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Nietzsche: Notre serenite

Publié le 23/04/2005

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nietzsche
Notre sérénité. - Le plus grand des événements récents - la "mort de Dieu", le fait, autrement dit, que la foi dans le Dieu chrétien a été dépouillée de sa plausibilité - commence déjà à jeter ses premières ombres sur l'Europe. Peu de gens, il est vrai, ont la vue assez bonne, la suspicion assez avertie pour percevoir un tel spectacle; du moins semble-t-il à ceux-ci qu'un Soleil vient de se coucher, qu'une ancienne et profonde confiance est devenue doute : notre vieux monde leur paraît fatalement tous les jours plus crépusculaire, plus soupçonneux, plus étranger, plus périmé. Mais, d'une façon générale, on peut dire que l'événement est beaucoup trop grand, trop lointain, trop en dehors des conceptions de la foule pour qu'on ait le droit de considérer que la nouvelle de ce fait - je dis simplement la nouvelle -, soit parvenue aux esprits; pour qu'on ait le droit de penser à plus forte raison, que beaucoup de gens se rendent déjà un compte précis de ce qui a eu lieu et de tout ce qui va s'effondrer maintenant que se trouve minée cette foi qui était la base, l'appui, le sol nourricier de tant de choses : toute la morale européenne entre autres détails. Nous devons désormais nous attendre à une longue suite, à une longue abondance de démolition, de destruction, de ruines et de bouleversements : qui pourrait en deviner assez dès aujourd'hui pour enseigner cette énorme logique, devenir le prophète de ces immenses terreurs, de ces ténèbres, de cette éclipse de soleil que la terre n'a sans doute encore jamais connue? [...] Nous-mêmes, déchiffreurs d'énigmes, nous, devins nés, qui attendons pour ainsi dire au haut des monts, placés entre hier et demain, et contradictoirement attelés entre les deux, nous premiers nés, prématurés du siècle à venir, qui devrions avoir perçu les ombres dont va bientôt s'envelopper l'Europe, d'où vient-il que nous attendions la montée de cette marée noire sans un intérêt véritable, surtout sans crainte et sans souci pour nous? Serait-ce que nous serions encore trop dominés par l'influence des premières conséquences de cet événement ? Car ces premières conséquences, celles qu'il a eues pour nous autres, n'ont rien de noir ni de déprimant, contrairement à ce qu'on pouvait attendre; elles apparaissent tout au contraire comme une nouvelle espèce, difficile à décrire, de lumière, de bonheur, d'allégement, une façon de sérénité, d'encouragement et d'aurore. De fait, nous autres philosophes, nous autres «esprits libres», en apprenant que « l'ancien Dieu est mort», nous nous sentons illuminés comme par une nouvelle aurore; notre coeur, à cette nouvelle, déborde de gratitude, d'étonnement, de pressentiment et d'attente; voilà qu'enfin, même s'il n'est pas clair, l'horizon, de nouveau, semble libre, voilà qu'enfin nos vaisseaux peuvent repartir, et voyager au devant de tout péril; toute tentative est de nouveau permise au pionnier de la connaissance; la mer, notre mer, de nouveau, nous ouvre toutes ses étendues; peut-être même n'y eut-il jamais si « pleine» mer. Nietzsche
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« en Dieu : par 'là seulement nous sauvons le monde».

Ce qui importe à Nietzsche, c'est donc moins d'apporterune critique en forme de la morale et de la religion que de montrer que cet « autre monde », créé par elles,et en particulier par «les deux religions universelles, le bouddhisme et le christianisme» est synonyme dunon-être, du non-vivre, de la volonté de ne pas vivre».

Par elles, «les instincts de décadence se sontrendus maîtres des instincts de l'épanouissement »9.

Face à cette volonté du néant, doit se dresser une«liberté du vouloir», à la faveur de laquelle «l'esprit congédierait toute croyance, tout désir de certitude[...].

Pareil esprit serait le libre esprit par excellence».Cette liberté du vouloir, c'est ce que Nietzsche appelle la volonté de puissance, qui « est l'essence la plusintime de notre être ».Quelle sera l'oeuvre de la volonté de puissance? L'« immoralisme » de Nietzsche, ce sera positivement lamorale du surhomme. Qu'est-ce que le Surhomme ? Le Surhomme est une forme d'humanité supérieure qui laisse parler en lui la totalité des instincts, etprécisément ceux-là mêmes que la Culture christianisée a étouffés parce qu'ils étaient des formes de lavolonté de puissance, « ce qu'il y a de pire » en l'homme : égoïsme, instinct de domination, sexualité.

Mais ilconvient ici de souligner un point important.

L'homme est de toute façon un être de culture.

Il n'est donc enaucun cas possible de retourner au moment où les Barbares étaient encore indemnes des effets de lavolonté de puissance de leurs esclaves, moment fondateur de la culture.

Les instincts doivent être libéréspour être spiritualisés : « L'homme supérieur serait celui qui aurait la plus grande multiplicité d'instincts, aussiintenses qu'on peut les tolérer.

En effet, où la plante humaine se montre vigoureuse, on trouve les instinctspuissamment en lutte les uns contre les autres...

mais dominés.

» Ce surhomme parvient à la connaissancevéridique de l'humanité, qui est la connaissance « tragique » qui a été décrite précédemment.

Il se réalisedans les seules issues que Nietzsche a réservées : celle de l'art, qui est une fiction connue comme telle, oucelle de la connaissance intellectuelle.

Il réalise ainsi le sens de l'humanité même, car il est celui qui adhère àla doctrine de l'Éternel Retour et qui donc est le sommet de la volonté de puissance. «Hommes supérieurs, maintenant seulement la montagne de l'avenir va enfanter.

Dieu est mort : maintenantnous voulons que le Surhumain vive ».

Dans le poème de Zarathoustra, il n'est guère contestable que lesurhomme doit être un individu doué de pouvoirs surhumains.

« Je vous enseigne le Surhumain.

L'hommen'existe que pour être dépassé.

» Le surhomme sera à l'homme ce que l'homme est au singe.

«L'homme estune corde tendue entre la bête et le Surhumain — la grandeur de l'homme, c'est qu'il est un pont et non unterme ».

Ultérieurement, ce lyrisme prophétique semble n'avoir plus qu'une signification symbolique, celled'imaginer un type supérieur, quelque chose qui «par rapport à l'humanité tout entière constitue une espèced'hommes surhumains ».

Pour cela, il faudra « sélectionner une caste dominante — celle des futurs maîtresde la terre, car il faudra préparer un renversement des valeurs pour une race humaine vigoureuse et biendéfinie».

Ces maîtres «préparés et prédestinés à commander» seront les chefs.

«Toute élévation du typehumain a toujours été et sera toujours l'oeuvre d'une société aristocratique », qui saura sacrifier le grandnombre au petit nombre, et c'est en ce sens que Nietzsche déclare : « Non, nous n'aimons pas l'humanité ».Il faut proscrire toute compassion, toute pitié, et «interdire toute faiblesse sentimentale : vivre, c'estdépouiller, blesser, violenter le faible et l'étranger, l'opprimer».

Il faut, à tout le moins, l'exploiter, car«l'exploitation n'est pas le fait d'une société corrompue, imparfaite ou primitive, c'est la fonction organiqueprimordiale, une conséquence de la volonté de puissance proprement dite, qui est la volonté même de la vie».Telle est «l'aurore» que Nietzsche voit luire à l'horizon.

«Voici venir les nouveaux Barbares : les cyniques, lesséducteurs, les conquérants, qui uniront à la supériorité intellectuelle la santé et la surabondance desénergies ».

Mais c'est sans doute dans la Généalogie de la morale que Nietzsche a poussé au-delà deslimites de l'imaginable sa magnification brutale de la morale aristocratique.

Les «aristocrates », s'ils sontrespectueux de leurs pairs, se déchaînent à l'égard des autres et «se dédommagent dans la sauvagerie detoutes les tensions que leur ont longuement imposées les limites et les barrières de la tranquillité sociale, ilsretournent à la conscience innocente de la bête de proie, comme des monstres allègres, qui reviennentpeut-être d'une suite atroce de meurtres, d'incendies, de viols, de tortures, pleins de joie et l'âme enéquilibre au retour d'une frasque d'étudiant [...].

Au fond de toutes ces races supérieures il ne faut pasméconnaître la bête de proie qui rôde, magnifique, à la recherche de la victoire et du butin, la brute blonde».Nietzsche aboutit, on le voit, à un individualisme forcené.

Selon l'idéal nietzschéen, «à l'endroit où l'arbremûrit ses fruits », nous trouvons «l'individu souverain, l'individu qui n'est semblable qu'à lui-même, l'individuaffranchi de la moralité des moeurs [...], celui qui possède en lui-même la conscience fière et vibrante de cequ'il a enfin atteint par là, de ce qui s'est incorporé en lui, une véritable conscience de la liberté et de lapuissance, enfin le sentiment d'être arrivé à la perfection de l'homme ».. »

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