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Peut-on apprendre à penser ?

Publié le 02/02/2005

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Quand on demande à un l'homme de la rue s'il faut apprendre à penser, on entend dans la majeure partie des cas que cela est inutile car la pensée est une chose innée dont l'homme est naturellement accompagné dès sa naissance. Cependant cette opinion est aux premiers abords contestable car elle n'envisage la pensée que comme un tout qui n'est pas susceptible de distinctions. Or, il est nécessaire de distinguer deux sortes de pensée : la pensée en tant que sensation ou sentiment, et la pensée en tant que réflexion. C'est principalement la pensée réfléchie, qui constitue la pensée au sens strict, que nous allons traiter. En effet, la pensée, sensation ou émotion, semble être innée et ne pas s'apprendre à proprement parler, même si toute sensation est toujours relativement construite. Pour cela, prenons l'exemple le plus anodin du bébé : il a spontanément un sentiment de bien-être ou de malaise ; il semble sujet à certaines émotions telles la gaieté, qu'il exprime par le rire ; quand on l'éloigne de sa mère, il pleure car il se sent mal à l'aise. Cette pensée sensation n'est pas spécifique à l'homme, elle est commune à lui et à l'animal. En revanche, la pensée réflexion est propre à l'homme (opposition à l'animal). La pensée réflexion est la faculté intellectuelle ayant pour objet la connaissance : le fait de penser implique la production d'idées, de jugements. La pensée, c'est l'activité de l'esprit qui nous permet de comprendre.

Contrairement à l'opinion, pour qui ces deux verbes « apprendre « et « penser « sont incompatibles, la philosophie, tout au long de son histoire, revendique la sauvegarde du « métier « de penser. Ainsi Hegel dans l'introduction à son Encyclopédie, renoue avec Platon pour marquer l'importance du métier en philosophie dénonce une double illusion dans le refus d'un « apprendre à penser « : « On accorde, écrit-il, que pour confectionner un soulier, il faut l'avoir appris et s'être exercé, bien que chaque homme disposant d'un pied, en possède la mesure et grâce à des mains, l'habileté naturelle pour ce métier. Ce n'est qu'en philosophie, pense-t-on, que des études et des efforts ne sont pas indispensables. « Dès lors, on peut légitimement se poser la question : apprend-on à penser ? Ne faut-il pas radicaliser le paradoxe propre à cette question ? S'il n'y a de véritable apprendre que l'apprendre à penser, car on ne pense que des pensées et non des imaginations ou des représentations intellectuelles, alors apprendre, n'est-ce pas véritablement développer par soi-même ce qui est en soi-même, et non être soumis à l'instruction d'un maître, ou à la contrainte d'une opinion ?

« idéologiques, notamment antisémites, du régime hitlérien.

On peut affirmer qu'on « apprend » réellement à « penser».Mais s'il apparaît qu'on apprend bien à penser, peut-on pour autant réduire cet acte à une « méthode » deraisonnement ? L'expression « apprendre à penser » a fait se confronter deux grands philosophes : Descartes et Leibniz.

PourDescartes l'art de penser se renvoie à l'esprit et aux parcelles innées de raison que chaque homme possèdenaturellement.

Descartes propose un discours de la méthode et fait donc une place à l'art du raisonnement droit,mais la méthode qu'il préconise est en rapport avec la méthode originaire et fondatrice : celle de la conversion del'esprit et du doute volontaire.

La méthode ne rend que plus « apte » celui qui a le don d'inventer : elle nousperfectionne, mais elle n'est pas améliorable.

Dans le Discours de la méthode, Descartes écrit : « Ainsi mon desseinn'est pas d'enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais de faire voir en quellesorte j'ai tâché de conduire la mienne.

» Il n'y a donc pas de procédés communicables pour aboutir à l'invention.Pour Leibniz au contraire de Descartes, la méthode doit être une technique.

Apprendre consiste à faire un inventaireexact de toutes les connaissances acquises mais dispersées et mal rangées.

Au lieu de confier la méthode auhasard, comme le fait Descartes, il faut formaliser l'ordre des raisons par des signes concrets que chacun pourracombiner selon certaines règles d'où la possibilité d'apprendre à inventer.

Alors que la méthode de Descartes se veutun art d'inventer, l'art combinatoire leibnizien veut une clef de l'art d'inventer.

Leibniz écrit : « Il est manifeste quesi l'on pouvait trouver des caractères ou signes propres à exprimer toutes nos pensées, aussi nettement etexactement que l'arithmétique exprime les nombres, on pourrait faire en toutes les matières en tant qu'elles sontsujettes au raisonnement tout ce qu'on peut faire en arithmétique et en géométrie ».

On le constate doncl'expression « apprendre à penser » est le lieu d'une controverse dans l'histoire de la philosophie entre Descartes etLeibniz, pour qui la définition même du mot « méthode » relativement à cet « apprendre à penser » est tendu entrel'apprentissage technique et la conversion de l'esprit.Cette tension de l'apprentissage dans ce « dialogue » entre Descartes et Leibniz soulève donc la question de savoirsi l' « apprendre à penser » renvoie à une histoire ou à un développement. On comprend désormais la signification des attaques de Hegel contre le calculemus leibnizien, contre l'extériorité ducalcul en général, et la nécessité, pour apprendre à penser de ne réduire en aucun cas le penser à un art de bienraisonner, à une limitation par un être extérieur auquel la pensée s'appliquerait.

Ce que Hegel critique donc dans la conception leibnizienne de l'apprendre à penser, c'est qu'elle ne présente du «penser » qu'une conception technicienne, l'objet d'un véritable « apprendre »se confirmant lui-même en tant que tel par son inscription dans une « histoire», voire dans un progrès.

Pour Hegel, inscrire l'apprendre à penser dans unehistoire ne peut se faire qu'au prix d'une « dérivation » de l'acte de penserdans l'acte de connaître ou de raisonner.

Or, l'acte d'apprendre se confond enquelque sorte avec le penser lui-même, ou plutôt apprendre est le processusmême de la pensée en devenir.

Si bien qu'on ne peut séparer l'acte de penséeet l'acte d'apprendre comme si ce dernier précédait la pensée en tant quetelle.

Si l'apprendre à penser ne renvoie pas à une histoire, c'est qu'il estplutôt de l'ordre d'un développement : il ne s'agit pas seulement dansl'apprendre à penser d'appliquer à une représentation la forme d'un savoir oud'un jugement, mais de manifester ce qui rend raison de tout jugement, et quiest toujours déjà là, d'aucun temps ni d'aucune époque.

Soit un exemple :efforçons-nous de penser la liberté, c'est-à-dire de dépasser les diversesreprésentations ou les divers jugements que nous pourrions en former.

C'estle travail de transformation d'une représentation en pensée : a) lareprésentation de l'opinion : être libre, c'est faire ce que l'on désire.

b) lareprésentation du jugement : être libre, c'est faire ce que l'on veut.

c) Lapensée de la liberté : être libre, c'est exprimer une libre nécessité.L'apprendre à penser se présente donc bien comme un travail quis'appréhende comme un processus de développement, par lequel le pensers'affirme contre la représentation et le jugement.

La pensée est donc elle-même un processus d'apprentissage, dansle sens où il n'y a de véritable apprendre que l'apprendre à penser.

L'acte d'apprendre ne précède donc pas lapensée, de la même manière que l'acte de pensée n'est pas extérieur à l'apprentissage : apprendre à penser n'esten fait pas autre chose que le processus de la pensée effective.

Pour Hegel, pensée et apprentissage sontfondamentalement unis en ce qu'ils relèvent d'un même processus, dans lequel l'esprit, l'effectif, est à lui-même sonpropre sujet.

Si l'on peut encore parler d'apprentissage avec Hegel, c'est à condition de préciser que celui-ci estinséparable de la pensée dans laquelle il s'accomplit, c'est-à-dire qu'il ne vient ni avant elle ni après elle, mais avecelle. En définitive, nous pouvons dire que tout homme possède la faculté de penser, mais que la pensée n'est au seuil dela vie de chaque homme qu'à l'état de simple possibilité.

A sa naissance, l'homme peut potentiellement penser, maisil doit apprendre à réaliser effectivement sa pensée et la développer jusqu'à atteindre la pensée conceptuelle : laforme la plus achevée.

L'apprentissage joue donc un rôle déterminant dans l'acquisition de la pensée, ce qui pose legrave problème du conditionnement des esprits, car en apprenant à penser l'homme apprend des schémas et desmodes de pensée dont il risque de rester prisonnier.

Quoiqu'il en soit, l'effort d'apprendre à penser permet l'ouverturesur deux illusions fondamentales : l'homme ne sait pas penser par lui-même ; il lui faut véritablement apprendrel'acte de penser ; apprendre ne consiste pas simplement à acquérir un savoir ou à accumuler des connaissances ; et. »

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