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Peut-on être vertueux ou bon naturellement

Publié le 20/03/2004

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.. Plus passives qu'actives, ces vertus ne demandent pas une grande force morale ; c'est précisément parce qu'ils manquent d'une force de ce genre que certains individus sont incapables de heurter les autres et se montrent si accommodants. On le voit, ces vertus sont naturelles, au moins dans une grande mesure. Sans doute, l'éducation a pu les développer, mais l'éducation ne réussit que sur un terrain préadapté : l'amabilité d'une nature rude reste toujours empreinte de rudesse ; pour être parfaitement aimable, il faut l'être, sans effort, naturellement. Aussi ces vertus qui n'exigent pas beaucoup de force sont-elles méprisées par ceux qui voient dans la force la valeur suprême, tel Nietzsche qui fait dire à son prophète : « Aujourd'hui, les petites gens - sont devenus les maîtres, ils prêchent tous la résignation, et la modestie, et la prudence, et l'application, et les égards, et les longs ainsi de suite des petites vertus. (...) . Surmontez-moi, hommes supérieurs, les petites vertus, les égards pour les grains de sable, le fourmillement des fourmis, le misérable contentement de soi, le bonheur du plus grand nombre ! » (Ainsi parlait Zarathoustra, éd. Mercure de France, p. 417-418.) A s'en tenir au langage commun également, ces « petites vertus » n'impliquent pas ce qu'on entend par la vertu.

« II.

— PEUT-ON ÊTRE VERTUEUX NATURELLEMENT ? S'il est des vertus naturelles, il faudrait, semble-t-il, faire à cette question une réponse affirmative.

D'ailleurs nous ysommes invités par la comparaison de la vertu avec son contraire, le vice : on rencontre, disons-nous, destempéraments vicieux, chez qui certains vices sont naturels ; ne devrait-on pas dire, pareillement, que quiconquepossède des vertus naturelles est naturellement vertueux ?En fait, on ne le dit pas : qui interroge la façon commune de parler constate que, à s'en tenir au langage, on n'estpas vertueux naturellement.D'une personne affable, qui nous accueille avec un charmant sourire et, avec un naturel parfait, semble n'avoird'autre souci que de nous être agréable, nous dirons qu'elle se distingue par do rares vertus naturelles, mais nous nedirons pas qu'elle est vertueuse.

En effet, elle semble trop suivre la pente de sa nature, être aimable sans effort,naturellement : c'est pour cela d'ailleurs qu'elle est si appréciée ; nous n'aimons guère les amabilités de ceux qui nese montrent aimables que par vertu.Au contraire, que son comportement laisse deviner le déplaisir ou l'ennui que lui causent certaines visites,l'indifférence foncière ou même l'antipathie qu'elle éprouve pour le bavard qu'elle subit, le regret de perdre son temps: si son sourire reste toujours courtois, son regard attentif, son impatience refrénée, on louera sa vertu, onreconnaîtra qu'elle est vraiment vertueuse, bien que l'on éprouve moins de plaisir à converser avec elle.

Alors, eneffet, elle ne suit pas la pente de sa nature qui la porterait à manifester une contrariété ou un agacement quiabrégeraient la visite : elle doit se surmonter.

Si on la dit vertueuse, c'est qu'elle ne l'est pas naturellement.Ainsi le qualificatif de vertueux est attribué à celui-là seul qui manifeste de la vertu, au sens premier du mot, c'est-à-dire de la force d'âme, de l'énergie pour se surmonter lui-même.

On ne l'attribue pas à celui qui manifesteseulement des vertus naturelles.

Avec les vertus naturelles prises comme exemples on a un de ces bons caractèresqui font le charme des relations, mais on n'a pas le caractère qui permet de dominer les hommes et les événements,précisément parce qu'on se domine soi-même. Conclusion. — On ne peut donc pas, en prenant les mots dans leur acception usuelle, être vertueux naturellement. Toutefois nous ne pouvons nous empêcher, on terminant, d'apporter une réserve à cette réponse.

Sans doute,faut-il prendre les mots au sens qui leur est donné dans le langage courant.

Mais si ce langage condense une longueexpérience et renferme un fonds important de philosophie, cette philosophie manque parfois de profondeur.

Laremarque vaut tout particulièrement dans le cas actuel.Nous comprenons bien que, au sens où nous l'avons expliqué, on ne puisse pas être vertueux naturellement,puisque, pour être vertueux, il faut aller contre sa nature.

Mais il reste à se demander d'où vient à l'homme vertueuxla force grâce à laquelle cette nature peut être contrainte et dominée.

Il n'est qu'une réponse possible : de lanature elle-même.

L'homme vertueux ne s'est pas donné la force qui le caractérise : elle fait partie de saconstitution organo-psychique ; en ce sens, elle est naturelle.Il n'en résulte cependant pas qu'on puisse naître vertueux.

Notre force native est, comme les créations de latechnique moderne, moralement neutre : elle peut servir pour le mal comme pour le bien.

C'est en l'orientant vers lebien ou plutôt contre les tendances qui nous portent au mal, que nous nous élevons au niveau de la vertu.

Sansdoute, cette orientation est le fait de puissances qui sont naturelles à l'homme, la raison et la capacité du vouloir àse déterminer pour des raisons.

Mais par ces puissances l'homme transcende ce que l'on comprend d'ordinaire par «nature », c'est-à-dire le domaine du déterminisme.

C'est pourquoi nous pouvons reprendre la réponse donnée : onne peut pas être vertueux naturellement.. »

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