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NIETZSCHE: Cause et effet

Publié le 27/02/2008

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nietzsche
Cause et effet. - Nous appelons « explication » ce qui nous distingue des degrés de connaissance et de science plus anciens, mais ceci n'est que « description ». Nous décrivons mieux, - nous expliquons tout aussi peu que tous nos prédécesseurs. Nous avons découvert de multiples successions, là où l'homme naïf et le savant de civilisations plus anciennes ne voyaient que deux choses : ainsi que l'on dit généralement, la « cause » et l' « effet » ; nous avons perfectionné l'image du devenir, mais nous ne sommes pas allés au delà de cette image, ni derrière. La suite des « causes » se présente en tous les cas plus complète devant nous ; nous déduisons : il faut que telle ou telle chose ait précédé pour que telle autre suive,-mais par cela nous n'avons rien compris. La qualité par exemple, dans chaque processus chimique, apparaît, avant comme après, comme un « miracle », de même tout mouvement continu ; personne n'a « expliqué » le choc. D'ailleurs, comment saurions-nous expliquer ! Nous ne faisons qu'opérer avec des choses qui n'existent pas, avec des lignes, des surfaces, des corps, des atomes, des temps divisibles, des espaces divisibles, - comment une explication saurait-elle être possible, si, de toute chose, nous faisons d'abord une image, notre image ? Il suffit de considérer la science comme une humanisation des choses, aussi fidèle que possible ; nous apprenons à nous décrire nous-mêmes toujours plus exactement, en décrivant les choses et leur succession. Cause et effet : voilà une dualité comme il n'en existe probablement jamais, - en réalité nous avons devant nous une continuité' dont nous isolons quelques parties ; de même que nous ne percevons jamais un mouvement que comme une série de points isolés, en réalité nous ne le voyons donc pas, nous l'inférons. La soudaineté que mettent certains effets à se détacher nous induit en erreur ; cependant cette soudaineté n'existe que pour nous. Dans cette seconde de soudaineté il y a une infinité de phénomènes qui nous échappent. Un intellect qui verrait cause et effet comme une continuité et non, à notre façon, comme un morcellement arbitraire, qui verrait le flot des événements, - nierait l'idée de cause et d'effet et de toute conditionnalité.NIETZSCHE

Dans ce texte, Nietzsche propose une forme de psychologie de la science et de l’esprit humain qui cherche à connaître les choses, sous la forme d’une description historique et critique du fonctionnement de l’intellect, et dans le cadre d’une définition, elle aussi critique, des concepts de cause et d’effet. Ces concepts de cause et d’effet sont le point de départ du texte, mais le texte a une portée qui les dépasse largement, puisqu’il propose une interprétation générale du phénomène de la connaissance humaine : il faudra donc insister sur cette portée du texte, qui se révèle plus importante que son objet de départ.

On peut distinguer trois moments dans le texte. Le premier, qui va du début à « personne n'a « expliqué « le choc «, est consacré à une critique de la notion d’explication par la cause et l’effet. On voit d’emblée, donc, que les notions de cause et d’effet servent au travail d’une question plus vaste, ici la question des prétentions et des insuffisances de l’explication. La notion d’explication, qui enchaîne des causes et des effets, se révèle être en réalité une simple description : il faut prendre la mesure de cette affirmation de Nietzsche du point de vue des prétentions de la science elle-même ; ici la base même de cette science se trouve totalement dévaluée.

 

nietzsche

« Il faudra expliquer ce texte en ayant le souci à la fois d'interroger la démarche particulière de Nietzsche – il part eneffet de deux concepts limités, cause et effet, pour finalement décrire très largement la psychologie de l'homme quicherche à connaître le réel, et critiquer cette psychologie scientifique en en montrant les erreurs – et de mettre envaleur la portée critique du texte – puisque celui-ci contient les bases d'une invalidation complète de la pratiquescientifique. Pistes pour une perspective critique Nietzsche semble proposer une épistémologie psychologique, c'est-à-dire qu'il éclaire le fonctionnement desprocessus de la connaissance humaine par une prise en compte du fonctionnement mental de l'homme. La conclusion à laquelle il arrive dans ce texte peut être rapprochée de l'approche bergsonienne du mouvement etde sa perception par l'homme : Bergson « Considérons le mouvement dans l'espace.

Je puis, tout le long de ce mouvement, me représenter des arrêtsimpossibles : c'est ce que j'appelle les positions du mobile ou les points par lesquels le mobile passe.

Mais avec lespositions, fussent-elles en nombre infini, je ne ferai pas du mouvement.

Elles ne sont pas des parties dumouvement ; elles sont autant de vues prises sur lui ; elles ne sont, pourrait-on dire, que des suppositions d'arrêt.Jamais le mobile n'est réellement en aucun des points ; tout au plus peut-on dire qu'il y passe.

Mais le passage, quiest un mouvement, n'a rien de commun avec un arrêt, qui est immobilité.

Un mouvement ne saurait se poser sur uneimmobilité, car il coïnciderait alors avec elle, ce qui serait contradictoire.

Les points ne sont pas dans le mouvement,comme des parties, ni même sous le mouvement, comme des lieux du mobile.

Ils sont simplement projetés par nousau-dessous du mouvement, comme autant de lieux où serait, s'il s'arrêtait, un mobile qui par hypothèse ne s'arrêtepas.

Ce ne sont donc pas, à proprement parler, des positions, mais des suppositions, des vues ou des points de vuede l'esprit.

» Un rapprochement ente Nietzsche et Bergson permettrait de poser la question plus générale du rapport de l'hommeau monde, et de la validité du rapport de connaissance qu'il cherche à avoir avec lui : par ce rapport l'hommeentend en effet connaître la réalité des choses de la manière la plus fidèle possible, mais il semble en fait qu'ilprojette sur cette réalité des concepts déformants – celui de cause et d'effet par exemple – parce que son rapportau monde est faussé pour différentes raisons – la piste proposée par Bergson à ce sujet est que l'homme entretientavec le monde un rapport utilitaire, et qu'il applique donc sur le monde des concepts qui lui permettent d'utiliser aumieux ce monde, et non de le contempler.. »

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