Peut-il y avoir une pensée sans images ?
Publié le 19/03/2004
Extrait du document
«
informer.
Les mathématiques elles-mêmes, qui tendent à l'abstraction absolue et à la forme pure, ne peuvent yparvenir : « Toute pensée formelle est une simplification psychologique inachevée, une sorte de pensée-limitejamais atteinte.
En fait, elle est toujours pensée sur une matière, dans des exemples tacites, sur des imagesmasquées » (1).Néanmoins, si la pensée s'incarne nécessairement dans des images et des mots, elle ne se réduit pas plus àces derniers que mes phrases ne se réduisent à des molécules d'encre ; elle est dans la signification quiinforme images, mots ou traces d'encre.
« Il est rigoureusement exact de dire que la pensée comme telleexclut tout l'ordre des images et cependant qu'elle n'a pas d'autre contenu que des images » (2).D'où vient donc que les psychologues ont cru parfois obserser des pensées sans images ? De l'extraordinairepuissance d'abréviation de la pensée : « un rien suffit souvent.
Nous arrivons à faire tenir souvent desdéveloppements entiers dans un mot.
D'où l'illusion de ceux qui croient qu'il n'y a rien » (3).
Conclusion. — En définitive, les philosophes d'autrefois n'avaient pas tort de répondre à la question que nous nous étions posée d'après leur conception de la nature humaine, et les psychologues contemporains leur ontdonné raison.L'homme est tout entier dans chacune de ses opérations spécifiquement humaines.
Esprit et matière, il nesaurait penser avec le seul esprit et parvenir à la pensée pure.
C'est la métaphysique qui répond au problèmede la pensée sans images, et la psychologie, reprenant son examen avec plus de rigueur, en vient à lui donnerraison.
(1) G.
Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, p.
54.(2) M.
Pradines, Traité de psychologie générale, II, vol.
2, p.
162.(3) H.
Delacroix, Le Langage et la Pensée, p.
411.
Documents:
Hegel a écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ».
Dire que nous pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définir le mot comme l'unité de la pensée.
Loind'être deux mondes radicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson , le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels.
Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée, qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulationpar le langage pourrait lui conférer.
L'ineffable en effet, c'est la penséeinforme, c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pasvraiment une.
Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer par l'épreuve de l'explicitation.
Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde lelecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.
Le problème de Hegel n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sont ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception deHegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peut réellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partir de quelcritère la pensée mérite le nom de pensée.
Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même par moi seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui).Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cettemanière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots que nous écrivons luidonnent.
Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pour devenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.
Dans cette épreuve parlaquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendrele langage pour un inconvénient.
Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce que nouspourrions appeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dansune forme objective, d'en perdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi,être perçu comme commun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles commeil l'entend, que les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.
Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère ), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernièreénergie.
Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole.
Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage,.
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