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LA PERCEPTION EST-ELLE DÉJÀ UNE SCIENCE ?

Publié le 15/03/2004

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perception
3 / Le jugement que ce que nous rapportons aux choses leur appartient en effet. » L'expérience croît à mesure que l'attention, la mémoire, la comparaison et le jugement portent cette connaissance initiale à des degrés de complexité supérieurs. « Que je songe à un beau visage, les yeux ou d'autres traits, qui m'auront le plus frappé, s'offriront d'abord ; et ce sera relativement à ces premiers traits que les autres viendront prendre place dans mon imagination» (ibid., II, 2, 22). La perception du plus régulier ouvre la voie à la perception du plus dissymétrique, le familier sera plus aisément reçu que le nouveau, etc. Et si nous faisions l'hypothèse d'une statue « organisée intérieurement comme nous », mais privée de toute espèce d'idées ; si ses facultés devaient être bornées à l'odorat ? Alors, elle serait « odeur de rose, d'oeillet, de jasmin, de violette », selon les objets qui agiraient d'abord sur son organe. Mais peu à peu nous lui verrions acquérir, à partir de cette seule sensation, « toutes les facultés de l'âme » (Traité des Sensations, I, 6). • Le cas des aveugles opérés de la cataracte et sauvés de leur handicap (par ex., par les chirurgiens Cheselden en 1728 et Daviel en 1745) permettrait-il de trancher entre ces thèses ?
perception

« rendront pas immédiatement géomètre.

On traque, par une telle expérience, ce qu'on pourrait appeler une visionpure, une perception qui se prononcerait d'elle-même sans avoir été instruite d'avance ; il faut, en parlant àl'aveugle, tenir compte de sa culture, éviter les mots scientifiques eux-mêmes (la « sphère », le « cube »), segarder de l'influencer, préserver la neutralité des procédures expérimentales.

Or, cela est impossible, dit Leibniz, en1703 (Nouveaux Essais, II, 9) ; cependant, si l'on accorde un peu de temps de réflexion à l'opéré, et si on leprévient qu'il ne s'agit que de discerner deux figures, il saura aussi bien les discerner par la vue après les avoirconnues par le toucher, que nous discernons « de loin un tableau ou une perspective, qui représente un corps,d'avec le corps véritable », ce à quoi nous ne parvenons justement qu'en raisonnant, donc grâce à des idées qui nesont pas dans la sensation même.

Quelques décennies plus tard, Diderot devra avouer une semblable perplexité(Lettre sur les aveugles, 1749). L'activité scientifique se situe au-delà de l'assise sensorielle du corps. • Cependant le savoir est-il homogène, depuis ses conditions inférieures jusqu'à son élaboration la plus haute dansla connaissance rationnelle ? Ne faut-il pas distinguer l'ordre de la perception et l'ordre de la science ? « Ainsi, qu'unmouvement soudain de ma main se produise devant mes yeux, si je ne saisis que ce mouvement, j'ai une simplereprésentation.

Si je sais que c'est ma main qui est passée devant mes yeux, j'ai une perception, c'est-à-dire unereprésentation déterminée.

Enfin, si je cherche à m'expliquer la cause de ma représentation primitive, je fais acte deconnaissance rationnelle » (J.

Lagneau, Célèbres leçons et fragments, Éd.

PUF, p.

191).

Cette connaissance «consiste dans la détermination des rapports constants et permanents » qui existent « entre les grandeurs absoluesque nous pouvons déterminer par ces perceptions [...].

Percevoir un objet selon sa vérité implique donccontradiction » (ibid., p.

236).

La prétention à la vérité universelle qu'élèvent les sciences ne dépend pas de la seuleexpérience. • Du moins Kant a-t-il montré la possibilité d'une science pure, en établissantla légitimité des jugements synthétiques a priori (mathématiques et physiquepures) : l'objet des sens se règle sur la nature de notre faculté de penser, etnon l'inverse.

D'une part, notre connaissance a affaire non à la « chose en soi», mais à des « phénomènes » dont la possibilité (« l'intuition pure » : l'espaceet le temps) se trouve en nous.

D'autre part, l'entendement est le pouvoirdes règles : un « concept » est une règle qui sert « à épeler les phénomènespour pouvoir les lire comme expérience » (Prolégomènes à toute métaphysiquefuture, « La Pléiade », t.

II, p.

88).

L'expérience est une synthèse deperceptions : « l'enchaînement complet et soumis à des lois » de toutes lesperceptions selon des principes a priori (Critique de la raison pure, éd.

citée,t.

I, p.

1414).

La vérité d'une connaissance a posteriori de la nature impliqueenfin l'adéquation de la connaissance avec un contenu empirique. • Quant à la sensation, elle présente cette ambiguïté d'être à la fois un étatque je rapporte à moi-même sentant, et un contenu, c'est-à-dire un certainrapport à l'objet senti.

Une « pure » sensation, entièrement « subjective »,serait imperceptible ! D'autre part, ce qui est dans l'objet senti (la « chaleur») peut n'avoir aucune ressemblance avec l'épreuve subjective de cettepropriété (sur la douleur, cf.

Berkeley, oeuvres, Éd.

PUF, t.

2, p.

37 et s.).

Deplus, la « blancheur » d'un lys (cf.

Locke) lui appartient non comme la blancheur en général, mais comme telleblancheur, qui est en fait sa couleur propre indicible et n'est donc pas à strictement parler blancheur.

Autrequestion : comme « intuition donatrice originaire », la perception me donne l'objet lui-même, en original, « enpersonne » et non en image (Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Éd.

Gallimard) ; mais la chose,réalité « transcendante » (extérieure à ma conscience), ne m'est accessible que « par esquisses » dans unemultiplicité de vécus : je vois « la » table de loin, de près, de côté, par en dessous, etc., jamais totalement.

Il fautque je dépasse le donné matériel (hylè) de la perception par l'acte de noèse : l'objet n'est présent qu'en étantpartiellement absent.

C'est pourquoi le tact est un sens plus aigu de la réalité des choses que la vue et donne à larhapsodie des cinq sens une unité relative.

Il ne s'agit ici que d'une « pensée de voir », d'une « pensée qui déchiffrestrictement les signes donnés par le corps » : « Des choses aux yeux et des yeux à la vision il ne passe rien de plusque des choses aux mains de l'aveugle et de ses mains à sa pensée » (Merleau- Ponty, L'oeil et l'esprit, Éd.Gallimard, p.

41, sur Descartes, Dioptrique, I et IV). La perception est la primordiale ouverture au monde. • Faut-il cependant juger de la perception en fonction des seules visées de la science ? La science, fondatrice defaçon universelle et apodictique, rend possible le développement de l'humanité vers l'autonomie.

Mais son oeuvrespirituelle présuppose « le monde environnant de la vie [...].

Pour le physicien, par exemple, c'est ce monde danslequel il voit ses instruments de mesure, entend des battements de métronome, évalue des grandeurs perçues, etc.», et procède aussi à la vérification de ses conceptions.

Ce monde est aussi « prédonné naturellement à nous tousen tant que nous sommes des personnes vivant dans l'horizon de notre cohumanité » ; il est donc « le solpermanent de toute validité, une source toujours disponible d'évidences naturelles » (Husserl, La crise de la scienceeuropéenne, Ed.

Gallimard).

Une telle insistance sur l'attitude pré-théorique de la conscience est l'indice d'un. »

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