L'oeuvre de Melville
Publié le 22/04/2012
Extrait du document
TYPEE (1846)
OMOO (1847)
MARDI ( 1849)
REDBURN (1849)
WHITE JACKET (1850)
MOBY DICK OU LA BALEINE BLANCHE (1851)
PIERRE OU LES AMBIGUÏTÉS (1852)
ISRAEL POTTER, SES CINQUANTE ANNÉES D'EXIL (1855)
CONTES DE LA VERANDAH
(BARTLEBY L'ÉCRIVAIN
BENITO CERENO
LES ILES ENCHANTÉES) (1856)
LA TABLE DE POMMIER (1856)
L'HOMME DE CONFIANCE (1857)
POÈMES DE GUERRE (1866)
CLAREL, POÈME ET PÈLERINAGE EN TERRE SAINTE (1876)
JOHN MARR ET AUTRES MARINS (Poèmes, 1888)
TIMOLÉON ET AUTRES POÈMES (1891)
BILLY BUDD, GABIER DE MISAINE (1891)
«
11elville recommencera dans Pierre ou les Ambiguïtés, chef-d'œuvre manqué, à peindre la quête
du génie et du malheur dont il consacrera l'échec ricanant au cours du long voyage sur le Missis·
si pi
qui fait le sujet de l'Homme de confiance.
Ce livre sans cesse réécrit, cette inlassable pérégrination dans l'archipel des songes et des
corps, sur l'océan «où chaque vague est une âme», cette odyssée sous un ciel vide, font de Melville
l'Homère du Pacifique.
Mais il faut ajouter aussitôt qu'Ulysse avec lui ne retrouve jamais Ithaque.
La patrie où Melville aborde aux portes de la mort et qu'il immortalise dans Billy Budd est une
île déserte.
En laissant condamner à mort le jeune matelot, figure de beauté et d'innocence, qu'il
aime tendrement, le commandant Vere soumet son cœur à la loi.
Et dans le même temps, par ce
récit sans faille
qu'on peut placer au rang des tragédies antiques, le vieux Melville nous annonce
qu'il accepte, pour la première fois, que soient tuées l'innocence et la beauté afin qu'un ordre soit
maintenu et que le navire des hommes continue d'avancer vers un horizon inconnu.
A-t-il alors
obtenu vraiment la paix et la demeure définitive dont il disait pourtant qu'elle ne se trouvait pas
dans l'archipel Mardi? Ou s'agit-il au contraire de ce naufrage derni~r que Melville, désespéré,
demandait aux dieux? «On ne peut blasphémer et vivre», s'était-il écrié.
Au sommet du consen·
tement, Billy Budd n'est-il pas le plus haut blasphème? Nul ne pourrait le dire et si Melville à ce
moment a vraiment consenti à un ordre terrible ou si, à la poursuite de l'esprit, il s'est laissé con·
duire comme il l'avait demandé « au-delà des récifs, dans des mers sans soleil, dans la nuit et la
mort ».
Mais nul en tout cas, mesurant la longue angoisse qui court dans sa vie et son œuvre, ne
manquera de saluer la grandeur, plus déchirée encore d'être conquise sur soi-même, de la réponse.
Mais ceci, qui devait être indiqué, ne doit égarer personne sur le vrai génie de Melville et
sur la souveraineté de son art.
La santé, la force, un humour jaillissant, le rire de l'homme y éclatent.
Il n'a pas ouvert la boutique de sombres allégories qui enchantent aujourd'hui la triste Europe.
En tant que créateur, il est par exemple aux antipodes de Kafka dont il fait sentir les limites
artistiques.
Chez Kafka, l'expérience spirituelle, pourtant irremplaçable, déborde l'expression et
l'invention qui restent monotones.
Chez Melville, elle s'équilibre à elles et y trouve constamment
son sang et sa chair.
Comme les plus grands artistes, Melville a construit ses symboles sur le concret,
non dans le matériau du rêve.
Le créateur de mythes ne participe au génie que dans la mesure où
il les inscrit dans l'épaisseur de la réalité et non dans les nuées fugitives de l'imagination.
Chez
Kafka, la réalité qu'il décrit est suscitée par le symbole, le fait découle de l'image, chez Melville
le symbole sort
de la réalité, l'image naît de la perception.
C'est pourquoi Melville ne s'est
jamais séparé de la éhair ni de la nature, obscurcies dans l'œuvre kafkéenne.
Le lyrisme de Melville,
qui fait penser à celui de Shakespeare, se sert au contraire des quatre éléments.
Il mêle la Bible
et la mer, la musique des flots et des sphères, la poésie des jours et une grandeur atlantique.
Il est
inépuisable
comme ces vents qui courent les océans déserts pendant des milliers de kilomètres et,
arrivés
à la côte, trouvent encore la force de raser des villages entiers.
Il souffle, comme la démence
de Lear, au-dessus des mers sauvages où se tapit Moby Dick et l'esprit du mal.
Quand la tempête
est passée, et la destruction totale, voici l'étrange apaisement qui monte des eaux primitives, la
pitié silencieuse qui transfigure les tragédies.
Au-dessus
de l'équipage muet, le corps parfait de
Billy Budd tourne alors doucement au bout de sa corde dans la lumière grise et rose du jour
qui grandit.
T.
E.
LAWRENCE plaçait Moby Dick à côté des Possédés ou de Guerre et Paix.
On peut y joindre
sans hésiter Billy Budd, Mardi, Benito Cereno et quelques autres.
Ces livres déchirants, où la créature
est accablée mais où la vie, à toutes les pages, est exaltée, sont des sources inépuisables de force et
de pitié.
On y trouve la révolte et le consentement, l'amour indomptable et sans terme, la passion
et la beauté, le langage le plus haut, le génie enfin.
« Pour perpétuer son nom, disait Melville, il
faut le sculpter
sur une lourde pierre et le couler au fond de la mer : les abîmes durent plus que les
sommets.
»Les abîmes ont en effet leur vertu douloureuse, comme eut la sienne l'inju.ste silence où
vécut et mourut Melville, et le vieil océan qu'il laboura sans relâche.
De ces ténèbres incessantes,
il tira
au jour ses œuvres, visages d'écume et de nuit, sculptés par les eaux, et dont la royauté mysté
rieuse
commence à peine de rayonner sur nous qu'elle nous aide déjà à sortir sans effort de notre
continent d'ombres, pour aller enfin vers la mer, la lumière et son secret..
»
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