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Nature et société sont-elles au même titre objet de science ?

Publié le 05/02/2004

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On sait combien le repérage ou la constitution d'un tel monde est un phénomène historiquement tardif.Lorsqu'il établit sa loi des états, Auguste Comte montre d'abord, dans les états théologique et métaphysique, combien l'objet et le sujet se trouvent étroitement confondus. Pour l'esprit théologique, les phénomènes que nous qualifions de naturels dépendent des volontés ou des caprices des dieux, parfois de leur simple humeur, et il y a ainsi attribution de tout ce qui survient à des « sujets « sans doute supérieurs aux humains, mais dotés comme eux d'une vie psychique. Dans la mentalité métaphysique, c'est la nature dans son ensemble qui paraît animée de sentiments (par exemple, elle peut avoir « horreur du vide «), de désirs ou de volontés qui ressemblent à ceux que connaît l'homme lui-même. Ce n'est ainsi qu'au prix d'un « désenchantement du monde « que s'instaure l'esprit scientifique : les événements sont désormais privés de toute épaisseur ou réalité spirituelle, et c'est bien ce qui permet qu'un monde composé de purs objets puisse désormais nous faire face et s'offrir à la science.De ce point de vue, le travail de Galilée est essentiel : il assure le passage d'un cosmos ordonné à un espace géométrisé où jouent des lois mécaniques indifférentes aux projets humains. L'homme pourra y occuper n'importe quel emplacement parce qu'il n'a plus de place qui lui revienne en propre. Cette neutralité du monde objectif autorise le développement de la science aussi bien que de la technique, puisque plus rien n'y est a priori doté de valeur ou de sens.Lorsqu'il instaure la sociologie comme dernière discipline dans sa classification des sciences, Auguste Comte lui donne comme objectif de reconstruire un système de valeurs collectives sur lequel puisse se fonder un nouvel ordre social (puisque l'ancien a été détruit par la Révolution) :la description des structures sociales et l'analyse de la mobilité sociale doivent permettre d'espérer une telle efficacité.[II.

Il faut d'abord se concentrer sur l'énoncé : ici, le " au même titre " sous-entend qu'il y a sans doute une différence. Ainsi, si on peut avoir des sciences de la nature (physique, biologie) et des sciences de l'homme en société (économie, sociologie), est-ce qu'elles utilisent les mêmes méthodes ? Et, surtout, est-ce que toutes les deux sont " vraies " ? Laquelle est la plus vraie ? Les sciences de l'homme doivent-elles prendre les mêmes méthodes que les sciences de la nature ?

On peut tout d'abord répondre que les sciences physiques sont sans doute le modèle de la vérité, de l'objectivité (objectivité : un savoir fondé). Pourquoi ? Parce que, notamment, la nature est un objet de connaissance possible : elle est extérieure à l'homme. Tu peux alors décrire rapidement ce qu'est la connaissance scientifique de la nature.

« En 1895, Durkheim considère qu'il convient de « considérer les faits sociaux comme des choses », ce qui sous-entend que les faits sociaux ne sont pas exactement des choses, mais ce qui permet néanmoins de transposer dansleur étude certaines méthodes qui ont amplement fait leurs preuves dans les sciences de la nature : découpage etrepérage des phénomènes à étudier, observation et analyse qui doivent mener à la formulation de lois déterminantles phénomènes.

Un tel programme méthodologique est évidemment obligé de renoncer à tout espoird'expérimentation : la sociologie ne peut qu'observer ce qui a lieu, ou attendre qu'autre chose ait lieu.

Quelle quesoit l'efficacité que lui attribue Durkheim, il oblige à souligner deux différences supplémentaires relativement auxsciences de la nature.La première concerne la position même du chercheur.

Le physicien fait bien partie du monde qu'il étudie, mais cen'est pas le monde dans son ensemble qu'il cherche à connaître : son approche se cantonne à un phénomène « local», qu'il peut considérer « objectivement » parce qu'il lui est totalement étranger.

Pour le sociologue, la situationn'est pas exactement équivalente : il fait partie du social, ce qui signifie aussi qu'il possède, en tant qu'individu, desvaleurs, qu'il est membre d'une classe, d'un groupe, d'une profession.

En d'autres termes, il ne bénéficie d'aucuneextériorité – ou d'une extériorité très partielle.

Son « objectivité » n'est pas celle du physicien (même si cettedernière n'est pas aussi absolue qu'on le pensait classiquement : on sait que certaines observations perturbent leschamps observés) et relève plutôt de l'honnêteté intellectuelle, de l'effort pour se dégager de sa propre mentalitéavant d'aborder un domaine d'étude.En second lieu, la science de la société risque, non seulement de dépendre idéologiquement de la société danslaquelle elle se développe, mais aussi d'avoir des conséquences, à court ou moyen terme, sur cette même société.L'existence de sociologues se réclamant du marxisme (quelle qu'en soit la version) ou qui lui sont au contrairehostiles suffit pour indiquer le mélange de science et d'idéologie que risque toujours d'être la sociologie (d'où ladiversité des résultats portant sur une même question, selon que l'étude est menée aux États-unis, en Russie ou enEurope...).Parce que la réalité sociale est faite à la fois de comportements collectifs et de conduites individuelles, la sociologiepeut aussi modifier ce qu'elle étudie.

Interroger une population sur ses choix politiques, ce peut être inviter unepartie de cette population, jusqu'alors indifférente, à choisir effectivement.

Porter à la connaissance du public lesdéterminismes qu'il peut subir, c'est modifier sa conscience et, peut-être, ses conduites.

On sait que telle est dumoins la position de Pierre Bourdieu « En énonçant les déterminants sociaux des pratiques [...] le sociologue donneles chances d'une certaine liberté par rapport à ces déterminants.

» Dans ce cas, on constate donc que lesociologue ne se contente pas d'analyser la réalité sociale : il prétend agir sur elle. [III.

Science et efficacité] Il n'a jamais été interdit à un scientifique de prétendre agir dans la société ou politiquement.

Mais lorsqu'unphysicien ou un biologiste signe une pétition ou, profitant de sa notoriété, fait connaître un engagement politique,c'est (ou ce devrait être) en tant qu'individu privé, car on ne voit pas que la physique ou la biologie donnent unecompétence sociopolitique particulière, ni qu'elles puissent agir directement sur la réalité sociale.

Tout autre peutêtre la position éventuelle du sociologue, puisque la connaissance de plus en plus précise des déterminants sociauxdonne en effet les moyens d'influer sur la réalité sociale (c'est bien pourquoi les organismes de publicité sont friandsde données sociologiques).

Dans le domaine de la société, la connaissance va de pair avec l'efficacité ou l'action.On dira peut-être que les sciences de la nature sont dans une situation équivalente.

Continuer à admettre qu'ellesse seraient développées par pur souci de comprendre le monde semble désormais assez naïf, et l'on admet plutôtque le savoir est étroitement lié au pouvoir sur la nature, jusqu'à évoquer l'existence d'un universtechnoscientifique, dont l'appellation suffit à indiquer que la science ne peut se prétendre étrangère à sesapplications techniques.

Il n'en reste pas moins que c'est dès ses débuts (chez Comte) que la sociologie estclairement tournée vers l'efficacité sociale : cette finalité fait en quelque sorte partie de sa définition, alors qu'ellen'est apparue que progressivement dans les sciences de la nature. [Conclusion] Il est possible de considérer que c'est précisément parce que les sciences de la nature avaient fait la preuve de leurefficacité que s'est formé au XIXe siècle le projet d'étudier à son tour l'homme de manière scientifique, dans lamesure où les transformations sociales en cours rendaient cette connaissance urgente en raison des problèmesqu'elles posaient (d'organisation du travail, de maintien des équilibres sociaux) – auxquels la philosophie, qui nes'était pas privée depuis Platon d'évoquer la société à sa manière, ne pouvait évidemment pas répondre.

Si lessciences de la nature impliquent que celle-ci soit exploitable ou transformable à satiété, il serait évidemmentfâcheux que la sociologie implique une conception équivalente de l'homme : on doit au moins se demander au profitde qui pourrait se faire une semblable exploitation ou transformation.... »

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