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Peut-il y avoir de mauvais usages de la raison ?

Publié le 04/02/2005

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VIOLENCES ET ÉGAREMENTS DE LA RAISON A. Une raison réductrice ■ La raison est une faculté d'ordre ; mais cet ordre, qu'elle érige en Ordre absolu, n'est autre que son ordre, ordre qu'elle impose à tout ce qu'elle considère. En d'autres termes, en appréhendant un phénomène, la raison le contraint à se soumettre à ses principes, à ses catégories, à ses concepts, au risque de le déformer, de le mutiler ; certains diront même que quand un phénomène refuse de se plier à sa loi, elle le nie ou du moins l'ignore. ■ Bergson a ainsi pu critiquer le concept et la logique du concept pur, tous deux constitutifs de la raison qui se définit comme la faculté de combiner logiquement des concepts et des propositions. Selon lui, en effet, les concepts morcellent le réel en rompant l'unité concrète des objets qui le composent ; en outre, ils déforment ce réel en rendant communes à une infinité de choses des propriétés singulières, et en réunissant dans leur extension et leur compréhension des objets et des éléments incompatibles entre eux ; enfin, ils figent l'écoulement continu de la réalité qui est essentiellement fluide et mouvante. ■ Dans ces conditions, explique W. James, « rendre la vie intelligible au moyen des concepts, c'est arrêter son mouvement pour la découper comme avec des ciseaux, et pour en immobiliser les morceaux dans notre herbier logique où, les comparant entre eux comme des spécimens desséchés, nous pouvons établir lesquels, au point de vue statique, en impliquent ou en excluent d'autres, et lesquels, au même point de vue, sont impliqués dans les premiers ou exclus par eux ». Aussi, « au lieu d'être l'interprétation de la réalité, les concepts sont la négation absolue de tout ce qu'elle a d'intime » (Philosophie de l'Expérience, tr. Le Brun, 1910, p. 233 et 236).

« B.

Une raison totalitaire et dangereuse Parce qu'elle es normative, la raison est aussi exclusive : elle rejette tout ce qui n'est pas elle comme faux,mauvais, sans valeur.

Prenons quelques exemples :Le désir et les passions La raison proclame qu'il convient de réprimer, d'annihiler les passions, ou du moins de les soumettre à son contrôle: elle pose que les passions ne sont que «maladies de l'âme», désordres et déchéance.

De même, elle appelle à lasuppression du désir, lequel précisément ne se satisfait jamais de l'être, de ce qui est, mais est continuellementrongé par l'appel de l'Autrement, de ce qui n'est pas.L'enfant, le fou Surtout tant qu'il ne parle pas, et donc qu'il ne raisonne pas, l'enfant est rejeté dans un monde inférieur,intermédiaire entre l'animalité et l'humanité, que la raison a longtemps considéré comme peu digne d'intérêt.Semblablement la raison repousse le fou et le met à l'écart de la société : M.

Foucault dans son Histoire de la Folie,a montré que le « grand renfermement » des malades mentaux dans des asiles est contemporain du rationalismecartésien.L'imagination, le mythe La raison voit dans l'imagination, selon le mot de Malebranche, « la folle du logis » ; elle condamne également lapensée mythique comme primitive et prélogique.

Ainsi, en refusant de prendre en considération tout ce qui lui est étranger, la raison se fait totalitaire, et construitdes mondes où elle règne seule.

Mais ces mondes sont des univers clos, plaqués sur le réel qu'ils veulent masquer,mondes sans vie ou allant contre la vie : tel est un des reproches majeurs qu'on a pu faire aux utopies politiques entant qu'hyperrationalisations du monde humain, destructrices de toute déviance, originalité, spontanéité, liberté.Par ailleurs, exclure ne signifie pas supprimer : ce que condamne la raison demeure, et souvent se retourne contreelle.

Dans sa critique du rationalisme classique, Freud a montré que ses désirs et passions sont essentiels à l'homme,mais qu'ils s'opposent au principe de nécessité (au travail) qui gouverne le progrès de la civilisation.

C'est pourquoila raison, comme intériorisation du principe de nécessité, doit refouler les désirs inadéquats à la vie sociale,notamment les pulsions d'agressivité.

La raison est ainsi instance de refoulement.

Or le refoulement n'est nullementla suppression des désirs, et la conscience est toujours menacée par un retour du refoulé, menant à la névrose ou àla psychose.

La raison, comme agent de refoulement, peut donc provoquer par son exercice même des désordresaux manifestations plus violentes encore que celles qu'elle se proposait initialement de maîtriser. 3.

RÉHABILITATION DE LA RAISON. A.

La raison critique d'elle-même Toutes les critiques qui ont été formulées contre la raison ne sont pas sans fondement.

Mais il faut remarquerqu'elles ont toutes été émises par des esprits qui raisonnaient sur la raison.

A travers elles, c'est donc d'unecertaine manière la raison qui se juge et se critique elle-même.

Ceci suffit à montrer que l'impérialisme et letotalitarisme de la raison ne sont peut-être pas aussi rigoureux qu'on voudrait le croire.

C'est qu'en réalité il fautdistinguer la raison des formes qu'elle revêt à chacun des stades de son développement. B.

Raison constituante et raison constituée Comme l'a montré A.

Lalande, il ne faut en effet pas confondre la « raison constituée », c'est-à-dire telle qu'elle secristallise à une époque donnée « dans un code public de règles constituées et de vérités reconnues », et la «raison constituante », c'est-à-dire la raison en tant que « tendance active, personnelle, inventive », puissancedynamique toujours en évolution et développement.

C'est la « raison constituée » qui tend à être totalitaire, c'est la« raison constituante » qui sans cesse remet en cause la « raison constituée ».

Ainsi ce qui peut apparaître commeirrationnel à une époque donnée pourra être intégré dans la rationalité à une autre. CONCLUSION. S'il peut y avoir de mauvais usages de la raison, ceux-ci paraissent surtout dus à des états constitués,historiquement situés et dépassables, de la raison, non à la raison en soi qui dénonce elle-même les limites et les erreurs de ces états.. »

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