Devoir de Philosophie

Le naturel et le culturel

Publié le 13/01/2004

Extrait du document

S'affranchir de la pression de toute loi pour ne suivre que l'anarchie des penchants et des désirs, c'est le vrai bonheur, qui coïncide avec la vraie liberté. * L'homme libre se veut amoral : refusant de se soumettre à la contrainte du devoir, mais aussi refusant de voir en lui-même l'origine de la loi morale, il ne reconnaît comme s'appliquant à lui que la loi du bonheur maximum. La plus grande liberté, semble-t-il, est finalement la licence du tyran qui assouvit toutes ses passions contre tous les autres, s'assurant l'impunité totale que lui offre aux yeux de la justice et de la morale, selon Platon, l'anneau de Gygès qui rendait invisible. 2) Le libre arbitre.A - La mécanique du penchant.lu L'anarchie du penchant régnant sur la volonté, l'homme n'a de liberté qu'apparente. Le penchant, devenu passion exclusive, accapare toute l'action humaine, aux dépens de tout autre penchant ; sa logique est celle du toujours plus, et l'homme est finalement esclave de son désir unique, comme le meurtrier, obsédé par l'idée fixe du meurtre, vit un véritable enfer tant qu'il n'y a pas cédé, et vit le même enfer après y avoir cédé. * La loi des penchants est en somme une lutte permanente entre des penchants, qui n'a rien du choix d'un sultan entre deux plaisirs ; on ne peut à la fois se livrer totalement à sa gourmandise et s'y livrer tout au long d'une longue vie, l'un empêche l'autre, obligeant à un certain calcul des plaisirs, qui consiste ni plus ni moins en une limitation de la liberté du penchant. Le conflit des penchants est une suite nécessaire d'une telle liberté, et l'illimitation doit se limiter elle-même. * Le penchant, loin d'être issu du plus profond de nous-mêmes, est plutôt l'expression de l'emprise de la nature sur nous.

« 3.

LA LIBERTÉA - Le devoir de liberté.• Puisqu'agir, c'est agir sous l'empire d'une loi, loi morale ou loi de la nature, et qu'il nous faut agir, la liberté ne peut consister qu'en une action soumise à une loi qu'on se donne à soi-même.

Opposée à l'hétéronomie, l'autonomie est le fait dese donner cette loi ; plus que l'indépendance, simple négation de la détermination par autre chose, l'autonomie est de plus autodétermination.• Pour que rien ne m'attire vers telle ou telle action, il ne faut pas que ce soit l'objet même de mon vouloir qui soit déterminant, mais seulement la façon dont je le veux ; la seule loi d'autonomie est celle qui me détermine par simple respectpour la légalité de cette loi, et non par désir de l'existence de l'objet.

Comme la détermination par l'existence d'un objet est toujours le fait du penchant, c'est au contraire la loi morale, lorsqu'elle me détermine par sa seule légalité, et non parl'attraction de l'objet qu'elle me propose, qui est la seule loi d'autonomie, et donc la seule liberté. • « L'impulsion du seul appétit, dit Rousseau, est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté.

»On oppose communément la liberté à la loi.

Se soumettre à la loi, ce serait ne pas ou ne plus être libre.

Mais n'obéir à aucune loi, serait-ce être libre ? Mais il faut s'entendre sur le terme liberté et sur leterme loi..Il y a un premier sens du mot libre qui est négatif : être libre c'est ne pas être empêché de faire ce qu'on a envie de faire.

On emploie le terme libre dans ce sens à propos des choses comme à propos deshommes : retirer d'un chemin les arbres qui font obstruction, c'est libérer le passage, ne pas retenir un oiseau dans sa cage, c'est le laisser libre de s'envoler, ne pas empêcher quelqu'un de s'étendre sur legazon d'un jardin public, c'est le laisser libre de le faire.

Toute loi comporte des interdictions.

Dès lors toute loi réfrène la liberté, prise en ce sens négatif.

C'est le seul sens que Hobbes donne au mot liberté.Selon Hobbes, dans l'état de nature, chacun est empêché à tout moment, dans ses mouvements et ses entreprises, par autrui qui est virtuellement son ennemi.

Mais les lois d'un Etat - institué en vue justementde mettre fin à cet état de guerre qu'est l'état de nature - empêchent les individus de se nuire les uns aux autres.L'autre sens du mot liberté n'est réservé qu'à l'homme, et caractérise ce que Kant appelle l'autonomie : obéir, à la loi dont on est, en tant qu'être raisonnable, l'auteur, ou encore, obéir à sa propre raison.Obéir à sa raison, c'est être pleinement responsable de sa conduite.

Etre libre, c'est s'obliger soi-même à une conduite raisonnable, s'interdire certains débordements, en un mot c'est obéir à la loi qu'on s'estprescrite.La loi peut s'entendre ici dans un sens moral, comme dans un sens politique.

Autrement dit, les obligations auxquelles on se soumet volontairement et librement (alors qu'on subit bon gré malgré unecontrainte) sont morales, ou bien civiques.

C'est dans ce sens-ci d'obligation civique que Rousseau l'entend d'abord.

Rousseau dans le Contrat Social jette les bases d'un Etat dont les lois constituent desobligations et non des contraintes : car c'est le peuple souverain, plus exactement la volonté générale (selon la règle de la majorité) qui décide des lois.

Ainsi chacun d'entre nous, en tant que citoyen, estlibre parce qu'il se soumet aux lois dont il est l'auteur, en tant que membre de la volonté générale.L'obéissance au seul appétit est esclavage etl'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite estliberté.

(Du Contrat Social) La liberté ne consiste pas à suivre nos désirs.

Elle n'est pas dans l'absence de contraintes mais dansle libre choix des contraintes que l'on se donne à soi-même.

On peut appliquer cette idée au peuple.Un peuple libre est celui qui se donne à lui-même ses propres lois, ce qui définit la démocratie. Le même raisonnement qui fait qu'obéir à la loi morale n'est obéir qu'à soi-même fait qu'obéir à la loi civile est être libre.

La liberté politique, en effet, ne consiste pas à faire tout ce que l'on veut, selon quoi, à l'époque des Grecs, seul le roi desPerses était libre, mais à être citoyen d'une république, c'est-à-dire avoir le droit de poser les lois, et le devoir d'y obéir.B - Etre libre, être bon, être bien.• Suivre la loi morale n'est cependant pas renoncer à la satisfaction des penchants.

Hors des situations amorales, le choix pour une action bonne aux dépens du bien-être immédiat n'est qu'un report de l'accomplissement du désir ; ne pasaccomplir un désir immédiatement n'est pas y renoncer, et la moralité de la volonté est aussi, sans s'y réduire, un calcul plus fin des plaisirs.

Ainsi, si l'action n'est pas accomplie par penchant, elle ne l'est pas contre le penchant.• La liberté du devoir n'est donc pas une liberté d'ascète ; la culture de la volonté, issue de la révélation d'un libre arbitre en moi, et de la découverte du conflit des penchants, aboutit au comportement moral.

Agir le plus conformément audevoir, c'est s'assurer le maximum de plaisirs possibles, et le plus grand bien-être.• Loin donc de coïncider avec le bonheur immédiat défini dans la première partie de notre réflexion, la liberté coïncide avec un bonheur réfléchi, calculé, soucieux de son avenir.

Le bonheur moral qui en découle est la liberté authentique, quiinclut aussi bien un projet de libération de l'individu, passage de l'ordre de la nature à l'ordre de la culture, qu'un projet de libération politique, passage d'une société où tous obéissent à un seul, à une société, selon la formule de Rousseau, « oùchacun s'unissant à tous n'obéit pourtant qu'à lui-même », comme ce fut le cas des anciens Spartiates.

« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. » Or, comment créer des lois et n'obéir à personne ? La réponse de Rousseau est apparemment simple : « Le peuple soumis aux lois doit en être l'auteur. » Chaque individu promet d'obéir à la « volonté générale ».

La « volonté générale » est ce qu'il y a de commun dans toutes les volontés.

Par exemple, au moment où un groupe d'individus veut s'associer, il existe en chacun de ses futurs membres une volonté commune : créer cette association, quelles que soient par ailleurs leurs volontés particulières et différentes, singulières.

En promettant d'obéir à la « volonté générale », je ne promets en fait que d'obéir à moi-même, qu'à une partie de ma volonté, qui se trouve coïncider avec celle des autres.

Sans doute, en obéissant à la « volonté générale », ne réaliserai-je pas toutes mes volontés, je ne satisferai pas tous mes intérêts.

Mais je me réaliserai que ce que je veux, que mes intérêts.

En aucun cas je ne serai soumis à la volonté d'un autre.

Bref, je resterai libre.« Tant que les sujets ne sont soumis qu'à de telles conventions, ils n'obéissent à personne, mais seulement à leur propre volonté.

» En obéissant à la loi, qui n'est qu'une déclaration de la « volonté générale », je perds ma liberté naturelle de faire tout ce que je veux ou plus précisément tout ce que je peux , étant donné la force des autres qui peuvent s'opposer à mes projets. Mais je gagne précisément une liberté politique, qui me permet à la fois de n'obéir qu'à moi-même (puisque je peux me considérer comme l'auteur de la volonté générale, qui est une partie de MA volonté), et ne pas subir la volonté d'un autre(plus fort, plus rusé, plus riche).Rousseau « On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté.

Ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement.

Quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas unÉtat libre.

La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre.

Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c'est obéir.

(...)Dans la liberté commune nul n'a le droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructrice d'elle-même.

Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prennetout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de nature, l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous.

Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefset non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit pas aux hommes.

» De plus, il y a fort à parier que les lois seront justes, puisque ceux qui les font doivent les subir ; chaque membre de l'Etat est à la fois et législateur et sujet.

Son propre intérêt lui commande donc de faire des lois judicieuses, puisqu'il en subirales conséquences.

Ainsi, l'égoïsme naturel se voit servir l'intérêt commun.On comprend alors la fort belle formule de Rousseau : « L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. » La liberté n'est pas le caprice, mais le respect des lois que l'on se donne à soi-même et qui nous préservent de subir le caprice d'autrui. « Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et en donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant.

» Rousseau, Ducontrat social, 1762.

« La culture n'est ni simplement juxtaposée, ni simplement superposée à la vie.

En un sens, elle se substitue à la vie, en un autre elle l'utilise et la transforme, pour réaliser une synthèse d'un ordre nouveau.

» Lévi-Strauss, Les Structuresélémentaires de la parenté, 1949.

« Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table.

» Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945.

« La prohibition de l'inceste présente, sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les deux caractères où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs [culture et naturel : elle constitue une règle, maisune règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d'universalité.

» Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1949. Si l'on admet, avec Lévi-Strauss, que la règle constitue le critère indiscutable de la culture et que, symétriquement, l'universalité est le signe de la nature, la prohibition de l'inceste, en tant qu'il s'agit d'une règle universellement observée,constitue une sorte de « scandale ».

« Tout mariage est une rencontre dramatique entre la nature et la culture, entre l'alliance et la parenté.

»Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, 1949.

« A partir du moment où je m'interdis l'usage d'une femme, qui devient ainsi disponible pour un autre homme, il y a, quelque part, un homme qui renonce à une femme quidevient, de ce fait, disponible pour moi.

[...] La prohibitionn'est instaurée que pour garantir et fonder, directement ouindirectement, immédiatement ou médiatement, un échange.

» Lévi-Strauss, Les Structures élémentairesde la parenté, 1949.

« Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait "naturels" et un monde culturel ou spirituel fabriqué.

Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme.

» Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945.

« Voulez-vous savoir l'histoire abrégée de presque toute notre misère? La voici.

Il existait un homme naturel : on a introduit au-dedans de cet homme un homme artificiel; et il s'est élevé dans la caverne une guerre continuelle qui dure toutela vie.

» Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, 1796 (posth.). »

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