'a pas le même sens dans les expression «j'aime la tarte» et «j'aime la poésie», car,dans le premier cas, il n'est qu'une constatation et, dans le second cas, il tend à devenir une obligation : «J'aime lapoésie», c'est presque «il faut aimer la poésie»).

Malheureusement les règles vont cesser assez vite d'être desréflexions profondes sur l'essence de l'art ou du modèle à reproduire, pour devenir des exclusives impérieuses àl'égard de tout ce qui choque le bon goût.

La bienséance notamment prend une importance énorme, élimine tout cequi est trop violent, trop brutal, trop direct et elle n'est plus que respect de l'étiquette, du beau langage, refus dumot propre dès qu'il est un peu trop concret. Ainsi s'ouvre progressivement la porte à la tragédie et à l'épopée voltairiennes.

C'est contre ces règles figées dansle conformisme et une dignité ridicules que vont réagir un Beaumarchais ou un Marmontel et que vont s'insurger lesromantiques au siècle suivant. III L'art et les règles Leur révolte procède du sentiment aigu que la règle, inventée à l'origine pour mieux répondre aux nécessités de l'art,s'est finalement retournée contre I artiste qu'elle empêche d'exprimer librement ce qu'il veut. I La liberté dans l'art.

Déjà, au XVIIe siècle, Denis Dodart, dans une fameuse Préface à un recueil de Poésies chrétiennes et diverses publié par Port-Royal en 1671, préface longtemps attribuée à La Fontaine, affirme qu'«il faut s'élever au-dessus des règles qui ont toujours quelque chose de sombre et de mort», le sentiment ou le goûtétant autrement subtils que toutes les règles du monde pour écrire et juger.

Allant encore plus loin, les romantiquespoussent leur fameux cri de guerre pour «la liberté dans l'art».

La règle, sans lien profond ni avec les exigences desgenres au début du XIXe siècle (notamment avec le genre nouveau qu'on cherchait à imposer alors : le dramehistorique) ni avec un public qui ne la réclamait plus, brimait la liberté artistique parce qu'elle ne répondait plus àl'état de la littérature moderne (cf.

les remarques de Stendhal dans Racine et Shakespeare, 1823 : «Je dis que l'observation des deux unités de lieu et de temps est habitude»).

Or la littérature romantique est celle qui prendconscience des besoins nouveaux d'un public nouveau et des «règles» nouvelles, si on peut ainsi les nommer, que. »

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