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Les passions décident-elles de leur objet ?

Publié le 03/02/2004

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Cette description banale de la passion montre l'évident pouvoir de décision de la passion : qu'est-ce qui pourrait justement mettre en question cette évidence ?Le fragment de morale sexuelle permet d'extraire justement ce qui est en jeu dans le moment de la décision ; il n'y aurait pas questionnement si la passion décidait seule du comportement. Il y entre de la raison qui dicte une attitude « sage « de « continence «, (conséquence du nombre d'enfants et du petit laps de temps qui sépare leur naissance) prescrit la « résistance « au plaisir, aménageant ainsi des « possibles «. C'est donc le rapport de forces entre la passion et la raison qui met en question le poids décisif du passionnel. Rien n'empêche d'envisager que la raison soit décisive en ce qui concerne « l'objet « même de la passion : la figure du « mari « qui « résiste bien « en témoigne suffisamment. Mais c'est aussi dans la logique de la passion que le questionnement fait irruption ; c'est par passion à l'égard de la raison que la passion au travail dans les « affections « est remise en question.Plus radicalement, le nerf du problème consiste dans l'acte de décision au moment de la passion : car si, dans son concept, la décision implique nécessairement de trancher pour faire choix, cette coupure se fait selon certains principes. Or ces derniers sont moins prépondérants lorsque la passion intervient ; et le problème consiste à prendre la mesure de cette intervention.

I. « Décider de son objet « : l'autocontradiction de la passion

« avec notre sensibilité, c'est dans la mesure où elle en est la colonne vertébrale.

Autrement dit, la passion est uneexigence à travers laquelle le passionné s'accomplit.

Pour « décider de son objet », la passion le transfigure,l'élevant au-dessus de soi.

En ce sens, la passion est bel et bien décisive : elle engage la totalité d'une existence,elle est le choix d'une vie, et non pas seulement choix d'un moment de vie dans le répertoire d'une existence. C.

L'intérêt, vécu décisif de la passionCette transfiguration doit être d'autant plus notée qu'elle éclaire le rapport à soi du passionné : il ne se sent pas «objet », ni même déplacé au regard de soi-même.

Bien au contraire, il se sent dynamisé, comme transporté par uneforce qui l'amène à vivre et à penser autrement.

Le passionné a la force de soulever des montagnes, il traverseraitle monde pour retrouver la personne aimée : ce sont là les preuves mêmes de la passion, dont il ne se sent pasl'objet : comme Hegel le souligne, il « met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère au service de [ses]buts en leur sacrifiant tout ce qui pourrait être un autre but, ou plutôt en leur sacrifiant tout le reste.

[...]L'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentredans ce but ses forces et tous ses besoins ».

Comment comprendre cette distance entre l'objectivation opérée parla passion et le vécu de cette passion, où l'individu s'accomplit justement comme sujet ? Hegel réduit cette distanceen insistant sur l'intérêt comme vécu de la passion au niveau individuel ; lorsque la passion décide de son objet, cetobjet devient sujet par l'intérêt qu'il éprouve.

L'intérêt définit l'implication, dont quelque supplément (bénéfice,profit, plénitude, etc.) est attendu selon deux modalités ; soit c'est intéressé (« on veut dire par là qu'il ne chercheque son bénéfice personnel, sans se soucier de la fin générale sous le couvert de laquelle il cherche son profit » ),soit « on s'y intéresse » , et cette collaboration est satisfaction, accomplissement.

Force est de constater que dansles deux cas, l'intérêt est décisif, comme l'illustrerait suffisamment la puissance de ses mobiles dans une action. II.

La logique de la passion au coeur de la décision A.

L'objet de la décision : ce qui dépend de moiLe paradoxe est alors patent : alors que la passion, en tant que telle, tourne le passionné comme un objet dont ellese joue, cette objectivation convertit à son tour cet objet comme sujet (d'action, de connaissance, de désir,accompli par la passion) ; il y a plus, car le sujet en question devient justement ce qui décide du cours des choses.Une contradiction fondamentale habiterait alors la passion censée décider : elle est destinée à s'éteindre en raisonde sa réussite même, au plus fort de son incandescence.

Et c'est dans cette mesure que la passion peutefficacement décider ; car sans cette objectivation, il est clair que la passion serait un voeu pieu, une pureintention, dont l'effectuation ne serait même pas envisageable.

Plus profondément, cette objectivation rend possiblela décision : ce n'est pas la passion qui décide de son objet, c'est dans la mesure de son objet qu'elle peut décider.En prenant appui sur cet objet, elle lui donne chair en quelque sorte, car la décision n'a de sens que lorsqu'elle portesur ce qui dépend d'elle.

Par exemple, je ne peux pas décider du temps de demain.

Mais en revanche, je peuxdécider de prendre mon parapluie en cas de mauvais temps, car cela dépend de moi.

D'une façon générale, ladécision n'a pas de signification quand elle a affaire à des nécessités qui lui sont indépendantes (ainsi les véritésmathématiques, la course des planètes, etc.) ; la décision prend de l'efficacité quand elle porte sur ce qui dépendd'elle.

Ce qui ne veut pas dire qu'elle se réalisera telle quelle, sans écart ou sans différence par rapport à ladécision.

Or le propre de la passion est de convertir ce qui ne dépendait pas d'elle en réalité qui le devient : c'est ence sens que la passion décide de son objet (il ne dépendait sans doute pas de Bonaparte que la France devienne unEmpire ; mais Bonaparte étant passionné, cela l'est devenu avec Napoléon). B.

La passion rend possible la décisionLe paradoxe peut alors être réduit de la façon suivante : l'objectivation opérée par la passion produit exactement unsujet désormais capable de décider.

Imaginons un peu : en butte à l'indépendance des phénomènesmétéorologiques, un passionné de météo va constituer un savoir capable d'établir une connaissance assurée de cesmêmes phénomènes.

La passion aura eu pour substance de transformer l'impondérable (la pluie, l'ensoleillement,etc.) en phénomène particulièrement mesurable, à propos duquel il serait possible de décider.

En d'autres termes, endécidant de son objet, la passion donne l'initiative.

Et l'initiative consiste à s'insérer dans le monde pour agireffectivement dessus.

Du point de vue du passionné cependant, l'initiative porte seulement sur les moyens mis enoeuvre, mais pas sur le but, la fin ; cette dernière se propose à lui davantage qu'il ne se propose cette dernière,qu'il nomme justement « sa passion ».

Par exemple, le philatéliste déploiera les moyens nécessaires pour participer àune vente de timbres à l'autre bout du pays.

Pourtant, dans la décision, ce ne sont pas les moyens qui importent,mais la finalité qui leur donne sens (la vente de timbres justifie la voiture endommagée, le train en grève, les millekilomètres à vélo).

Aux yeux du passionné, c'est « l'objet » de sa passion, ce qui le passionne, qui décide : laphilatélie signifie ici aller à la vente des timbres, à l'autre bout du pays donc, qu'importe si c'est à vélo.

Ainsi, «l'objet » ici, ce n'est pas la passion en soi, mais c'est le but.

Dans l'exemple du philatéliste, la passion apparaîtcomme le moyen, le bras par lequel la finalité trouve à se réaliser ; la question est : pour quelle fin la passion s'est-elle accomplie ? On n'est pas passionné pour être passionné : la passion n'est pas une fin en soi ; mais certainesfins supposent pour se réaliser le moyen de la passion.

Ce sont elles qui décident des passions et de leurs « objets». C.

L'objet de la passion, ce sont les fins universellesLe résultat est encore ambivalent : les passions ont bien un pouvoir de décision sur leur objet, mais pas sur lesfinalités constitutives de ce même « objet ».

Ce sont celles-ci qui décident de la passion laquelle se révèle êtreseulement moyen.

Mais alors qu'est-ce qui dans la passion en fait le moyen adéquat à ces fins, et nom pasn'importe quel moyen ? Pourquoi seule la passion pouvait inscrire dans les faits ces fins ? Ce qui contraindra par lasuite à préciser quelles sont ces finalités.

La passion nomme une énergie, un dynamisme, à savoir certes une. »

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