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Nietzsche: Travaille-t-on uniquement pour survivre ?

Publié le 14/03/2006

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nietzsche
Dans les pays civilisés presque tous les hommes maintenant sont égaux en ceci qu'ils cherchent du travail en vue du salaire ; pour eux tous, le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant. Or il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler sans que le travail leur procure de la joie : ils sont minutieux et difficiles à satisfaire, ils ne se contentent pas d'un gain abondant, lorsque le travail n'est pas lui-même le gain de tous les gains. De cette espèce d'hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toute espèce, mais aussi ces désoeuvrés qui consacrent leur vie à la chasse, aux voyages ou bien aux intrigues d'amour et aux aventures. Tous ceux-là cherchent le travail et la peine lorsqu'ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, si cela est nécessaire. Mais autrement ils sont d'une paresse décidée, quand même cette paresse devrait entraîner l'appauvrissement, le déshonneur, des dangers pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas pour autant l'ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d'ennui pour que leur propre travail puisse leur réussir. Pour le penseur et pour tous les esprits inventifs l'ennui est ce désagréable calme plat de l'âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l'effet à part eux : c'est cela précisément que les natures moindres n'arrivent absolument pas à obtenir d'elles-mêmes ! Chasser l'ennui de n'importe quelle façon est aussi vulgaire que travailler sans plaisir. Les Asiatiques se distinguent peut-être en cela des Européens qu'ils sont capables d'un repos plus long et plus profond que ceux-ci [...].

Pour Nietzsche, le refus d’un travail sans passion ni intérêt, la recherche de l’oisiveté et l’acceptation de l’ennui sont les éléments permettant la réflexion et la création, et les critères distinguant les âmes supérieures.

C’est à une inversion des valeurs qu’il procède ici, la société judéo-chrétienne mettant l’accent sur la valeur que représentent le travail et l’effort. Or pour Nietzsche, cette conception est appauvrissante et abêtissante.

 

 

I – Deux conceptions du travail

 

Dans les pays civilisés presque tous les hommes maintenant sont égaux en ceci qu'ils cherchent du travail en vue du salaire ; pour eux tous, le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant.

 

• C’est une conception communément admise du travail que Nietzsche décrit ici, avec ironie. L’égalité dont il est question n’est pas une égalité politique, source de liberté, mais une égalité dans la médiocrité et source d’asservissement.

• Dans cette conception, le seul but du travail est de survivre (le gain qui permet de se nourrir). Il est ni créatif ni récréatif, n’apporte rien d’autre au travailleur que de l’argent. Il s’agit bien de survivre et non de vivre, si l’on considère que « vivre « comporte une part de réjouissance, de réflexion et de création.

 

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« lui-même le gain de tous les gains. • A l'opposée de cette conception, celle des « hommes rares » : le travail ne doit jamais être seulement un moyen(pour survivre) mais également un but en soi.

Le travail est lui-même un gain, c'est-à-dire qu'il est source de joie. • Ainsi, si le travail doit nourrir, ce n'est pas uniquement l'estomac : il nourrit l'âme et l'intellect pour ces « hommesrares ». • Il ne faut pas négliger la vision aristocratique de Nietzsche : cette petite élite se distingue par sa noblesse – nonpas au sens monarchique du terme, mais une noblesse d'âme qui implique une élévation, un degré supérieurd'humanité.

Leur rareté même le souligne. C'est ce que l'on peut discuter ici.

Cette vision idéale du travail comme source de joie n'est-elle pas possibleuniquement si elle ne concerne qu'un petit nombre de personnes ? Ne nécessite-t-elle pas une majorité detravailleurs sans passion pour effectuer les tâches nécessaires à la bonne marche de la société, et donc à la surviedes « hommes rares » ? Ce qui scinde définitivement le monde du travail en deux catégories et condamne lestravailleurs sans passion à le rester. II – La recherche du plaisir ? De cette espèce d'hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toute espèce, mais aussi cesdésoeuvrés qui consacrent leur vie à la chasse, aux voyages ou bien aux intrigues d'amour et aux aventures.

Tousceux-là cherchent le travail et la peine lorsqu'ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, sicela est nécessaire. • Artistes et désoeuvrés sont mis sur le même plan.

Artistes et contemplatifs ont une forme de production :créations artistiques, intellectuelles … Mais si les désoeuvrés entrent également dans cette catégorie, c'est qu'ilsfont de leur vie une création.

Leurs buts, quels qu'ils soient (chasse, voyage, amour, aventures) sont autant decréations qui embellissent leur vie au même titre qu'une œuvre d'art. • Cette oisiveté n'est pas pour autant lâcheté.

Ce n'est pas la peine ni l'effort que fuient ces « hommes rares » maisl'absence d'intérêt, de plaisir et de passion.

Au contraire, l'effort peut être l'épreuve à traverser qui sera le gaged'une création plus belle ou d'un plaisir plus intense. à Il y a évidemment pour Nietzsche une hiérarchie dans ces deux conceptions du travail, la seconde dépassant deloin la première.

Cependant, on peut s'interroger sur la définition du travail, sur sa nature.

N'est-ce pas justementl'essence du travail – dont l'étymologie rappelle son lien avec la douleur – que d'être un effort permettant desurvivre ? La présence du plaisir et de la joie, ainsi que la possibilité de choisir, en feraient une passion plutôt qu'untravail.

Ce n'est donc peut-être pas deux conceptions du travail qu'expose Nietzsche ; mais une critique du travailet un éloge de la liberté des désoeuvrés. Mais autrement ils sont d'une paresse décidée, quand même cette paresse devrait entraîner l'appauvrissement, ledéshonneur, des dangers pour la santé et pour la vie. • Cette « paresse décidée » implique qu'il s'agit-là d'un choix de vie et non d'une faiblesse de la volonté.

Un choixd'autant plus fort qu'il brave les conséquences sans doutes périlleuses : les hommes qui font ce choix acceptent dese retrancher de la société, dans la mesure où ils ne vivent pas de la même manière que les autres hommes. • Cette paresse n'est pas un refus du travail et de la peine, mais refus de l'absence de plaisir et de joie, refus de cequi est morne, et choix de « vivre » plutôt que de seulement « survivre ». III – Éloge de la paresse et de l'ennui Ils ne craignent pas autant l'ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d'ennui pour que leurpropre travail puisse leur réussir.

Pour le penseur et pour tous les esprits inventifs l'ennui est ce désagréable calmeplat de l'âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l'effet àpart eux : c'est cela précisément que les natures moindres n'arrivent absolument pas à obtenir d'elles-mêmes !Chasser l'ennui de n'importe quelle façon est aussi vulgaire que travailler sans plaisir.

Les Asiatiques se distinguentpeut-être en cela des Européens qu'ils sont capables d'un repos plus long et plus profond que ceux-ci . • Nietzsche va plus loin dans le retournement des valeurs : l'ennui devient un état positif et même souhaitable.

S'ilfaut l'ennui pour que le travail inventif puisse prendre son envol, c'est que cet état implique une posture d'attenteet d'ouverture, propice à la création et à la réflexion ; par opposition au labeur qui détourne de la pensée.

DansAurore , Nietzsche écrit ainsi : « Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, il retire cette force à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l'amour et à la haine, il place toujours devantles yeux un but mesquin et accorde des satisfactions faciles et régulières .

» ( Aurore , p191, Mercure de France) • Or les « natures moindres » ne savent pas tirer partie de l'ennui et le chassent comme quelque chose dedésagréable et de pesant.

On peut retrouver ici, quoi que dans une perspective éthique différente, la notionpascalienne du divertissement : « chasser l'ennui de n'importe quelle façon », c'est chercher le divertissement, cequi nous détourne de nous-même et de la réflexion.

Si au contraire on se confronte à l'ennui et à l'attente, on ouvre. »

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