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Pensez-vous comme André Malraux que la vie privée des grands créateurs n'est qu'un « misérable tas de petits secrets » dont le lecteur n'a guère besoin, ou croyez-vous au contraire qu'une telle connaissance contribue précieusement à la bonne intelligence d'une œuvre ? Vous illustrerez votre argumentation d'exemples précis soigneusement analysés.

Publié le 28/03/2011

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   PLAN

Introduction    ■ Goût moderne en histoire littéraire. Ire Partie    ■ La biographie est fort utile ou moins utile selon les œuvres.    ■ Certains écrivains s'y opposent.    ■ La « petite histoire «.    IIe Partie    ■ Nécessité de la biographie pour la pleine intelligence de l'œuvre.    ■ Tout ouvrage est marqué de la personnalité de son créateur.    ■ Qu'est-ce que « la bonne intelligence d'une œuvre « ?    ■ Se méfier d'une approche uniquement sensible et subjective d'une œuvre.    Conclusion

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« grand-père l'emmenait tout enfant à la foire de Saint-Germain ou aux parades du Pont-Neuf permet-il d'expliquermieux Amphitryon, L'Avare ou Don Juan ? La célèbre anecdote — romancée d'ailleurs comme la plupart de ceséléments qui créent la « légende » d'un auteur — de Corneille, âgé, n'ayant même pas assez d'argent pour s'acheterune paire de chaussures neuves, justifie-t-elle en quoi que ce soit la mélancolie sereine de sa dernière tragédie, auxrésonances si tendres, Suréna ? Bien plus, en réaction des excès du romantisme, on voit même les créateurss'insurger contre toute intrusion de leur vie personnelle dans leur art; l'impersonnalité devint une des théoriesessentielles du Parnasse : « Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal, Je ne livrerai pas ma vie à tes huées...

»,affirme Leconte de Lisle.

Quant à l'école réaliste, elle proclame par la plume de son maître Flaubert : « L'artiste doits'arranger de façon à faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu »; pour elle, le romancier ne peut être vrai que s'ilobserve l'âme humaine « avec l'impartialité qu'on met dans les sciences physiques ».

S'il s'efforce — Flaubert par ex.— de paraître absent de son œuvre, en quoi la connaissance de sa biographie pourrait-elle précisément aider à lacompréhension de cette œuvre? Le romancier anglais Oscar Wilde, malgré le bruit d'une vie privée très agitée, seprononce aussi pour une séparation absolument nette entre l'art et la vie; il insiste : « Un artiste doit créer de belleschoses, mais sans rien y mettre de sa propre vie.

» Quant à Malraux (à l'inverse en cela de la plupart de ses — doncde nos — contemporains) il a toujours préféré la grande histoire à la petite, ce « misérable tas de [...] secrets », etne cessera certainement pas, jusqu'après sa mort, de taire comme négligeable « ce qui n'importe qu'à soi ». * * * Et pourtant, à dire vrai, même pour la littérature classique, les renseignements biographiques sont parfoisnécessaires à la pleine intelligence de l'œuvre, au moins en certaines de ses parties ou quelques-uns de sesaspects.

Si l'on veut comprendre comment s'est affirmée la vocation de comédien chez Molière, il faut savoir que lemoment décisif de sa carrière fut la fondation de l'Illustre Théâtre.

Si l'on veut mieux voir comment s'est formé songénie, de quelles circonstances s'est nourrie l'inspiration qui devait prendre forme dans ses pièces, il faudrait suivrele chef de troupe jusque dans ses tournées de province.

Les leçons du voyage, ce ne seront pas seulement pour luiles multiples rencontres d'où sortiront les types qu'il campera ou les anecdotes qui serviront d'action à ses pièces :Pourceaugnac, ou « pecques provinciales », histoires de faux dévots, de médecins ou d'avares.

C'est dans lesnécessités de la vie des « tournées » qu'il apprendra les ressources du métier d'auteur comique, qu'il en recueillerales procédés, la virtuosité même, lui permettant d'écrire L'Impromptu de Versailles, de chercher sans cesse desformes nouvelles, de la comédie-ballet à la mascarade, de la farce à la comédie de caractère; quant à ses déboiresconjugaux, n'en trouve-t-on pas écho dans Georges Dandin, dans L'École des Femmes et dans l'amertume et lasincérité d'Alceste, le Misanthrope ? Ne s'explique-t-on pas mieux la cruauté de certains portraits de Grands dansles Caractères, l'indignation devant le luxe insolent des riches, insulte à la misère des paysans, privés de tout,vivant comme des bêtes, la raideur de l'affirmation : « Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple »,quand on apprend que la « domesticité » de La Bruyère chez les Condé (d'abord précepteur du petit-fils du GrandCondé, puis secrétaire), si elle lui ouvre un vaste champ d'observation, est bien pénible pour son amour-propre et nelui épargne pas les humiliations.

Peut-on suivre l'évolution de la « philosophie » de Voltaire des Lettres anglaises àCandide par ex., ou simplement percevoir les nuances de certaines lettres, si l'on ne connaît pas l'épisode de Berlinet l'amitié traversée d'embûches avec celui qu'il appelait d'abord « le Salomon du Nord », le despote éclairé, FrédéricII ? Lorsqu'il s'agit, d'autre part, d'un ouvrage où, comme Baudelaire, l'auteur a mis toute [sa] pensée, tout [son]cœur [...], toute [sa] haine», la connaissance biographique est parfois indispensable.

Fils d'un homme de 60 ans etd'une femme qui n'a pas la trentaine, petit compagnon de ce père qui essayait d'éveiller chez l'enfant le goût de labeauté (promenades dans les jardins du Luxembourg), brutalement frappé par la mort du père et par le 2e mariage— un an après — de sa mère avec un officier de carrière qui ne comprendra pas son beau-fils, ne gardant de sesannées de collège que le souvenir de « brutalités » et de « lourdes mélancolies », Baudelaire a développé aux heuresdécisives de la formation un complexe de solitude fatale et le pressentiment d'une « destinée anormale et solitaire ».Il se traite d' « enfant déshérité » (Bénédiction) et passe sa vie à regretter « le vert paradis » de la toute petiteenfance.

Il n'est pas une œuvre, si impersonnelle soit-elle, qui ne soit marquée par son créateur.

Tout objectif etimpassible que l'on soit, on est présent dans son texte et Flaubert lui-même n'a-t-il pas avoué : « Mme Bovary,c'est moi.

» Dans L'Éducation sentimentale il transpose son amour lointain pour Mme Schlésinger, la femme d'unlibraire du Havre, passion muette qui deviendra une adoration presque mystique.

De même, L'Espoir, La Conditionhumaine ou La Voie royale sont, qu'il le veuille ou non, un écho de la vie de Malraux.

Bref, l'œuvre est toujours à undegré plus ou moins visible un reflet de l'existence de son créateur.

La connaissance de cette dernière contribuedonc à la bonne intelligence de l'objet créé.

Est-ce « précieusement » ? C'est sur cet adverbe — assez appuyé —du sujet qu'il faut revenir, car la critique biographique a ses limites, si elle a ses nécessités.

La méthode critique deTaine, qui croyait pouvoir donner la formule explicative de tout génie par l'influence de la race, du milieu, del'époque, est depuis longtemps reconnue comme insuffisante.

Même Sainte-Beuve, qui attachait tant d'importance àla biographie, jugeait nécessaire pour comprendre un écrivain d'ajouter à la connaissance de sa vie l'analyse de son1er chef-d'œuvre.

Car qu'est-ce que « la bonne intelligence d'une œuvre » ? C'est la comprendre, c'est-à-dire sansdoute d'abord se l'assimiler, en prendre pour ainsi dire possession, se la rendre personnelle.

C'est voir le sens d'untexte dans son universalité.

Ce qu'il nous découvre, ce texte, c'est en nous qu'il le découvre et l'éclairé : sinon ilnous reste fermé et inintelligible.

L'œuvre d'art n'a d'autre but que de nous faire entendre : « L'hymne mélodieux de la sainte Beauté » (Leconte de Lisle); elle nous transporte dans un monde autre que celuioù nous vivons, un univers transfiguré, où la magie de l'artiste nous introduit.

C'est pourquoi Péguy pouvait écrire :« Celui qui comprend le mieux Le Cid, c'est celui qui prend le Cid au ras du texte; dans l'embrasement du texte...

»Mais il ajoutait : « ...

et surtout celui qui ne sait pas l'histoire du théâtre français ».

Voilà qui est dangereux.

Uncritique digne de ce nom, tout d'abord, à notre époque, sait parfaitement « l'histoire du théâtre français » etconnaît en érudit tous détails biographiques possibles.

S'il veut après cela prendre ses distances avec la. »

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